Original French

Lorsqu’en fin de l’année 1938, et au début de 1939, des inquiétudes naquirent sur le maintien de la paix en France, un lieu d’asile fut proposé pour la Maison de refuge, ä Cabourg.

Un peu plus tard, ce lieu devint indisponible, et, aucun autre n’ayant été proposé, il fut admis que notre refuge, en cas de guerre, suivrait le sort des écoles communales de Neuilly.

Les autorités compétentes en furent avisées.

Au début d’août 1939

La situation se tend ; les rapports avec la municipalité de Neuilly et la Direction de l’Enseignement de la Seine deviennent de plus en plus étroits.

A Neuilly, non sans peine, nous obtenons des masques pour la totalité du personnel et des pensionnaires françaises, les étrangères étant exclues ; pour ces dernières, nous fabriquons des masques de fortune selon les indications des services publics.

Un exercice de marche avec masque à lieu dans la cour le 26 août.

Nous préparons de grands sacs de toile contenant le linge indispensable de deux numéros » consécutifs, seuls bagages ä main autorisés ; le tout est entassé dans le Parloir, ainsi qu’un embryon de pharmacie, de matériel de cuisine.

 Le 28 août

 Le départ des enfants des écoles se précise ; nous cousons au manteau de chacune une étiquette portant son nom.

 Une réunion des directeurs d’écoles communales et privées, présidée par un inspecteur primaire délégué de la Direction de l’Enseignement, est fixée au 29 août, à 17 heures, pour donner les ultimes renseignements.

Il n’aura d’ailleurs pas à regretter cette décision, des renseignements ultérieurs ayant appris que les enfants des écoles, hébergés dans la région vendômoise, ont été dans des conditions lamentables.

Immédiatement après la réunion, le Comité et la Direction recherchent un lieu d’évacuation, notamment auprès du Consistoire et des (Euvres israélites ; de vagues pourparlers n’aboutissent pas, notamment avec Madame Gamzon.

Le 30 août

A tout hasard, Madame Aron interroge M. Edmond Bernheim, de la maison Bernheim Frères & Fils ; celui-ci, au bout de quelques instants, signale un domaine à Crocq, qu’il est chargé de vendre ou de louer.

Le propriétaire, M. de Beauverger, à jadis été en rapports avec M. Leven, pour des œuvres de vacances de l’Alliance Israélite, mais les pourparlers n’ont pas abouti, L’autorité préfectorale ayant refusé.

M. de Beauverger, pressenti par M. Bernheim, accepte en principe de recevoir le Refuge.

Sans attendre L’autorisation préfectorale, M. Aron part le soir même visiter la propriété, et voir si elle convient.

La journée, au Refuge, se passe ä préparer les bagages, beaucoup plus importants, nécessités par un départ de ce genre : linge de toute sorte, étoffes, matériel, livres, infirmerie.

On prévoit le départ lui-même : la Direction du réseau Sud-Ouest, maitresse des horaires, des trains J’ avant la Mobilisation, conseille de partir sans attendre ; ensuite, l’autorité militaire donnera la priorité aux transports militaires, compliquant les voyages civils.

Le 31 août

A Neuilly, on continue les préparatifs.

On fait aux Chemins de Fer la demande de billet collectif et de wagons, pour le 1re septembre.

On travaille fiévreusement aux bagages, au milieu des multiples coups de téléphone des membres du Comité, des parents, des amis

On avise les parents du départ probable.

Mme Kohn, vice-présidente du Comité, agissant au Ministère de L’intérieur par M. Durafour, obtient instantanément l’autorisation du Préfet de la Creuse (sans savoir si le domaine convient).

 M. Aron, arrivant à Létrade à 8 h, est à Crocq 9 h 30 ; I ’agent voyer chargé de faire visiter est déjà mobilisé et parti ; le gardien du château de M. de Beauverger, très aimablement, fait les honneurs et donne tous renseignements.

 Le domaine, abandonné depuis près de trois ans, est possible, mais à besoin d’une sérieuse remise en état ; vu l’urgence, et la belle saison, le Refuge pourra s’y installer ; on sera quelque peu serré.

La ville de Crocq, chef-lieu de canton, semble offrir les ressources indispensables ; l’eau, excellente, abonde ; la région semble superbe et saine.

Sans savoir si L’autorisation préfectorale est accordée, M. Aron voit les artisans intéressés pour les remises en état les plus urgentes… révision du fourneau de cuisine très délabré, installation clé, lavabos totalement inexistants, retuise en état des WC., ouverture de portes et de fenêtres détériorées, réinstallation de I ’eau et de l’électricité. Chacun de ces artisans se tiendra prot immédiatetnent, en cas d’arrivée rapide.

 On prévoit la livraison de paille de couchage, clés péronières denrées alimentaires, du transport de la gare de Létrade à Crocq par le service d’autocar. à 3 h, M. Aron quitte Crocq, est de retour Neuilly dans la nuit.

Le 1er septembre

La mobilisation générale est annoncée, pour le 2 septembre minuit… Dès le retour de M. Aron, les ordres définitifs de départ Sont donnés pour le soir même, dernier jour de voyage direct. On achève les bagages, qu’une entreprise de déménagement vient enlever.

M. Aron les conduit à la gare d’Austerlitz, ou il retire le billet collectif pour 107 personnes ; le service des bagages, affolé par les 103 colis et les 2800 kilos, fait donner un wagon que, avec la voiture de déménagement, nous allons charger nous-mêmes à la gare de Bercy.

Repas de fortune, la plus grande partie du matériel étant partie.

L’après-midi, Parloir, convoqué exceptionnellement… émotion, larmes…

Puis réunion générale en vue du départ : formation de petits groupes, les petites étant confiées aux grandes, recommandations…

Les membres du personnel, dont certains sont en vacances, ont en général rejoint leur poste ; Mme Dufour, cuisinière, rejoindra ä Crocq ; Mme Germain, professeur de Haute couture, nous suit avec sa sœur et sa fille ; Mme Grauer, institutrice, vient avec sa fille.

Par contre, M. et Mme Pradel ; bien que revenus spécialement de vacances, ne se décident, ni ä rester ä Neuilly pour garder la maison (faute d’abris), ni ä accompagner le Refuge ä Crocq ; au moment du départ, il semble admis que M. Pradel nous rejoindra, que Mme Pradel attendra chez elle notre retour.

C’est vendredi : les grandes vont, une dernière fois, ä un émouvant Service ä la synagogue de Neuilly ; leur retour est hâtif, car l’éclairage est celui de guerre, précaire dans la maison comme dans les rues ; et il faut partir de bonne heure.

A 18 h, toutes se mettent en rangs… on ne devrait pas avoir de bagage, mais chacune à son Trésor… poupée, livre, sac… et puis les derniers colis presque oubliés…

On cherche des taxis pour ces colis : impossible d’en trouver un seul !

Et, ä 18 h 30, 107 personnes franchissent la grille du boulevard de la Saussaye…

L’évacuation du Refuge est commencée !

 Le Refuge va être Réfugié !

 L’immeuble sera gardé par M. Weyl (indiqué par I Mme Kohn), qui viendra s’y installer le lendemain avec sa famille.

Le 1er septembre (suite)

Le Refuge est évacué…

Le long du boulevard de la Saussaye, tout noir, une longue file, portant péniblement de lourds paquets, déambule péniblement ; les petites ont peur, les grandes font semblant d’être courageuses…

Au métro… Notre assistante, Mlle Meyer, infatigable, s’est occupé d’un billet collectif ; nous nous engouffrons dans une rame, et atteignons l’Etoile • changement pénible bien que le chef de gare le facilite en nous faisant traverser son bureau.

Dans une seconde rame, nous sommes écrasés terriblement… quelques diners passent mal…

Nous arrivons à Austerlitz, et, dans la foule immense, descendons l’escalier qui nous mène à l’entrée de la gare ; il est 20 h 45, le train doit partir à 22 h 50.

Dans une cohue indicible, canalisée par la police et les gardes, notre colonne échoue dans un couloir de métro conduisant vers l’intérieur de la gare. M. Aron s’échappe, fait mettre à sa disposition un agent de police, met plus d’une demi-heure à savoir où est le train, puis à rejoindre les enfants.

 Par un escalier dérobé, nous pouvons atteindre les quais.

 La cohue augmente : atmosphère de panique. ‘Les haut-parleurs hurlent… « Le jeune X… est perdu • qu’on le ramène à ses parents à tel endroit…

Nos petites se cramponnent aux grandes… Ne me perds pas, surtout Pros d’une demi-heure encore, et nous arrivons à J’extrémité du quai 3, ou nous nous effondrons sur les bagages que la famille Germain nous à aidé à porter.

Le train n’est pas à quai, il est 22h

Les petites s’endorment ; heureusement, il fait beau et chaud.

 Les haut-parleurs continuent à beugler. Enfants perdus.ee ne pas circuler sur les voies. Être prudents… annonce de trains problématiques.

Vers minuit 45, le train arrive à quai : quai archi bondé ; ruée vers les wagons ; naturellement de compartiments réservés.

Par une chance inouïe, les deux wagons de tété complétement hors des quais, restent à peu près vides, les enfants peuvent toutes trouver place, tant en 3e qu’en 2e, 1re, couchettes…

Le train s’emplit ä craquer, envahissement total de tout. Vers 2 h 30, il s’ébranle enfin : le Refuge et sa fortune ont quitté Paris !

Non ! Au bout de quelques heures, on s’aperçoit qu’un sac et deux valises (dont I ’une contient tous les papiers officiels des enfants, actes de naissance, passeports, cartes d’identité…) sont restés sur le quai !

Le 2 septembre

 Le train roule ; dans les compartiments, on sommeille plus ou moins… quelques malades… Dans les couloirs, qui se bourrent davantage ä chaque arrêt, il n’y à guère ä songer ä bouger.

 On apprend que le train qui nous suit à été télescopé : pas mal de victimes, notamment des enfants.

On doit arriver ä Létrade ä 8 h 15 ; vers midi et demi, le train s’y arrête : descente rapide et bien réglée du contenu des wagons, gens et paquets…

Nous sortons de la gare de Létrade, qui dessert Crocq, distant de 12 kilomètres.

Pas d’autocar… La mobilisation et la réquisition ont pris conducteurs et voitures.

Le temps est superbe : on s’installe sur le bord de la route ensoleillée ; on tire des sacs un casse-croûte suffisant (bien qu’une partie soit dans les bagages oubliés sur le quai de Paris) ; on déjeune ; un café voisin fournit une boisson chaude.

Pendant ce temps, le chef de gare et M. Aron alertent la gendarmerie et la mairie de Crocq, qui font appel à toutes les bonnes volontés pour venir nous chercher ; on télégraphie au chef de gare de Paris Austerlitz pour qu’il essaye de retrouver, et de nous renvoyer les précieux colis oubliés.

Vers 2 heures, une longue théorie d’autos de toute sorte, voitures particulières, voitures de livraison, camionnettes, dirigée par le notaire-conseiller général Marlin, Vient prendre une partie d’entre nous ; certaines de ces voitures feront deux ou trois voyages pour amener toutes et tout.

Tous le font bénévolement, n’acceptent aucun paiement.

Et nos autos nous conduisent ä Crocq, ä l’intérieur du Domaine des Granges.

1l est 3 h…

Nous arrivons chez nous !

 CROCQ (prononcer Crô), altitude 700-768 mètres ; sur la Tardes, petit affluent de la Creuse ; chef-lieu de canton de L’arrondissement d’Aubusson ; 800 habitants en temps normal, y compris les hameaux.

 Habitants : les Crocquants (nom donné par nous, tout au moins). Non ! nom absolument officiel, et ä l’origine du mot croquant

A comme principale importance son rôle de chef-lieu, car il n’est ni sur le chemin de fer (desservi par les stations de Létrade, ligne de Montluçon ä Eygurande, et de Felletin, ligne du Moutier d’Ahun ä Ussel, ä 15 km), ni sur une route nationale (la plus proche, NO 141 de Limoges ä Clermont, passe ä 6 km).

Comme monuments, un château, au point culminant, dont il ne reste que deux tours en ruine ; un château assez moderne, sans style, appartenant ä la famille Cornudet (propriétaire actuel, M. de Beauverger, gendre du comte Cornudet, ancien sénateur) dont dépend une chapelle sans style ; un dolmen imposant.

A part les habitations obligatoires d’un chef-lieu de canton (gendarmerie, perception, justice de paix, notaire) quelques commerçants assez bien achalandés dont 3 épiciers, 3 quincailliers, 3 bouchers, 3 boulangers, 2 coiffeurs, 2 médecins, 1 pharmacien ;

 L’école communale comprend 3 classes et à une cantine scolaire.

Commune Pauvre :une usine de traitement de poils de lapin, réserve de peaux, avec scierie jointe des fermes, appartenant en majorité à la famille Cornudet ; troupeaux de vaches, basses-cours ; prés pas de culture

Région très pittoresque, très mamelonnée, à L’extrémité du plateau de Millevaches. Routes très sinueuses, constamment en pente.

 Eau abondante, bien que les nappes se tarissent par les étés chauds ; bois peu importants, mais nombreux ; broussaille (ronce, genet, fougères…) ; peu d’animaux sauvages.

Marché le samedi (œufs, beurre, fromages de pays, volailles) ; foire une fois par mois, un peu plus fournie que le marché, avec bœufs, porcs, étalages de linge, pâtisserie venant de lieux circonvoisins.

Service journalier d’autocars pour Aubusson, Létrade, Felletin.

La propriété des GRANGES, appartenant ä la famille Cornudet, est ä la sortie Sud-Est de Crocq ; le domaine, entre la lisière sud du bourg, la route de la Courtine et celle du Naberon, comprend la FERME-ECOLE ou nous habitons, une ferme et ses dépendances, attenante, et une autre grande maison ; un chemin privé le traverse ; un boqueteau très embroussaillé borde la route de la Courtine.

La FERME-ECOLE à été construite vers 1910 pour servir d’Ecole pratique d’Agriculture interdépartementale, avec une cinquantaine d’élèves ; elle n’a servi que quelques années ä cet usage, la région n’ayant pas les débouchés nécessaires ; plus tard, elle à été louée quelque temps par le Docteur Beaufort, qui en à fait une Maison de cure climatique

 En 1939, elle était abandonnée depuis plus de 3 ans.

C’est un grand bâtiment rectangulaire ä un étage avec grenier recouvrant toute la surface ; caves partielles, inutilisables parce qu’inondées très fréquentent.

Devant, jusqu’ä la route privée, un ancien jardin en friche ; au-delà, le boqueteau ; à droite, la ferme, séparée par une cour herbeuse ; ä gauche une étroite bande de terrain sépare de la route du Naberon, légèrement en contrebas ; derrière, l’étable et un pré, séparés par le chemin d’Access la ferme,

Orientation Nord/Nord-ouest, Sud/Sud-Est ; la plupart des dortoirs donne Ouest/Sud-Ouest.

Sur la façade, entrée principale au milieu, légèrement surélevée ; entrée de la « direction » l’extrême gauche ; derrière, porte de cuisine à l’extrême droite. 15 fenêtres à chaque étage, devant et derrière ; 2 sur les côtés, sauf côté cuisine.

 Quelques rosiers grimpants, perdus dans les herbes.

Barrières très abimées séparant de la ferme.

LA MAISON, NOTRE ARRIVÉE…

 La grande porte d’entrée, ä fermeture cassée et rouillée, ne peut être ouverte ; il faudra faire sauter la barre et la crémone.

 à l’intérieur, humidité générale, plâtras qui tombent, boiseries qui se détachent.

 Rez-de-chaussée

Un grand couloir va du logement du Directeur, ä gauche, ä l’office, ä droite ; sous trois fenêtres, placards fermés.

Couloir glacial, nid de courants d’air terrible.

 Donnent sur ce couloir, par la gauche

 Appartement du Directeur : salon avec cheminée, 4 chaises, un canapé, grand placard (deviendra réserve générale) ; ce salon donne sur le…

Bureau du Directeur, pièce d’angle ä 2 fenêtres, avec casiers muraux, bureau, radiateur, cheminée ; (restera bureau-chambre ä coucher de la Direction).

Le bureau donne sur…

Salle ä manger carrelée, pièce d’angle sur l’arrière avec armoire, cheminée, poêle, radiateur (deviendra salle de classe, d’étude).

Un petit dégagement en sort, vers…

Cuisine avec évier et cheminée (deviendra salle de toilette de la direction et des petites) et vers…

Couloir donnant accès une petite cave, la chaudière du chauffage central, un WC., l’escalier de service de la Direction et porte sur le grand couloir.

 Deux pièces se commandant, en profondeur, la première sans fenêtrer, la seconde sur L’arrière avec radiateur et sortie pros des W.-C. du petit couloir (deviendra chambres des Pradel, puis dortoir et Salle de jeux des toutes petites).

 Un cabinet noir, avec casiers et 2 portes donnant sur 2 chambres de personnel chacune avec radiateur, table de toilette ä eau courante, commode (serviront, le cabinet noir aux affaires des enfants, les chambres, rune ä Mme Grauer et ä sa fille, l’autre à la famille Dupont)

 Une très grande pièce avec 2 fenêtres, casiers muraux, armoire, poêle (servira d’atelier-lingerie)

Le grand escalier, en face de la porte principale

 La salle de bain du directeur, sans aucune installation (deviendra lavabo) ; une entrée de cave.

 Un réduit avec deux grands placards faisant toute la longueur, donnant par une lucarne sur la salle de bain (deviendra lingerie)

Un immense réfectoire, ä 3 fenêtres, avec 4 tables et 8 bancs, casiers sur l’un des murs, dallé

Une plongerie pour la vaisselle, avec bac, tablette donnant sur un petit couloir entre le réfectoire et la cuisine ; en face, un office avec table (deviendra réserve de vivres)

. Un autre office, avec grande armoire, planches, ouvre sur la cuisine ; celle-ci, avec ouverture sur l’arriéré et cloche attenante, à un fourneau en état lamentable, grande table

 à l’extrémité du grand couloir, un emplacement de petit lavabo, disparu, et deux W.-C.

 Le couloir est cimenté sur toute sa longueur, et coupé par 2 portes, l’une avant la lingerie, l’autre avant le dernier office. Compteur électrique pros de la porte d’entrée.

1er ÉTAGE

 En montant le grand escalier…

a Gauche, couloir sur le devant, desservant

5 grands dortoirs, NO 1 ä 5

— et une sixième pièce, coupée en deux ; la première, avec fenêtre sur la face droite de la maison, servira d’abord de chambre des plus grandes élevés, puis de salle de classe ; la seconde, au fond, donnant sur l’arrière avec cheminée, commode, serà la chambre de Mlle Albauld, surveillante.

au fond du couloir, deux W.-C.

 • à Droite, grande porte fermant la suite du grand escalier, montant au grenier

 Chambre fermant le couloir, avec armoire à glace (Mlle Lacheze, surveillante)

 Entrée d’un petit couloir allant rejoindre l’escalier de la direction… dans ce couloir…

a droite, 4 pièces sur l’arriéré ; la première  communique avec une pièce située derrière le grand escalier (bientôt occupée par les élèves de plus de 18 ans) ; les Ire, 2e, 4e pièces deviendront les dortoirs 6 ä 8 ; la 3e serà la classe de dessin de Mlle Dupont, et servira d’étude

 ä gauche, 4 pièces, sur le devant, serviront de chambres de personnel (Mme Minc, Jardinière d’Enfants M. Ménaché, homme de peine Mlle Hirtz, surveillante Mme Germain, sa sœur et sa fille).

Sur le palier de l’escalier de la direction :

Ä droite, chambre sur L’arrière (Mme Dufour et Mlle Melloul, surveillante).

 Après l’escalier, ä droite, pièce avec toilette (Mlle Van Dantzig, infirmière).

 au fond, deux pièces d’angle, chacune ä 2 fenêtres, celle d’arriéré avec lavabo cheminées, anciennes chambres ä coucher de la direction (servent, la première, d’infirmerie annexe, l’autre d’infirmerie habituelle)

 — ä gauche, pièce avec cheminée (infirmerie) commandant une petite pièce avec grands placards, ancienne lingerie de la direction (devient salle de soins).

2e ÉTAGE GRENIER

 Tout en charpente, vaste, très aéré par trois fenêtres de chaque côté, divisé en plusieurs parties.

Il servira, sauf par les plus grands froids, pour étendre le linge à sécher ; une ou deux petits pieces sont réservées pour des emballages ou des réserves.

Dans le grenier, quelques chaises détériorées, une quarantaine de fers de lits, quelques bois de lit, 22 matelas, quelques poêles ; bois et ferraille, paravents…

Il n’y à aucun volet aux fenêtres.

Le 2 septembre (suite)

 Il est 3 heures… Nous arrivons chez nous !

En mémé temps que nous pénètrent aux Granges d’autres personnes, aussi chargées que nous : des dizaines d’habitants de Crocq nous attendent ou accourent, qui avec deux couvertures, un matelas  qui avec une boite de conserve ou de biscuits… un boucher apporte dix kilos de bœuf, un épicier des légumes frais, un autre dix litres de vin…

Mme Ortholan, femme du pharmacien, Mme Dumas, hôtelière et une troisième dame viennent nous aviser que nous n’avons pas ä nous préoccuper de notre diner : elles vont le faire, ä la cantine scolaire, ou nous trouverons également le pain.

 Et M. Hubert, Maire, vient nous dire sa désolation de n’avoir pas été prévenu plus tôt, pour préparer notre arrivée.

M. Marlin, après avoir terminé ses voyages entre la gare et les Granges, revient avec une auto pleine de couvertures.

Nos enfants sont effarées ; tout le personnel à les larmes aux yeux de cet accueil inimaginable.

Pendant que les enfants se reposent sur l’herbe, on fait l’indispensable pour pouvoir coucher le soir dans la maison : c’est, pour l’instant, notre seule ambition.

Le gardien du château, qui ne nous quittera guère pendant plusieurs jours, donne tous renseignements, ouvre la grande porte d’entrée, aide ä trimballer bancs, tables, matelas et lits

 ; Les artisans, alertés d’urgence, font les premiers travaux, bien que privés de la plupart de leurs moyens par la réquisition et la mobilisation

: M. Dubois, plombier-serrurier-fumiste-fontainier (etc. !) répare quelques tuyaux par trop crevés et nous ouvre une partie de l’eau (Il y a deux conduites, l’une de la Ville, l’autre du domaine) ; il commence ä réparer le fourneau de cuisine, inutilisable ; il ouvre certaines portes ou fenêtres récalcitrantes.

L’électricien commence ä vérifier l’installation, bien compliquée (Il y a trois secteurs).

 Les WC. Sont débouchés, et mis en état de fonctionner

Premier achat : des balais, et les plus courageuses des filles font un rapide nettoyage des planchers.

La ferme nous fournit des bottes de paille, distribuées entre les 5 premiers dortoirs, et vivement étalées (ou non étalées ! ) ; du grenier, des dons des habitants, des bagages personnels, quelques couvertures sont jetées sur cette paille… On est trop fatigué pour en faire davantage.

En fin d’après-midi, on va, en deux séries faute de place, ä la cantine scolaire : les trois dames, Mlle Goumy, Directrice de l’école, et ses institutrices sont là, préparant diner et couvert ; une excellente soupe, un légume, un fruit, le tout offert dans le matériel de la cantine, augmenté par des prêts du Central Hôtel. Repas en commun, naturellement.

Quelques grandes lavent la vaisselle, et, ä 7 h, tout le Refuge est rentré, et se couche… M. Aron en est ä sa troisième nuit de voyage, tout le personnel est sur les dents depuis quatre jours, les enfants debout depuis la veille ä 6 h 30…

Paille et matelas semblent doux.

Et puis, nous sommes tranquilles pour le proche avenir : la cantine scolaire est laissée ä notre disposition tant que notre installation ne sera pas suffisante pour nous permettre de faire la cuisine chez nous.

En arrivant ä Crocq, nous trouvons plusieurs familles de nos élèves déjà arrivées : Mme Melloul, les Sirback, les Bakalia ; ces derniers (ä quatre) émettent la prétention que nous les hébergions. Nous nous y refusons énergiquement, et n’aurons pas ä le regretter.

Le 3 septembre

 Tout en profitant de la cantine, nous faisons nos repas nous-mêmes : Mlle Lachéze se fait Cordon Bleu ; les repas continuent ä se faire en deux séries, ce qui décale pas mal les heures.

 Le matin, il faut chercher le lait (20 litres) au Naberon, ä 2 km ; on achète des brocs ; M. Marlin nous y emmené en auto pour nous entendre avec les fermiers, et rapporter le lait.

 On travaille ä la maison : nettoyage des tables ; préparation de peinture bleue pour les vitres ou les lampes, en prévision d’alertes bien peu probables

. Un coup de téléphone de la gare annonce l’arrivée du wagon de bagages. Comment les chercher ??

Un marchand de charbon prête un camion vétuste, qui à échappé à la réquisition ; l’épicier Grouffaud s’offre pour le conduire.

 Les portières ne ferment pas : dès le départ, une vitre se casse dans la main du chauffeur, qui à l’extrémité du doigt coupée, et une petite artère du bras atteinte ; retour chez le Docteur Robin, qui fait un pansement (et donne une idée peu brillante de ses qualités) ; puis M. Grouffaud tient ä reprendre le volant ; on repart ä Létrade.

 Les 102 colis, arrivés ä Crocq, sont joyeusement déchargés, mis ä l’atelier ; on les déballe : ce soir, on pourra commencer ä changer de linge ! Et chacune aura au moins une couverture.

Comme c’est dimanche, les ouvriers ne travaillent pas ä la maison.

Petite promenade en Ville, et coucher de bonne heure : on est encore fatigué.

En Ville, on est en pleine réquisition des chevaux ; il y en à pour trois jours.

 Le 4 septembre

 Les ouvriers reviennent ; le fourneau devient présentable.

 On donne le courant électrique. On travaille aux canalisations, bouchées ou percées, pour nous donner la seconde source d’eau.

 Par le Maire, nous avons deux femmes du pays qui laveront notre linge au lavoir (25 F par jour de travail pour chacune, 4 fois par semaine) ; achat d ‘une lessiveuse.

 Deux habitants du bourg, qui n’ont rien ä nous offrir, donnent, l’un 300 francs, l’autre 100 francs.

 Au milieu de l’hilarité générale, nous voyons arriver, dans une vieille guimbarde, noyés dans leurs bagages, Mme Hélène, M. Frédéric et Mao

. Mme Héléne n’a pu se résoudre ä abandonner son mari » qui était décidé ä venir.

Dès le début, accrochage : ils sont scandalisés de prendre leurs repas ä la table des enfants, d’avoir de Léau comme boisson. M. Frédéric est, depuis le début de la mobilisation, dans un état d’énervement et de dépression invraisemblable.

Le 5 septembre

 Le fourneau est en état de marche ; on achète du charbon, on cherche du bois aux alentours, au hasard des promenades.

Nous demandons ä Mme Melloul d’aider ä la préparation des repas.

M. Lubois étudie l’installation du lavabo : dans un hangar de la ferme, on retrouve un bac ayant servi ä un ancien lavabo, mais il est trop long pour la pièce où nous voulons le mettre, et la fixation n’est pas la même ; on fera les ajustements nécessaires. On en signale un autre ä l’Usine, mais malgré nos efforts, il est impossible de l’avoir.

Il faudra donc en faire un second, car l’ancien ne suffira pas.

En attendant, tout le Refuge utilise les deux robinets des deux cuisines, et les deux toilettes de L’infirmerie !!

 Nous commençons les emplettes d’alimentation, sans difficultés : quelque choix, et prix acceptables.

On va au lait ä pied : fatigant et peu pratique.

 Le 6 septembre

Arrivée, dans leur voiture, de la famille Dupont : Monsieur, Madame, Mademoiselle et Vorant, avec leurs bagages.

Nos deux autos sont garées au château

. Celle des Pradel permet, après achat de pots spéciaux, d’aller chercher le lait.

 Nous louons un fourneau Butagaz pour compléter l’installation de cuisine : pour commencer, il sert pour le petit déjeuner, que nous prenons aux Granges sous la forme d’un succulent chocolat. Nous continuons ä déjeuner ä la cantine, et le fourneau n’est allumé qu’ä 4 h pour le diner, pris également ä la maison.

 Les Pradel promènent leur bouteille de vin, s’écartent ä table, se scandalisent d’avoir les mémés portions que les enfants (et les directeurs).

 Les souris pullulent : achat de mort-aux-rats ; avec Mao et Vorant, les dégâts seront limités ä quelques papiers rongés…

 L’atelier de couture est installé, sous la direction de Mme Germain, assistée de Mlle Lachôze ; Germaine Ménaché s’occupe de la lingerie.

Le 7 septembre

L’atelier commence faire des paillasses, avec deux sacs à linge cousus, et des sacs de couchage avec de vieux draps de lit ; la distribution en sera faite, par dortoir complet, au fur et à mesure de leur finition. Cela oblige à augmenter le nombre de dortoirs, porté de cinq à sept, puis à huit

. En mémé temps, on assure Ie raccommodage et on fait des tabliers roses qui remplaceront les noirs d’antan.

M. Frédéric ne dort plus, ne mange plus ; il va, sur l’ordre de la direction, voir le Docteur Robin qui le trouve seulement nerveux et agité !

 Le 8 septembre

Nouvel incident avec les Pradel, qui ne veulent pas prendre leur repas en mémé temps que les enfants : cette fois, c’est M. Frédéric qui décide de se retirer dans sa famille ; Mme Héléne le suit, disant qu’elle reviendra bientôt ; et un départ qui est une vraie fuite… IlS n’ont pas l’essence nécessaire, mais partent quand même.

Arrivée de Mme Dufour, qui prend possession de son fourneau.

 Le 9 septembre

M. Carrazé, chauffeur du car qui à repris le service de Létrade, annonce le retour des sacs et valises oubliés sur le quai de Paris, et retrouvés par le chef de gare. La direction pousse un « Ouf » de soulagement en recevant les papiers d’identité de chacune.

Le 10 septembre

Mme Melloul est hébergée à la maison, ou elle aidera Mme Dufour à la cuisine.

Le 11 septembre

 Foire… Elle déçoit nos parisiennes, attendant plus de mouvement et de boutiques ; mais on apprécie un pâtissier d’Aubusson, qui se fera notre fournisseur à chaque foire.

 Recherche de tables et bancs, qui permettront de ne faire qu’un seul service : dans une remise du château, nous trouvons deux grandes tables et deux bancs qui, nettoyés sérieusement, serviront ; le menuisier Souchard nous vend, pour 150 francs une très grande table et ses deux bancs, qui servaient à un atelier de coiffure.

 Avec cela, nous avons suffisamment pour que toutes puissent prendre les repas ensemble ; les bancs manquants sont provisoirement remplacés par des planches sur deux chaises, planches trouvées au grenier ou coupées dans l’anciennes portes.

 Le blanchissage marche à notre satisfaction : les deux femmes lavent, le mari de L’une d’elles apporte les ballots de linger se fait payer et va boire une partie de l’argent.

Le 12 septembre

 Il est convenu que M. Dupont, artiste sculpteur sur bois, se charge de la menuiserie de la maison ; Mme Dupont s’occupe du ravitaillement et des courses en ville Mlle Dupont, de ses cours de dessin et du service du lait ; elle est le « chauffeur » de la maison.

 Avec Mme Grauer, nous cherchons en vain le poisson symbolique, le miel de Rosh-Hashana… Une petite pomme est enfin trouvée, et la confiture remplacera le miel !!

L’installation des lavabos avance très lentement, le plombier n’étant jamais libre et manquant de matériel.

 Le 13 septembre

Rosh-Hashana… Le service religieux se fait, comme chaque vendredi, dans l’atelier drapé de blanc, orné de fleurs ; c’est principalement Mme Grauer qui lit les prières ; les chœurs fonctionnent comme ä Neuilly, avec plus d’émotion peut-être.

 Nous abandonnons la cantine scolaire, pour être complétement chez nous.

 Le 14 septembre

 Chaque enfant reçoit un cadeau (jouet, crayon, parure) … échange de vœux, de cartes.

Déjeuner soigné, avec cidre doux de la ferme.

Après le service du matin, promenades.

Le 15 septembre

 En vue d’organiser la rentrée scolaire, Mme Aron va voir Mlle Goutny, La situation est embarrassante, deux maitres sur quatre étant mobilisés. Avec notre apport proposé de 40 enfants, il faudrait une classe supplémentaire ; et la place manque.

. On envisage les possibilités, afin que nos filles ne soient pas réduites à nos seuls moyens.

 Mme Grauer est poussée à poser sa candidature de maitresse suppléante à l’école : elle prépare son dossier, envoyé à Guéret ; elle s’occuperait de la classe du certificat d’études.

 Comme local, nous proposons une salle des Granges ; cela ne sera pas possible, en raison de la responsabilité de Mlle Goumy qui ne pourrait pas surveiller. Par la suite, on supprimerà la cantine scolaire qui deviendra classe supplémentaire.

 Le 16 septembre

Par l’étourderie d’une des filles, qui renverse le tiroir de la machine à coudre et balaye ensuite, une pièce indispensable est perdue… arrêt de la fabrication des paillasses et sacs de couchage ; on fait, ä la main, tabliers et raccommodages.

 Les lampes bleues éclairant trop peu, on fait des rideaux opaques en tissu.

Achat de grands paniers, pour rapporter les denrées achetées en ville (pain, légumes, fruits, viande, épicerie…). Petit à petit, nous ferons livrer la plus grande partie de ces denrées ; par la belle saison, ces courses sont appréciées.

Le 17 septembre

Les sorties continuent aux environs, en plusieurs groupes dirigés par l’un des professeurs, l’une des surveillantes, ou l’un des Directeurs.

 Le lavabo en est toujours au stade pourparlers ! Le bas trouvé la ferme sera coupé et mis contre le mur ; un autre sera fait pour le milieu de la pièce : cela permettrà la toilette simultanée de 25 enfants… mais quand ???

Le chauffage pour l’hiver est également ä l’étude : Il y a un chauffage central, avec chaudière peu pratique, tuyaux de dégagement en dentelle : il doit chauffer les pièces du bas de L’ancien apparentent de la direction, ainsi que les chambres des toutes petites, et celles des Dupont et de Mme Grauer ; tuais aucun spécialiste pour le retuettre en état ; on essaye, sans succès, d’en faire venir d’l’Aubusson et de Clermont-Ferrand.

Dans diverses chambres, Il y a des poêles, notamment à la lingerie ; on en met un, trouvé au grenier, au réfectoire. L’infirmerie reçoit les autres.

Le 18 septembre

Premier voyage à Aubusson, en car, par M. Aron et Mme Germain.

 Achat d’étoffe pour les fenêtres, de matériel de classe et de dessin.

On essaye en vain de trouver la pièce de la machine Singer : il faudrà la commander ä Paris, ce qui prolongerà la panne.

 Le 19 septembre

Sortie ; des groupes vont au dolmen imposant.

Le 20 septembre

 Les fermiers battant le blé et l’avoine, quelques-unes en profitent pour remplir des paillasses de balle d’avoine : cela semble plus moelleux, mais c’est lourd.

D’autres des enfants aident les paysans ä l’arrachage des pommes de terre, ä garder vaches et moutons : nous continuerons dans la mesure de nos possibilités.

 On commence ä acheter des galoches, en vue de I ‘hiver.

 Le 21 septembre

 Sortie générale l’après-midi.

Le 22 septembre

Les pourparlers en vue de l’entrée ä l’école semblant sans suite, nous faisons une démarche ä la Préfecture.

Soir de Kippour : sauf prescription médicale, les grandes jeûnent ; quelques petites veulent en faire autant.

Office, dirigé par M. Aron ; coucher de bonne heure.

Pauline Ménaché demande ä venir avec son père, les bureaux de l’Alliance Israélite ne l’occupant plus. Nous acceptons en raison de sa bonne réputation ; le père remplacera M. Frédéric pour les gros travaux.

Le 23 septembre

Kippour : journée très calme en raison du jeûne ; offices une partie de la journée. Le soir, repas copieux : les toutes petites, qui n’ont pas jeuné, le supportent assez mal !

 M. Dupont fabrique tables, bancs, étagères, rafistole des fenêtres et des portes ; nous avons des planches par le menuisier, à prix modéré.

Les salles d’étude et de classe sont prêtes.

Le 24 septembre

Un concours occupe quelques groupes : il s’agit d’écrire Domaine des Granges » sans utiliser papier, crayon, encre… Des quantités d’idées et de réalisations… produits naturels de toute sorte, chocolat, œufs, couture, etc.

Le 25 septembre

 Sortie de presque toutes, en groupes.

 On commence ä acheter des galoches en vue de I ‘hiver.

 Le 26 septembre

 Arrivée de M. Ménaché et de Pauline : celle-ci sera occupée ä l’atelier, ä la surveillance de la toilette.

Le 27 septembre

Installation de la souccah dans le jardin : des draps attachés ä des arbres, un toit de branches desquelles pendent des fruits… melon, poires, raisin, banane ; choux, poireaux, tomate, pomme de terre…

Les murs sont ornés de branchages, petits fruits.

 Deux drapeaux français, pour la circonstance… M. Ménaché officie, distribue le vin (achat rare) !

Le 28 septembre

Suite des cérémonies de Souccoth ; grand déjeuner.

M. Aron, trompé par des indications inexactes de la Mairie et de la gendarmerie sur les pièces d’identité à posséder par chacune, prend en série des photos qui seront peu utiles ; des cartes d’identité sont changées, bien qu’en bonne et due forme, contre des récépissés qu’il sera bien difficile de remplacer.

Le chauffage central semble pouvoir être remis en état par notre plombier ; on envisage d’augmenter le nombre de radiateurs, ce que le Docteur Beaufort croit possible. Il faudra vite y renoncer ä cause de la dépense, et de la difficulté de se procurer les fournitures.

 Le Docteur Beaufort est pris comme médecin du Refuge ; il à excellente réputation, est tout ä fait voisin, est très complaisant, et déclare qu’il travaillera ä prix très réduit.

 L’état de santé est du reste excellent, et l’infirmerie ä peu pros vide en permanence : surtout des indigestions, dues aux pommes pas mures ; par contre, des mûres en quantité.

 Le 29 septembre

Représentation… bien compliquée comme rideau dont le fonctionnement sera le plus important de la pièce

• Elle à lieu dans l’atelier. Réalisation encore bien médiocre, et choix du sujet lugubre… On fera mieux la prochaine fois…

 M. Aron part ä Neuilly : il faut rapporter toutes les couvertures, beaucoup de linge, des livres de classe, des objets d’infirmerie, une seconde machine ä coudre (la pièce perdue de la première Vient d’être remplacée), bien d’autres objets.

 Mlle Hirtz, qui à affaire ä Paris, part avec lui.

Le 30 septembre

M. Aron arrive à Neuilly ; M. Weyl étant étranger n’a pu rester à garder le Refuge ; la concierge du 37, rue de Chézy est chargée d’une vague surveillance, qu’elle n’assure guère. Commencement d’inondation dans une cave. On rétablit la lumière ; faute de volets partout et de lumière bleue, les heures de travail seront limitées. Le téléphone recommence marcher : on s’en passait si bien depuis un mois !!

QUELQUES PRIX DE SEPTEMBRE

Pain 2,95 F le kg

 Viande (bons morceaux) 13

Œufs 5 la douzaine

Pommes de terre 45 les 100kg

Fromage (Port-Salut) 11 le kg

Lait 1 le litre

Huile d’arachide 7,25 le kg

Pâtes 7.60 le kilo

Beurre 14

Sardines l’huile la boite 8,20 –

Charbon (boulets) 42 les 100 kg

EMPLOI DU TEMPS TYPE

7h Lever

 7 h 45 Petit déjeuner (chocolat)

8h Fin du déjeuner, nettoyage des tables

 8 h 15 . Entretien de la maison

9 h 15 Atelier : couture, raccommodage

11 h 15 Jeux

11 h 45 … Préparation de la table

 12 h Déjeuner 12 h 30 … Fin du déjeuner, nettoyage du réfectoire

 13 h Fin de la vaisselle

13 h 30 Sortie, ou atelier, ou jeux

16 h.. . Lits, préparation des dortoirs

16 h 30 Goûter

17 h.. . Jeux

18 h 45 … Préparation de la table

19 h ……. Diner

 19 h 30 Fin du diner, vaisselle

20 h 15 coucher des petites

 21 h …e…. Coucher des grandes

En raison de la pénurie de lavabos, la toilette s’échelonnait de 7 h à 9 h.

Le 1er Octobre

Dimanche .. à Neuilly. M Aron ouvre toutes les armories afin de faire un tri

Mme Melloul est engagée dans le personnel régulier

Le matin, Mme Grauer reçoit une lettre de L’inspecteur Primaire, lui enjoignant de rejoindre le 2ieme Octobre au matin le poste qu’elle postulait.

Visite immédiate, avec Mme Aron, à Mlle Goumy. Mme Grauer reçoit la classe du certificat, et la rentrée n’aura lieu que le 2 après-midi, pour permettre l’organisation des classes entre les 5 institutrices ou instituteurs.

 Il est entendu que 40 de nos filles pourront fréquenter l’école… Joie des filles en question ä l’annonce de cette bonne nouvelle !

Nous n’attendions pas une décision si rapide : il faut tout mettre au point…

Toilette : Les écolières la feront le soir, les autres le matin.

 Lever : aura lieu ä 7 h les jours de classe, ä 7 h 30 les autres jours ; déjeuner 3/4 h plus tard (puis 1 h plus tard)

La question du lait est délicate ; impossible de le chercher le matin ; on le cherchera donc la veille.

Pour le 2, on prendra de la soupe (comme ä Neuilly).

Classes et études : Pour celles qui ne vont pas ä l’école, des cours sont faits par Mme Aron, dans la salle voisine du bureau ; les devoirs sont faits, partie dans cette salle, partie dans la classe de dessin, partie ä l’atelier.

Services : Ils sont faits uniquement par celles qui ne vont pas ä l’école (une vingtaine, en fait).

Atelier : Les jeudis et dimanches matin, toutes font leur raccommodage ; les autres jours, les non-écolières seules travaillent à l’atelier.

 Pauline et Mia se chargent de l’accompagnement des écolières : heures de classe : de 8 h 1/2 ä 11 h 1/2 et de 1 h à 4 h ; ces heures seront du reste des plus fantaisistes, car on attend les enfants venant des hameaux jusque vers 9 h 10, et la sortie s’étale sur une demi-heure.

Le 2 octobre

 M. Aron travaille à Neuilly.

 Le matin, Mme Grauer va prendre contact ; au refuge, grand branle-bas : il faut réunir le peu d’objets de classe que chacune posse\de ; on suppute ce que M. Aron rapportera.

A midi 45, toutes sont prêtes au départ, pour une nouvelle phase de leur existence, attendue avec impatience (c’est la première fois depuis la fondation du Refuge que nos enfants vont à l’école communale).

 Très vite, nos filles se montrent plus vives, plus brillantes que leurs camarades campagnardes, sans avoir plus de fond ; les classes mixtes charment nos enfants, bien que les récréations soient séparées.

 De ce brillant apparent nait quelque vanité, risquant de créer une mésentente : Mme Aron doit faire comprendre aux enfants que brillant et valeur font deux et qu’il faut s’exercer ä la tolérance, notamment question religion car des propos entendus manquent d’aménité.

 Et les écolières suivent la classe avec peu de matériel : valise au lieu de serviette, et pas de livres (ils mettront plus d’un mois ä arriver).

La classe du certificat (Ire) et la classe supérieure font de leur mieux, sans matériel, et n’ayant que Mme Grauer ; car Mlle Goumy, qui prend le cours supérieur, doit au début organiser la direction de l’école (et le secrétariat de mairie). Quand elle assistera aux leçons de Mme Grauer, Mlle Goumy ne dissimule pas qu’elle apprend beaucoup.

 Le 3 octobre

L’organisation des classes fonctionne correctement. M. Aron fait des courses ä Paris.

 Le 4 octobre

M. Aron reçoit Mme Leven au Refuge. Il continue ä préparer ce qu’il veut emporter, aidé par Mlle Hirtz et par le fiancé de Pauline Ménaché.

On commence l’organisation des « bains » : le mercredi pour les non-écolières, avec eau chaude de la cuisine.

 Le 5 octobre

 Premier jeudi des écolières qui, leur tour, font leur toilette. Marie Znajdek, ramenée de Berck, rejoint Neuilly.

 Le 6 octobre

 à Neuilly, M. Aron, Mlle Hirtz, Mlle Meyer continuent à emballer ; visite de Mme Leven et de Mme Kohn ;

A Crocq, on continue I ’achat de galoches, de plus en plus nécessaires ; cela ne contribue pas au silence dans la maison !

 Le 7 octobre

2 800 kg de bagages sont chargés dans 4 taxis transports, et sont portés ä la gare d’lvry, ou un wagon à été retenu.

 La maison est fermée ä nouveau et, le soir, M. Aron, Mlle Hirtz et Marie Znajdek s’embarquent pour Crocq.

Le 8 octobre

Ayant manqué, par suite de retard de train, la correspondance ä Bourges, ils visitent la Ville, repartent pour Montlucon, arrivent ä Létrade ä 20 h 15 ; Mlle Hirtz et Marie couchent ä l’hôtel ; M. Aron revient ä pied ä Crocq.

 Le 10 octobre

 Arrêt des services aux fermes, la présence de certains Garçons s’avérant quelque peu scabreuse.

Le 11 octobre

Voyage ä Aubusson, pour y chercher des affaires de classe

. Le 12 octobre

 Foire, avec son attrait habituel ; Mlle Albauld, bénéficiant d ‘une réduction de l’âge d’admission aux écoles d’infirmières, nous quitte pour entrer dans I ‘une.

 Le 13 octobre

Arrivée du wagon de bagages ; on retrouve avec joie serviettes de classe, livres… et le reste.

 Hélas, la T.S.F. impatiemment attendue, ne marche pas ; et il n’y à aucun réparateur, ni ä Crocq, ni ä Aubusson : il faudra attendre une occasion.

Le 14 octobre

Fête théâtrale, en raison d’un anniversaire. Ce sont principalement les Eclaireuses qui jouent ; ce n’est pas encore très au point : les Hirondelles, en particulier, se perdent dans leurs draps.

Comme les suivantes, cette fête à lieu au Réfectoire, bien rangé et dégagé, fleuri.

Le 15 octobre

 Dimanche, temps maussade. Visite de M Touraille, maire de la commune voisine de la Villeneuve, ami de M. Kohn.

Nous comptions sur lui pour nous procurer du bois de chauffage : il ne nous donne que de bons conseils.

 Il est difficile, cette année, de se procurer du bois : les gens du pays, craignant de manquer de charbon, raflent tout le bois sec ; on en est réduit ä acheter l’arbre sur pied et ä le faire abattre et débiter… quand on le peut !

 Le 16 octobre

 Mme Aron met au point l’organisation pratique des C.A.P.

Le 17 octobre

Visite inopinée d’un Inspecteur de l’Assistance Publique, qui visite de fond en comble ; il semble trouver les locaux suffisants et suffisamment hygiéniques ; on lui explique les efforts faits pour mettre au point la toilette et le chauffage.

 Vaine continuation des recherches de bois de chauffage ; aucun marchand ne peut en fournir, aucune indication précise n’est donnée.

Mme Minc fait connaissance, au Central-Hôtel, de la famille Buffet : M. Buffet surveille, ä I ’usine Chapal, des stocks de fourrures de la maison Simon, de Paris.

 Il nous signale, en particulier, l’existence de poêles inutilisés ä l’usine, et demande au notaire I ’autorisation de les prendre pour notre usage.

Mme et Mlle Odette Buffet s’intéressent aux enfants, principalement aux petites de Mme Minc.

 Le 19 octobre

M. et Mme Aron font une visite de courtoisie ä Mme de Beauverger, qui Vient d’arriver. Accueil aimable ; elle accepte de nous vendre 2 gros arbres, que son garde se charge de faire abattre et débiter.

 Le 20 octobre

Mme Aron va à Aubusson pour divers achats.

 On nous y indique un excellent dentiste, qui accepte notre clientèle dans des conditions de gratuité presque complète, pour les soins ordinaires tout au moins. (M. Quémin)

Le 21 octobre

 Nous recevons de Mme Feldblum, amie de Mme Kohn, 100 mètres de beau tissu gris, qui servira à de nouvelles robes moins uniforme » que les actuelles.

 Le 22 octobre

 Profitant des dernières feuilles, des fruits, nous faisons un concours de vêtements naturels : ni étoffes, ni aiguilles ou épingles ; feuilles, fruits servent ; des épines ou aiguilles de sapin servent d’attaches ; au prix de nombreuses heures de travail d’équipe, de grande patience des mannequins, on obtient des toilettes ravissantes. Les maitresses elles-mêmes ont été mises ä contribution, et la plus grande fièvre règne toute la journée.

Le 24 octobre

 On commence les travaux pratiques ä l’école : tricot, crochet…

 Le 25 octobre

 On commence les visites régulières de dentiste, le mercredi, ä Aubusson ; ce sera presque toujours Mlle Dupont qui y conduira en auto les malades.

Le 26 octobre

 Après entente avec Mlle Goumy, le piano de l’école est mis ä la disposition de Mlle Hirtz, les jeudis et dimanches, pour des cours et séances de chant. Marcelle Saporta y sert de monitrice adjointe.

Première réunion ä 4 h, très appréciée.

Le 27 octobre

 Visite inopinée de Mme Hahn, la première des Dames du Comité qui franchisse notre seuil ä Crocq ; elle passe avec nous quelques heures agréables, nous gâtant de toute maniérer… friandises, objets utiles.

 Une petite fête est rapidement organisée, au cours de laquelle nous lui montrons nos artistes, Eva Guttman dans ses danses, quelques chanteuses, quelques actrices. Excellente atmosphère.

Mme Hahn part, oubliant son sac qu’elle avait apporté plein de cadeaux : nous complotons de le lui renvoyer, garni d’une chancelière faite par nos soins.

Le 28 octobre

 Les arbres de Mme de Beauverger Sont débités : nous nous faisons livrer le bois.

 Le 29 octobre

Essais de radiateurs électriques : IlS sont peu concluants, le courant étant constamment coupé. Nous demandons un compteur plus fort.

 Un groupe commence le dégagement du beau dolmen d’Urbe, à 2 km des Granges, en coupant les broussailles, ronces et genets qui l’entourent.

 Pas mal d’écorchures, mais joie générale ; belle vue des monts d’Auvergne, déjà couverts de neige.

Le 30 octobre

Une partie du lavabo est installée : dix enfants peuvent se laver en mémé temps ; progrès sensible. On à monté le bac ancien, coupé, contre le mur ; on va en fabriquer un autre pour le milieu de la piéce.

Les tuyaux sont fréquemment bouchés, faute de siphon.

 Le 31 octobre

 M. et Mme Aron vont ä Aubusson, pour des courses diverses (objets de classe, étoffes…). Retour long, car l’autocar, plus que bondé, doit faire deux voyages.

Installation d’un poêle ä l’infirmerie, d’un autre au réfectoire.

Le 1er novembre

 Nos écolières vont, avec toute l’école, ä la cérémonie du Monument aux Morts de la guerre de 1914.

Promenades l’après-midi.

 Arrivée de Mme Nissim, destinée remplacer Mlle Albauld et à enseigner les C.A.P. en instruction général ainsi que le brevet de Secrétaire et I ’anglais.

3 novembre

 Après maints avatars, la chancelière destinée à Mme Hahn est terminée et envoyée.

 4 novembre

 Sur les indications du Maire, nous demandons ‘allocation de réfugiés (en principe, “10 francs pour enfants de plus de 13 ans, 8 francs pour les plus jeunes).

5 novembre

Sorties, et séances de chant à l’école. On travaille à l’installation de la seconde partie du lavabo ; et on commence à revoir la chaudière du chauffage central, en bon état sauf les tuyaux de dégagement.

 Le 10 novembre

Mme Kohn, dont l’état de santé avait depuis quelques semaines retardé le voyage, arrive en auto avec M Kohn

Enthousiasme chez les filles, qui nettoient tout avec amour et accueillent joyeusement les arrivants, vers 4 heures.

Nombreuses gâteries distribuées, naturellement : vêtements chauds, friandises.

Visite de la maison : l’installation des dortoirs et la literie retiennent surtout l’attention.

 Le 11 novembre

 Les enfants sont en congé pour la Fête de l’Armistice.

 Du matin, la maison est en effervescence : M. et Mme Kohn doivent rester la journée avec nous, déjeuner au réfectoire, qui est décoré comme pour Une fête.

Déjeuner corsé par de nouvelles gâteries, puis de nouveau grand remue-ménage : il est entendu que les enfants doivent offrir le goûter ä nos visiteurs et ä la famille Buffet, et qu’ensuite une représentation leur sera offerte. Le tout est réussi.

 Entre temps, promenades, photographies, signature de cahiers de notes…

 Et des décisions sont prises : les enfants coucheront sur des bas flancs si cela ne s’avéré pas trop cher ; un essai sera fait dans run des dortoirs. Par l’intermédiaire de M. Buffet, nous aurons les bois sans difficultés ; ils seront débités à l’usine ou chez le menuisier du bourg, et assemblés par M. Dupont (qui n’a pas cessé de travailler aux aménagements intérieurs).

On fera venir les matelas de Neuilly, pour doubler les paillasses ; et la maison Kohn Frères offrira un couvre-pied à chacune des enfants.

 Mme Kohn nous procurera des extincteurs d’incendie et verra, concurremment avec nous, faire établir des assurances encore inexistantes.

Temps splendide ; les feuilles ont des teintes automnales féeriques.

Le 12 novembre

 M. et Mme Kohn partent le matin.

Le lavabo est enfin installé : 25 enfants peuvent s’y laver en même temps, dans des conditions d’hygiène suffisantes ; mais la grande toilette est toujours précaire, faute de douches et de bains.

Le 13 novembre

M. Dupont cherche ä I ’usine les bois nécessaires au 1er dortoir, les débite immédiatement, commence le travail, aidé par l’employé de M. Buffet. Ce sont des lattes de 1 m. 80, alternant ä raison de 3 pour une planche sur laquelle l’enfant pourra monter.

Cela va obliger ä augmenter le nombre de dortoirs car, avec les bas flancs, aucune ne pourra coucher dans le couloir », comme le faisaient une ou deux par dortoir.

 Le 15 novembre

Le 1er dortoir, dallé, est installé ä la joie de ses occupantes. Il revient ä 365 francs, prix qui ne sera pas jugé excessif par M. Kohn : on va donc faire le travail pour l’ensemble.

Le 17 novembre

 Mme Aron s’absente pour deux jours, va ä Montlucon.

Le 18 novembre

 Les écolières n’ont pas encore leurs livres de classe, qui doivent être fournis par l’inspection de Guéret pour chacune des classes ; nous réclamons au Préfet.

 Nous lui écrivons en même temps pour appuyer la demande d’allocation de réfugiés.

 Une de nos pensionnaires, Olga Lourié, très arriérée, atteint 18 ans ; il n’est, naturellement, pas question de son départ.

Le 20 novembre

 L’allocation de réfugiés nous est accordée par la Commission cantonale pour 95 enfants.

Le 21 novembre

 Le notaire nous donne l’autorisation d’utiliser les poêles de I ‘usine.

Le 22 novembre

Visite du Sous-Préfet d’Aubusson venu avec sa femme ; ils visitent toute notre installation, s’en montrent satisfaits ; La Sous-Préfète s’intéresse ä l’atelier, où on lui montre du travail de Haute Couture. Il nous est confirmé que nous aurons certainement l’allocation de réfugiés avec effet rétroactif.

 Le fumiste va voir ä l’usine les poêles : 5 conviennent, et sont enlevés immédiatement.

 Mme Minc s’installe ä l’hôtel, laisse sa chambre comme dortoir supplémentaire des petites.

Le 24 novembre

 Réception d’un achat de conserves : il devient de plus en plus difficile de s’approvisionner sur place ; il nous faut rechercher des grossistes ; ce n’est pas facile car, tant que la marchandise n’est pas arrivée, il est impossible de savoir ni quelle partie des commandes sera exécutée, ni quand cette partie le sera, ni les délais de livraison.

 Le 25 novembre

Les 5 poêles sont installés, ce qui permet de chauffer les chambres de Mlles Lachéze, Hirtz, Mme Germain, la classe de dessin (servant également d’étude), le couloir du 1er étage ; on met un mirus au lavabo (il fumera trop, le tuyau est trop étroit pour la longueur)

Le 26 novembre Commencement de la préparation des fêtes de Hanoucca ; Mme Minc et Mlle Buffet font répéter, l’atelier et la classe de dessin font costumes et accessoires.

 Le 27 novembre

Le chauffage central est mis en état de marche.

 Le 29 novembre

 Arrivée des 78 premiers matelas envoyés de Neuilly par les soins de Mme Kohn : un camion va les charger à Létrade, revient par grosse pluie. Les matelas sont entassés et séchés à l’atelier.

Le 30 novembre

Le car apporte encore dix matelas du linge ; et deux gros paquets de lainages, run de Mme Hahn, l’autre de Mme Raphaél.

Réunion du personnel, pour mettre au point les attributions de chacun.

Trois mois sont passés depuis notre arrivée…

Nous sommes, maintenant, parés pour affronter un hiver qu’on nous annonce dur.

 Cela n’a pas été sans mal ; et maintenant une autre difficulté commence, celle du ravitaillement : les prix montent, les denrées se raréfient, notamment pâtes, huile, savon, légumes secs ; et les légumes frais se réduisent aux pommes de terre, sauf exception.

Le 1er décembre

 Mia Schwarzstein est nommée Surveillante ; Germaine Ménaché sur sa demande, est également nommée.

Mlle Odette Buffet prend la charge bénévole des études de la 4e classe (groupe d’enfants peu avancés) à la maison. Elle continue ä apprendre le français aux dernières arrivées étrangères.

 S. Galico nous donne quelque inquiétude par un abcès à la gorge, qui sera guéri en une dizaine de jours.

Temps splendide ; foire : nous y commandons la pâtisserie de Hanoucca.

Envoi au Préfet de la liste des réfugiés.

Le 2 décembre

Le rôle précis de Mia est fixé à une réunion de personnel de couture-lingerie : aide générale ; Germaine reste à la distribution du linge.

 Temps superbe, très doux.

Le 3 décembre

Distribution des matelas : on garde les paillasses au-dessous. Révision des robes de chambre (anciens manteaux) servant à la toilette et la nuit ; et des pantoufles

Sortie, malgré un temps humide ; continuation de le préparation de Hanoucca

Le 5 décembre

Observations sur la discipline… certaines sont peu obéissantes et se croient tout permis, envoyant promener monitrices et même surveillantes.

Le 6 décembre

Profitant du passage d’une scie ä moteur, nous faisons scier le bois de chauffage.

 Début de Hanoucca : Service, puis diner soigne, avec cidre… 2 candélabres, ornement du bureau directorial, portent les bougies traditionnelles.

Des discussions rituelles se produiront au sujet de leur allumage : M. Ménaché les allume toutes avec une allumette, au lieu de se servir de la première, servant de veilleuse ; les derniers jours, l’allumage sera fait correctement, s’il ne l’a pas été au début.

Nous réglons un mémoire modéré de M. Dubois.

 Le 7 décembre

Déjeuner de Hanoucca ; un tirage au sort » permet ä 12 enfants ne recevant presque jamais rien de chez eux d ‘avoir des sommes variantes de 5 ä 20 francs.

Continuation de la préparation de la fête.

M. Simon, ami de M. Kohn et de M. Buffet, nous offre du bois pour continuer les travaux des dortoirs : avec les arbres sur pied offerts par le notaire, et les planches existant ä l’usine, nous devons avoir suffisamment.

Les Pradel ayant réclamé leur règlement, nous leur envoyons un acompte, en attendant la décision du Comité ; nous les avisons que nous les considérons comme ayant quitté notre service.

Le 9 décembre

 La Préfecture nous annonce officiellement I ’octroi de I ’allocation de réfugiés ; mais elle nous demande de ne pas la réclamer entière ; nous en référons au Comité.

 Le père d’une élève nous envoie des agrandissements de photos, ä donner comme souvenir des événements sensationnels de notre vie.

 Progrès appréciable : nous utilisons du papier hygiénique.

Le 10 décembre

 Fête de Hanoucca ; y assistent, le Maire, la Directrice d’école et ses instituteurs, la famille Buffet, des gens de Crocq.

Beau programme, bien mis au point par Mme Minc et Mlle Buffet : partie religieuse… numéro des Petites, récitations, pièce plus ou moins historique d’Huguette Grauer puis chants, pièces gaies. Enfin, nos filles abandonnent leur timidité et chantent, dansent, jouent sans se faire trop prier.

Le 11 décembre

Rangement de la maison.

Le 13 décembre

Recherche de légumes secs, pour trouver un peu de lentilles.

Nous recevons, réparées, deux tondeuses qui permettront de rafraichir les cheveux ; Mlle Van Dantzig s’en occupe, ou un réfugié du bourg.

Le 14 décembre

 Gymnastique dans le pré par temps humide et doux. Bain du jeudi, lettres aux familles.

 Le 15 décembre

Le temps redevient beau ; avec les grandes disponibles, promenade de 10 km très agréable.

On apporte les bois pour les bas flancs ; ils sont verts, sèchent mal ; ils se gondolent, cassent : gros déchet.

M. Buffet fait mettre des cailloux ä l’entrée du domaine et sur la route, pour éviter les mares.

Le 16 décembre

Il gèle à -5 ; les enfants, non habituées, grelottent malgré les feux suffisants… Elles s’habitueront vite !

 Le Comité accepte de prendre à sa charge 50 % de l’allocation aux réfugiés.

 Un mécanicien d’un village voisin prend enfin I ’appareil de T.S.F., immobilisé depuis son arrivée, pour les réparer.

Le 17 décembre

Les Petites Ailes commencent leurs séances de gymnastique, qu’elles continueront à peu pros chaque jour, en chambre ou dans un pré.

Temps assez froid, mais beau : avec une quinzaine d’enfants, promenade de 17 km par les routes et les champs : passage dans le département du Puy de Dôme, ce dont elles sont très fières. Au retour, goûter double, très apprécié. Toutes supportent bien la fatigue.

Le 18 décembre

Temps très doux ; installation du 2e dortoir.

Le 19 décembre Envoi au rabbin Cyper, de Dijon Aumônier aux armées, de trois colis préparés par des enfants en faveur de soldats israélites.

 Réception du reste des bois de literie.

 Le 20 décembre

 Installation du 8e dortoir (L’ordre est établi d’après la bonne conduite des occupantes). Transport et découpage de planches ä la scierie.

Le 21 décembre

Mme Grauer part ä Paris pour les vacances, profitant de la voiture d’un ami des Dupont.

Foire, avec ses attractions habituelles.

Une ménagerie ambulante, bien misérable, Vient éblouir nos filles peu blasées.

 Sortie, par beau temps.

 Le 22 décembre

 On nous apporte de superbes carpes, que Mme Dufour prépare merveille.

Les enfants sacrifient leur goûter et leurs desserts de la journée pour l’œuvre du Noel du Soldat (120 F).

M. Dupont installe le 7 dortoir.

Le 23 décembre

 Les écolières sont en vacances de Noel ; elles participent aux services de maison.

Installation au lavabo de planches pour savon (il à fallu attendre les bagues fournies par M, Dubois) ; une partie de l’antichambre Grauer est transformé en réduit à pommes de terre, que nous devons commander par 2 et 3 tonnes.

Paiement du bois de chauffage à Mme de Beauverger.

 Sortie, par temps doux.

 Le 24 décembre

Départ des sœurs Lévinger : leur mère, venue en visite, et mécontente des reproches faits sur l’une des filles, les emmené ; nous les voyons partir sans regret car l’ainée, Jeannine, est odieuse. Son départ va calmer tout un groupe difficile.

Avec les éclaireuses, premier exercice d’allumage de feu en plein air, facile, vu le temps : grande joie !

Arrivée des premiers couvre-pieds de la maison Rohn et Ce : ils sont chauds et jolis : vifs remerciements ä toute la maison qui, nous le savons, s’est activement occupée de leur confection et de leur envoi.

 Le 25 décembre

Temps superbe : gymnastique générale dans le pré, dirigée par Mlle Hirtz et M. Aron. L’après-midi, jeux ä la sablière.

 Grand goûter, offert par le Comité.

Le 26 décembre

 Promenades par beau temps.

 Réception de conserves : confitures, pruneaux, tomate.

Le 27 décembre

 La Préfecture accepte la proposition du Comité pour l’allocation. Le temps se refroidit.

 Le 28 décembre

Il neige : joie des enfants ; jeux ä la maison, préparation de fête.

Le 29 décembre

 La neige épaissit ; un traineau, fabriqué par I ’employé de M. Buffet, est apprécié : il sert notamment au transport du lait, la neige empêchant la circulation aisée de l’auto des Dupont.

Les couvre-pieds sont distribués aux dortoirs installés (les autres ont une couverture supplémentaire en attendant).

Le 30 décembre

 Un froid de -10 n’empêche pas de sortir. Préparation de la fête.

Le 31 décembre

L’appareil de T.S.F. revient enfin réparé, et va charmer bien des heures creuses. Nous aurons les nouvelles et communiqués que nous n’avions qu’avec retard.

 M. Ménaché loge ä l’hôtel, pour laisser sa chambre ä Mlle Hirtz qui cédé la sienne ä Mmes Dufour Melloul dont la chambre devient le 9e dortoir nécessité par les bas flancs.

 Réception de 10 caisses de lait Gloria.

Liquidation du compte des Pradel.

 QUELQUES PRIX DE DECEMBRE 1939

Pain 2,95 F le kg

 Viande (bons morceaux) 16

œufs 10

Pommes de terre 55

Fromage (Port Salut) 16

Lait .1,25 per litre…. ….

Huile d’Arachide 7.75

Pâtes 7.80 per kilo

Beurre 12

 Camembert 3,75 per

Certaines denrées deviennent difficiles à trouver : Huile… Pâtes… Chocolat…

1940

Le 1er janvier

L’année commence par un beau jour. Chaque enfant recoit un petit cadeau comme êtrennes, d’autant mieux accueilli que, en raison des circonstances, elles ne s’attendaient pas à recevoir quoi que ce soit.

Le plus difficile à été de réunir une centaine d’objets, avec le peu de ressources de Crocq.

Visites de Nouvel An au maire et au notaire.

Le groupe scout commence ä exister réellement : lors d’un feu de camp en plein jour, dans le bois de la propriété, Suzanne Waysfeld fait, comme Petite Aile, la première Promesse du groupe.

 Le 2 janvier

 En prévision de la rentrée, visite des chaussures et des sacs de classe.

 Un concours d’ornement des dortoirs donne des résultats des plus médiocres : on voit que nos filles n’ont jamais habité une chambre convenable.

Un concours d’instruments de musique improvisés est disputé par deux groupes, avec quelques idées (provoquées). Et une représentation (le tout, résultat des occupations des vacances) donne lieu ä d’excellents morceaux, notamment des petites, préparés surtout avec Mlle Buffet.

Un défi, lancé aux enfants de Crocq invités, pour préparer quelque chose pour la prochaine représentation, est accueilli avec enthousiasme, mais ne donnera aucun résultat.

Il dégèle : temps doux.

Le 3 janvier

Rentrée des classes ; une fille de 14 ans est acceptée en plus dans la classe du certificat.

 Installation du 7 e dortoir.

On recommence les séances de dentiste.

Mme Minc et Mlle Buffet partent pour quelques jours à Paris.

Le 4 janvier

Temps doux, promenades, préparation de concours.

Installation du 2e dortoir.

Le 5 janvier

 Envoi en classe de 2 petites.

Le 6 janvier

 Temps très doux, promenade avec les non-écolières.

Le 7 janvier

Temps maussade ; on termine les préparatifs, et on présente la fête des Rois : il s’agit de représenter un Roi, une Reine et leur Cour : deux groupes d’éclaireuses rendent une scène très artistique. Puis goûter avec galettes, très animé.

 Le 9 janvier

Pluie, brouillard ; installation des 3e et 6e dortoirs.

Le 10 janvier

Froid sec, tournée de dentiste ; nous touchons l’allocation de réfugiés.

L’auto des Dupont est équipée avec pneus de neige.

Gros arrivage de conserves : sardines, corned-beef, confitures, pruneaux, par transitaires ou fabricant : c’est de plus en plus nécessaire, car Crocq ne peut fournir tout ce que nous cherchons ; quelque inquiétude pour les pâtes, introuvables depuis un mois : M. Buffet nous en propose par Ferrand Renaud… les aurons-nous ? Nous en avons commandé de deux ou trois côtés différents… et il en est ainsi de bien des provisions !

 Le 11 janvier

Gros froid : -200 la nuit, -Il pendant la journée ; la maison est suffisamment chauffée ; peu sortent.

Nous payons les fournitures données par l’école : nous devrions être remboursés à raison de 70 F par élève : quand le serons-nous ?

Le 13 janvier

La température s’est bien radoucie.

Foire : on y acheté de la laine pour tricoter des chandails aux soldats.

Tous les dortoirs sont installés, tous les couvrepieds distribués ; chacune supporte facilement le froid.

 Le 14 janvier

 Temps très doux, jeux dehors.

Panne d’électricité (fréquente le dimanche, cause probable réparations de ligne)

Le 16 janvier

 Mme Aron part ä Paris pour quelques jours, avec M. Buffet.

 Commande de 3 tonnes de pommes de terre ä Aubusson, la proche région n’en fournissant plus.

 Le 17 janvier

Temps très froid, neige, vent.

 En raison du Conseil de révision, des classes sont en congé, et nous attendons la visite du Préfet ; mais celui-ci, pressé de rejoindre Guéret, avec la neige, ne parait pas aux Granges.

Mme Minc revient, grippée, de Paris. Enervement au diner, ä la suite de disputes fomentées par  

 Nous recevons 1500 kg d’anthracite, ou de pseudo anthracite plein de pierres et donnant force scories.

 Le 18 janvier

 Le froid persiste (-12) pas de sortie. Un beau paquet de lainages, de Mme Hahn, arrive à point.

Le 19 janvier

Dans la nuit, les éviers gèlent à l’intérieur de la maison, les tuyaux sont tous bloqués, à l’intérieur aussi.

Il y a -200 la nuit ; et la chaudière du chauffage central marche fort mal : dégagement massif de gaz carbonique ; il faut évacuer pour la nuit le dortoir des petites, qui se réfugient dans l’atelier.

 En fin d’après-midi, le chauffage redevient normal

. Une enfant montre son lit rempli d’épingles ! L’enquête montrera qu’elle les à placées elle-même pour se rendre intéressante !

Le 20 janvier

 Le froid persiste : le matin, 1 cm de glace sur l’évier, dans une pièce où passe le tuyau de fumée de la chaudière !! Seuls, les robinets du lavabo et de la cuisine marchent encore.

Il y a -15 dans la journée, avec vent très froid : M. Aron, portant de nombreux colis et devant écouter dans la rue les doléances familiales de parents, à un début de gelure des mains.

 La chaudière, toujours en marche mauvaise, doit être éteinte, puis rallumée. Les enfants ne souffrent pas du froid, sauf les écolières aux mains.

Le traineau sert beaucoup pour les courses.

Jeux dans la neige, par les plus endurantes ; et toujours infirmerie ä peu pros vide.

La nuit, les réserves de couvertures étant distribuées, les couloirs chauffés, on n’a pas froid.

A Neuilly, Mme Aron à trouvé le Refuge en bon état, pittoresque sous une couche de neige épaisse. Mais l’intérieur est désolé et froid : -40 dans les pièces ; il est dur de rester tranquille ä travailler ou ä chercher.

 Des cartes d’identité nécessaires aux étrangères atteignant 15 ans obligent à des démarches aux consulats de Pologne, de Roumanie.

 Nombreuses entrevues avec Mmes Leven et Kohn ; un rapport est fourni pour la première réunion de guerre du Comité, prévu le 24 janvier. –

Le 21 janvier

Il fait un peu moins froid : -12 il neige ;

Toujours bien des difficultés par le manque d’eau mais l’état sanitaire reste excellent.

Deux élèves en sanatorium écrivent pour revenir : nous leur conseillons la patience, car le climat et le manque de confort leur nuirait vite.

 M. Ménaché passe ses journées à essayer de faire marcher les feux qui s’éteignent et fument en permanence.

A Neuilly, Mme Aron prépare des objets apporter literie, livres…

Le 22 janvier

 Le temps se radoucit : -6, légère neige.

 Mme Aron envisage avec Mme Kohn l’emploi d’une somme reçue pour des vêtements chauds.

 Le 23 janvier

Beau temps, avec -8 ; Le chauffage marche médiocrement.

 Le groupe qui va chez le dentiste à force avatar panne d’auto ä 4 km, radiateur gelé ; On ne peut pas réparer sur place, et l’auto est abandonnée jusqu’au lendemain dans une ferme. On rentre ä pied… et, en téléphonant pour s’excuser auprès du dentiste, on apprend qu’il est absent, et son cabinet fermé.

 à Paris, courses dans les magasins, y compris le pharmacien Canonne.

 Le 24 janvier

Temps couvert : + 8 ;

M. Buffet, qui à pris froid durant le voyage Crocq Paris, meurt : il est très regretté de toutes, reconnaissantes de tout le bien qu’il à fait.

Notre compte chèques postaux est ouvert.

 Nouvelles inondations, par le trop-plein de la chaudière qui ne peut se vider par le toit gelé.

Le 25 janvier

 Beau temps, doux ; sortie pour aller chercher des lattes à l’usine qui en traineau, qui avec une charrette ; retour animée, chacune portant sa latte qui lui donne une allure de skieuse

Joie : nous trouvons 75 kg de pâtes !

 à Neuilly, Mme Aron avec sa femme de ménage et Mlle Meyer, en permission, emballe le matériel : ustensiles de cuisine, livres, papiers…

 Le 26 janvier

C’est le dégel, bien accueilli. Les modifications et installations nécessitées par l’installation du 9e dortoir (ancienne chambre de Mme Dufour) sont faites.

 Mme Kohn et Mme Aron cherchent de la bonneterie : chaque enfant aura 2 culottes en coton épaisses ; les grandes auront, ä la place de leurs bas sport, des bas de laine montant.

Pauline Ménaché, qui depuis trois mois était réclamée par sa maison et ne pouvait quitter Crocq faute de laissez-passer, obtient enfin cette pièce, et rentre ä Paris. Son pore reste avec nous, et nous rend des services modérés.

Le 27 janvier

 Verglas, puis pluie.

 Mme Kohn et Mme Aron vont ä l’enterrement de M. Buffet ; puis, non sans difficulté, Mme Aron joint le Secrétariat de Pour nos Enfants » qui doit lui confier une enfant ä prendre au Refuge (J. Friedmann) ; Mme Aron et cette enfant prennent le train dans la soirée ; les colis viendront par transporteur.

 Le 28 janvier

Retour de Mme Aron, entrée de J. Friedmann.

Le 29 janvier

 Temps doux, amenant des grippes : pour la première fois, l’infirmerie est pleine.

 M. Aron, très fatigué, garde la chambre.

 Le 30 janvier

Dernier souvenir de M. Buffet : on apporte des pierres, achetées par lui, pour mettre devant la porte.

Durant le mois, fréquentes difficultés avec Ies Dupont, qui excitent certains contres des membres du personnel.

Le 1er février

 Après une promenade par beau temps, un Goûter de la Saint Charlemagne  réunit les meilleures élèves de l’école et de la maison : grande joie des favorisées, qui ignoraient cet usage. Friandises, sirop, chants…

Le ravitaillement devient plus compliqué, en raison des jours sans viande : si, au début, la complaisance des bouchers facilite les choses, les règles de plus en plus strictes vont bientôt gêner.

Le 3 février

 Temps superbe de printemps.

Le 4 février

Beau temps doux ; promenades, deux Petites Ailes font leur Promesse.

 Pourparlers, ou discussions en raison des Garçons qui tournent trop autour de la maison et de certaines de nos filles ; celles-ci n’y sont pas toutes hostiles…

Nous montrons ä la fermière voisine une lettre un peu trop tendre d’un de ses fils… nous demandons ä Mia un peu plus de réserve… une petite de 15 ans nous affirme sa confiance en le garçon boulanger…

Réception de l’important colis de bonneterie envoyé par Mme Kohn (culottes, bas).

 Le 5 février

 Réception de 4 extincteurs d’incendie, commandés par Mme Kohn. Et de 500 kg de riz qui arrivent ä point.

 Quelques difficultés avec une de nos grandes, qui, approchant de 18 ans et ne pouvant espérer quitter le Refuge, se montre très insubordonnée ; cela se tassera au bout de trois semaines, non sans difficultés.

Le 8 février

Foire, toujours la même : heureusement, Il y a le pâtissier !

 Grand jeu de piste pour les éclaireuses ;

Réparation de fuites aux lavabos, ä I ’infirmerie ; ces réparations sont continuelles, en raison de la vétusté de I ’agencement (et aussi, peut-être, du peu de science de M. Dubois).

Le 10 février

Fermeture d’une des grilles de la propriété, pour éviter les allées et venues des Garçons.

 Le 11 février

Temps maussade : Mlle Hirtz organise à l’école des séances de chant qui sont bien accueillies

 L’eau de la ville est arrêtée pour deux jours en raison de grosses fuites à l’extérieur de la maison.

Le 12 février

r Retour du froid ; il neige le soir.

 Réparation du fourneau, qui s’écroulait de partout (grilles, four, etc.)

Le 13 février

 Grésil, température -8, vent désagréable ; on en profite pour casser deux carreaux.

Le 15 février

Assez beau, -7 ; on va chanter ä l’école.

 Le 17 février

 Dégel, causant un fort verglas le matin. Temps pluvieux.

Pour satisfaire au désir des Pouvoirs Publics, nous commençons la chasse ä la ferraille dans la propriété : il y en à ! Quel dommage que nous ne puissions l’enlever ä Neuilly aussi !

Le 18 février

Les Garçons font sauter le cadenas de la grille…

 M. Aron le signale à la gendarmerie.

L’après-midi, représentation prévue d’abord pour le 4 février, retardée faute de préparation suffisante ; les mêmes groupes se distinguent, notamment le jardin d’enfants de Mme Minc, organisatrice infatigable de ces fêtes.

 Le 20 février

Le cadenas, qui à été remis, est forcé pour la seconde fois ; plainte est portée ; la gendarmerie découvrira que I ’auteur est un jeune vaurien, auquel elle fera peur…

Temps doux, pluvieux ; séance de dentiste.

Le 21 février

 Temps superbe ; nouvelle séance de dentiste.

Le Docteur Beaufort, venu voir quelques enfant” semblant pâles, ne voit rien d’anormal, mais con seille de montrer quelques-unes au Dispensaire d ‘Aubusson.

On travaille ä dégorger un puisard d’eaux sales complétement bouché.

Le 22 février

Avec éclaireuses et Petites Ailes, on va chercher l’usine de nouvelles planches pour les dortoirs : celz donne l’aspect d’un groupe de skieurs.

Vive discussion avec Mme Dupont au sujet de l’alimentation du chien !

Le 23 février

Nous essayons de faire rentrer chez elle, ä Lille une des élèves de caractère exécrable ; malheureusement son père, après s’être déclaré prêt ä la reprendre, se récuse, sa situation n’étant pas brillante.

Le 24 février

Par beau temps, nous allons au bord de la route chercher du bois coupé par les Ponts & Chaussées montagne de petit bois pour allumer le feu ; léger incident parce que nous avons pris un tas réservé… cela s’arrange avec une petite indemnité.

Le 25 février

 Le temps se rafraichit ; séance de chant avec piano ä l’école.

 En fin d’après-midi, essai d’extincteur, qui intéresse les grandes et leur montre les agréments et désagréments de l’instrument (odeur !)

 Nouveaux incidents avec les garçons : lettres faussement signées des noms de nos filles ; encore recours ä la gendarmerie, qui démasquera l’auteur.

 Le 26 février

Partie en car, partie en auto, on va au dispensaire d’Aubusson ; visite satisfaisante, aucune des suspectes n’a rien de sérieux.

Le 27 février

Nous touchons l’allocation des Réfugiés de janvier. Installation du 9e dortoir ; il est de plus en plus difficile de trouver des planches.

 Le 28 février

 Arrivée d’une nouvelle enfant, Arlette Cohen, 4 ans, bien chétive.

Séance de dentiste.

Réparation de chaises, bancs, tables.

 Les enfants, peu soigneuses et indifférentes, abiment beaucoup.

Temps gris depuis trois jours.

 Le 29 février

 Année bissextile, et mi-carême.

 Temps superbe ; on en profite pour aller terminer le dégagement du beau dolmen d’Urbe, envahi par les arbustes.

 Le tâcheron termine les travaux de puisard et de fossés.

Février est marqué par l’aggravation des incidents Dupont… médisances, organisation d’un véritable clan de désobéissance et de révolte, campagne sournoise contre des membres du personnel qui ne se prêtent pas ä certaines complaisances.

Et voici six mois passés hors de notre Maison.

Le 1er mars

Nous réglons enfin l’assurance Responsabilité Civile pour les enfants.

Le 2 mars

Fin de la recherche de broussaille pour le feu. Encore des incidents entre une de nos filles et son chevalier servant !

Le 3 mars

Nous recevons 3 tonnes de pommes de terre, base de notre alimentation.

 Le 4 mars

 Sur le désir des Pouvoirs Publics, nous continuons la récupération de la ferraille, dont nous envoyons une grosse quantité au dépôt de Crocq.

Gros incident Dupont, qui incitent ouvertement une élève à la désobéissance ; ä la suite de l’observation du Directeur, la famille se retire dans sa chambre ; c’est la seconde fois qu’elle use de ce moyen, mais, cette fois, on la laisse faire !

 Les difficultés de réapprovisionnement continuent ; notre fournisseur de gros n’a plus de conserve de poisson, ni de fromages…

Le 5 mars

 Le temps tourne au froid.

Vif incident, amené par les Dupont, entre la principale pensionnaire de leur clan et Mlle Hirtz, mal vue d’eux.

 Le 6 mars

Il gèle, malgré des apparitions de soleil.

 L’école, qui n’est pas ä jour, envoie des timbres antituberculeux ä vendre, trois mois après la clôture de la vente annuelle.

 Le 7 mars

Le froid dure ; on s’occupe ä l’atelier au courrier, au chant (jeudi).

 Mme Aron va ä Aubusson, pour s’entendre avec le Principal du collège pour l’éventualité de l’entrée en octobre des élèves du cours supérieur ; elles entreraient en 5e ou 4e, logeraient en ville ; cela semble peu pratique et onéreux : on cherchera autre chose.

 Le 8 mars

Recherche de savon, qui commence devenir rare.

Arlette Cohen à une broncho-pneumonie, qui la tient au lit une dizaine de jours.

Le 10 mars

 Temps superbe. Pistes d’éclaireuses, jeux dans le pré, chant à ltécole.

Le 11 mars

 Nettoyage et débroussaillage de notre bois, envahi par les ronces.

Le 12 mars

Vent violent, pluie ; il faut rallumer Ia chaudière.

Révision des rideaux de défense passive, des lampes bleues.

Nous commençons ä recevoir des fromages en gros.

 Le 13 mars

 Tempéte ; 4 vont en car ä Aubusson car Mlle Dupont fait grève de son auto.

 Le 14 mars

Séance de mensurations (mètre fixé le long du mur) et de pesée (bascule de la ferme) ; résultats très satisfaisants ; la quasi-totalité des enfants à beaucoup grandi et grossi.

1l neige la nuit.

M. Dupont fait la grève de la menuiserie ; on s’adresse au menuisier de Crocq. (Douche installée)

 Le 16 mars

Nous essayons de caser dans des usines de guerre des grandes de plus de 18 ans qui deviennent difficiles ä garder.

Sur le conseil du Maire, nous écrivons chez Dunlop ä Montluçon (sans suite)

Début des vacances de Pâques ; les notes trimestrielles sont en général satisfaisantes.

Belle promenade l’après-midi ; cueillette de violettes.

Le 17 mars

Froid le matin, beau ensuite ; jeux et promenades.

Nous commençons à manquer de charbon et Imitons le chauffage.

 Le 18 mars

 Foire ; la pâtisserie à son succès habituel ; nous trouvons quelques livres pour la bibliothèque, ainsi qu’un peu de mercerie.

Jeux dans le pré voisin, Pius jeu de nuit sensationnel par beau clair de lune pour les éclaireuses ; elles sont moins peureuses qu’on pouvait le craindre, et en sont très fières. Retour vers 10 h.

Temps lourd, agréable la nuit.

Le 19 mars

Giboulées ; journée de voyages.

Mme Aron va ä Guéret avec 8 enfants, pour consulter un oto-rhino, faire faire des verres de lunettes. Voyage en auto, les moyens directs demandant plus d’une journée pour une distance de 60 km. Plus de mille francs de frais.

L’infirmière va ä Aubusson avec 4 enfants, pour le dentiste.

M. et Mlle Dupont partent pour Paris, pour les vacances de Pâques ; ils en profiteront pour mettre au point les travaux des C.A.P…. et pour essayer de monter contre les Directeurs notre Comité et L’inspecteur Général Goumain, ami de la Maison, et grand personnage pour le C.A.P.

 Le 20 mars

Encore des giboulées ; chant ä l’école.

Un second envoi est fait au rabbin Cyper pour des soldats du front.

Le 21 mars

Le début du printemps est marqué par le commencement d’une épidémie de varicelle qui sera très bénigne.

Le 22 mars

 En raison du bon travail des jours précédents, l’atelier à congé.

Avec 24 éclaireuses, sortie de la journée de 26 kilomètres ; 17 la font entièrement ä pied sans fatigue, les autres prenant le car ä 7 km de I ’arrivée. Gros orage en fin d’excursion ; tonnerre et éclairs impressionnent plus que la pluie qui nous inonde sans dommage.

 Nous recevons de la maison Ferrand-Renaud 700 kg de pâtes que nous n’attendions plus et qui avaient été commandées par l’intermédiaire de M. Buffet. Et nous avions fait une autre provision des 250 kg. Cela nous fait un stock sérieux !

Par ailleurs, réception de charbon, qui manquait

Le 23 mars

 L’épidémie de varicelle s’étend aux petites, dont un dortoir devient infirmerie.

 Le soir, office de Pourim.

Le 24 mars

Dimanche de Pâques, et Pourim, le matin, office.

Temps superbe ; l’après-midi, grand jeu concours de recherche d’œufs cachés, grand succès !

Premières Promesses des Eclaireuses, jeux.

Le soir, causeries sur Pourim.

 Le 25 mars

 à son tour, le 9e dortoir devient infirmerie.

 Temps pluvieux ; la T.S.F. occupe.

Causeries sur Branly, qui vient de mourir… et sur les Garçons, ä la suite de nouveaux incidents.

 Le 26 mars

Premier cours d ‘Enseignement Ménager, grace aux subsides fournis ä nouveau par Mme de Rothschild.

 Temps douteux ; invitations entre Eclaireuses et il Petites Ailes occupent l’après-midi.

 Le 27 mars

 Neige et vent : jeux de salon et T.S.F.

Il y a 22 malades dans nos infirmeries, toutes varicelles très bénignes.

Le 29 mars

Froid et neige persistent. On cherche l’usine de nouvelles lattes. Causeries sur la religion.

Le 30 mars

A I ’occasion de Pourim, les Eclaireuses invitent les autres enfants du Refuge des jeux et un goûter ; réunion gaie et mouvementée en général.

Retour des Dupont.

Le 31 mars

 Très beau dernier jour de vacances : on prépare la rentrée, on rend les sacs réparés. On prépare aussi les cartes d’alimentation,

Promenades ; les garçons sont provocants.

 QUELQUES PRIX DE MARS 1940…

Pain 2,95 F le kg

 Viande (bons morceaux) . . 20

Œufs 5,50 la dz.

Pommes de terre 85 les 100 kg

Fromage (Port Salut) 19 le kg

Lait 1,50 le litre

Huile d’arachide 12

Pâtes (du fabricant) 6 le kg

Beurre 17 .

Camembert 5.25 la piece

Charbon (boulets) 48 les 100 kg

Heure de travail du plombier. 7

Le 1er avril

17 Entrée des deux sœurs Bénasse amenées par leur pore ; excellente impression.

Rentrée des classes ; les nôtres y sont admises, en dépit de la varicelle.

Réparation de lattes dans les dortoirs : décidément, le système est dispendieux et peu solide.

 Le 3 avril

Un dentiste recommence à venir à Crocq le mercredi : de la sorte, deux groupes vont, l’un ä Aubusson pour terminer des travaux, l’autre Crocq (ce n’est pas plus avantageux, ce dernier étant plus Cher

. Deux des classes ont congé.

Le 4 avril

 Le matin, un télégramme apprend I ’arrivée (pas trop inattendue) pour le soir même de Mme Leven, Présidente, accompagnée de Mme Kohn, Vice-Présidente, de Mme Crémieu Secrétaire, et de M. Goumain, Inspecteur Général spécialement chargé de l’Enseignement des C.A.P.

Dès leur arrivée, les Dupont, aux aguets, lui envoient une délégation… spontanée… d’élevés de leur clan qui se plaignent des Directeurs. L’accueil n’est pas celui désiré.

 Une conférence réunit, en fin d’après-midi, Comité et Direction, principalement sur la mise au point de la préparation des C.A.P., l’utilité de pousser le plus grand nombre d’enfants à cet examen, l’importance de la taxe d’apprentissage.

Le 5 avril

 Le matin, nouvelle réunion avec le Comité et M. Goumain ; il est décidé

de pousser au C.A.P. la presque totalité de celles qui ne faisaient que du travail ménager, sauf incapacité totale

de préparer au C.A.P. plutôt qu’aux études supérieures

M. Goumain s’occupera de l’inscription des candidates de l’année ä l’examen, ä Paris si possible.

Mme Aron fait approuver son projet d’envoyer ä l’Ecole Primaire Supérieure de Clermont les 6 élèves actuellement dans la classe supérieure de l’école communale, en vue de la préparation du Brevet élémentaire ; une aide pécuniaire sera demandée ä ceux des parents qui le peuvent, et on espère obtenir de la Préfecture la totalité de l’allocation de Réfugiées pour ces élèves ; le trousseau assez important sera fourni par les familles et le Refuge.

Un déjeuner ä l’hôtel réunit ensuite Comité et Direction ; la question de la discipline y est mise au point ; la Direction reçoit des instructions précises pour assurer cette discipline de toutes celles qui vivent au Refuge et aux Granges.

En ce qui concerne les Dupont, il est entendu qu’en vue de la préparation des C.A.P., leur départ immédiat n’aura pas lieu, mais que les observations nécessaires seront faites.

 Le soir, diner général au réfectoire, orné soigneusement ; sur I ’insistance de la Direction Mlle Dupont y assiste ; speeches de M. Goumain et de Mme Leven sur la discipline.

Puis fête organisée par les enfants.

Le 6 avril

Nos hôtes partent le matin

 Le soir, au diner, la Direction précise aux enfants quelques-unes des décisions prises.

Le temps continue à être froid, et les feux ä être allumés (avec un charbon des plus mauvais).

 Le 7 avril

Une partie des varicelles commence ä quitter I infirmerie.

L’effectif des éclaireuses est augmenté, englobant à peu pros la moitié des enfants.

Sorties ; les Garçons se tiennent tranquilles… c’est digne d’être noté.

Foire, avec son pâtissier !

 Le 9 avril

Grêle, neige, froid très désagréable.

M. Aron profite de la voiture du boucher pour aller faire des achats ä Giat, où un épicier important existe ; en fait, il n’y trouve pas grand-chose, ä part un sac de haricots ; pas d’huile, en particulier.

 Les enfants voient avec allégresse arriver les colis de matzes, venant de Paris.

Le 10 avril

Moins de neige, mais le froid persiste.

Séance de dentiste, ä Crocq.

Arrivée de la commande des Presses Universitaires : cahiers, articles de classe ; ä Crocq, l’école ne fournit rien gratuitement et les écolières la maison usent beaucoup.

Un très grave accident se produit dans la classe de dessin de Mlle Dupont : une élevé de 17 ans, Louise Zaguedoun, faisant corriger son dessin près du poêle dont la porte est restée ouverte, voit sa robe prendre feu ; affolement général, sauf de la maitresse et d’une grande qui parviennent enrouler la victime dans une couverture : graves brûlures aux jambes, cuisses, dos, intéressant environ le cinquième du corps.

 Piqûres pour calmer la souffrance, puis le Docteur Beaufort commence un traitement à I’iso tannins

Par une coïncidence curieuse, nous avions reçu le matin mène la police d’assurance contre les accidents qui n’avait encore jamais existé dans Ia maison

Le 11 Avril

La blessée à passé une mauvaise nuit, souffre beaucoup.

Un jardinier commence à entretenir le jardin, grâce à des fonds offerts par Mme Maurice de Rothschild pour apprendre le jardinage à nos filles.

Le sol est excellent, ayant servi à I ‘Ecole d’Agriculture, et n’ayant pas été utilisé depuis plusieurs années.

 Le 14 avril

 Encore un incident Dupont qui, malgré l’interdiction de la Direction, emmène en promenade une partie de son clan.

L’infirmerie se vide de plus en plus, permettant de libérer le dortoir pris en annexe ; la blessée souffre moins, sauf lors des pansements, qui durent une heure et demie et sont des plus pénibles.

 Le 15 avril

Le pharmacien de Crocq n’ayant pas le nécessaire, on va à Aubusson chercher médicaments et panse ments pour la blessée.

Les Dupont, qui ont déblatéré la veille contre Ia maison à la ferme voisine, continuent leur propagande à la poste.

 Nous recevons un gros envoi de semoules, pâtes de fruits, biscuits commandé à un transitaire.

Le 17 avril

Mme Aron va à Montluçon présenter une pensionnaire à l’auriste, en profite pour faire des achats pour Pessah .

A Crocq, visite de dentiste, puis quelques-unes nos filles Vont chez le coiffeur… pour la première fois.

Le 18 avril

Après quelques jours de beau temps, la neige fait son apparition, accompagnée d’un violent orage  avec grêle,

M. Aron perd sa journée à arranger les affaires litigieuses entre Mme Melloul, surveillante, et son mari, Venu la relancer… Visite au Notaire, essais de conciliation…

Les enfants continuent à aller « au coiffeur » ; cela ne va pas sans difficultés, certaines grandes prétendant avoir des idées arrêtées sur leur coupe de cheveux !

Incident avec un fermier voisin : le chien de la ferme, qui accompagne nos filles au lait, à mordu un mouton dans un pré ; et une fille au cœur vaillant s’est opposée à ce que le propriétaire corrige le Chien ! On nous réclame d’abord 500 francs pour prix du mouton qui devra être abattu ; après force discussions, le propriétaire du chien paye 150 francs, et le Refuge en fait autant.

Achat de carpes provenant d’un étang voisin ? Elles corseront un ordinaire peu varié.

Le 19 avril

 Une des grandes élèves, apprenant la mort de sa mère qu’elle adorait, disparait le soir : affolement général ; on cherche partout dans la maison, sans succès ; on cherche aux alentours, on finit par prévenir la gendarmerie qui vient enquêter… et ä ce moment, on trouve l’élève endormie dans un coin du grenier ! Bessy Perry.

 Le 21 avril

M. Dupont part pour Paris, avec un ami, sans en aviser.

 Très beau temps, chaud ; c’est dimanche, on sort.

 On nettoie les casiers à I ‘occasion de Pessah, et on donner 2 morceaux par repas.

 Recherche d’iso tannin Aubusson. Les soins la brûlée sont toujours très durs ; mais le docteur admet que les plaies sont en bonne voie, et qu’il n’y à plus craindre d’aggravation malgré la température assez élevée.

Le 22 Avril

Deux des classes de l’école sont libres. Les maitres étant délègues dans d’autres écoles : on en profiter pour continuer la réparation de pâques.  Nettoyage de la cuisine, fabrication de plus de 1000 kneppish malgré l’absence inattendu de farine de matzes (on utilise les matzes eux-mêmes) ; on fait venir les laitues d’Aubusson ; c’est tout ce qu’on peut trouver de rituel !

On installe le Seder, on orne de fleurs et de feuillage.

Le soir, en présence de la communauté » de Crocq (la famille d’une des enfants), ont célébré I ’office, puis à lieu un Seder recueilli et ému.

 Le 23 avril

 Nos enfants ont congé pour Pâque ; on joue dans le pré, on organise des sorties, notamment des éclaireuses.

 La Direction demande des cartes d’identité pour quelques étrangères de 15 ans ; difficultés de toute sorte avec la Préfecture, tatillonne et pas au courant ; les pièces sont retournées 3 et 4 fois, on réclame des amendes pour retard, on demande des pièces peu pratiques ä se procurer, surtout en Période de guerre. Et, au bout de plus de six mois, on obtient une partie des cartes !

Le 24 avril

 M. Goumain envoie les programmes du C.A.P. de Clermont Ferrand (celui de Vichy est déjà passé) ; il différé beaucoup de celui de Paris, tant par les cotations que par le genre d’examens et par l’emploi du temps, réparti sur dix jours.

Nos filles étant préparées sur les bases de Paris, la Direction insiste pour que l’examen ait lieu ä Paris, ce qui faciliterait aussi les formalités administratives ; il est demandé ä M. Goumain de faire les démarches nécessaires, au moins pour le C.A.P. couture ; car on ne connait pas les dates du C.A.P. sténodactylo.

On ne peut trouver, ni ä Aubusson, ni ä Crocq, le médicament nécessaire à notre brûlée ; il faut le commander ; en attendant, on réduit les doses ; l’état général s’améliore.

 Le 26 avril

 L’école est à peu près déserte pour cause de Premières Communions.

Foire, sans pâtisserie, donc sans intérêt…

Encore un incident entre un des fils de la ferme et une de nos grandes : causeries par la fenêtre, appels.

Le 27 avril

Giboulées, qui n’empêchent pas le jardinier de continuer son travail de préparation et de défrichement.

Nous téléphonons ä Mme Kohn ä Paris pour qu’elle nous fasse parvenir l’iso tannin nécessaire.

 Le 28 avril

Giboulées encore ; un concours de Familles est organisé ; 3 groupes y participent, avec résultats amusants, notamment une famille Cochonnet.

D’Aubusson, on nous envoie de l’iso tannin !

Le 29 avril

Le grand couloir du rez-de-chaussée est garni de Clous qui permettront aux enfants d’accrocher une partie de leurs vêtements, trop serrés ä l’atelier et nécessitant des va et vient continuels ä cet atelier.

Le jardinier commence ä semer.

Le 30 avril

Fin des fêtes de Pessah ; le pain revient ä la maison.

Le 1re Mai

 Une réunion des surveillantes règle certains détails, surtout de discipline, ainsi qu’une plus grande surveillance des sorties en raison de l’agressivité de certains Garçons.

La Direction convoque la fermière voisine, en raison des assiduités entre l’une des nôtres et ses fils. En paroles tout au moins, cette fermière se déclare toute prête ä y mettre ordre…

 Nous recevons de Paris une certaine quantité d’iso tannin, au moment où le Docteur Beaufort songe ä un autre traitement, l’iso tannin obligeant ä des pansements affreusement longs (1 h 30) et très douloureux. Cependant l’état général de l’enfant est meilleur.

Le 2 mai

Jeudi de l’Ascension ; un goûter réunit les « familles » déguisées précédemment, puis sorties entre des orages de grêle.

Le jardiner continue à bécher

Le 3 mai

 Pluies torrentielles toute la journée : les caves sont inondées, les prés voisins transformés en lacs.

Les dortoirs sont fermés pendant la journée, pour éviter des groupements difficiles ä surveiller, notamment aux fenêtres.

 Le 4 mai

 Et la pluie tombe toujours…

Achat ä Aubusson de coton cardé, les réserves de Crocq étant épuisées !

Le 5 mai

Le temps se rétablit.

 Les Garçons sont insupportables, venant sur notre allée sans arrêt ; M. Aron les prend ä partie. Le soir, coups de sifflet sous les fenêtres des dortoirs vers 10 heures, certaine des nôtres semblant y répondre !

 Les éclaireuses commencent ä installer leur local (une salle de classe).

 Le 6 mai

Réception d’un gros envoi de fromages.

 M. et Mme Aron font des achats ä Aubusson, notamment mercerie, articles de classe ; et des livres pour notre bibliothéque bien maigre.

Le 7 mai

Les fenêtres des dortoirs sont peintes en blanc, pour éviter toute communication.

Pose de planches dans l’office… C’est plus difficile qu’on ne le croirait, car Il y a grande pénurie de planches.

 Il nous faut payer la taxe de balayage pour Neuilly ! C’est de l’ironie !

Le 8 mai

 En prévision des chaleurs, et ä cause des légions de souris, on installe un garde-manger ä la cave ; on ouvre les vasistas dans les dortoirs.

 Visite de M. Aron à Mme de Beauverger ; elle refuse la réparation du fourneau de cuisine qui marche et tient par miracle ; elle accepte la révision des cheminées ; et elle fera interdire la circulation des Garçons à l’intérieur de la propriété (sous prétexte d’aller à la ferme).

Un petit carré, dans le jardin, est réservé toutes les enfants qui le désirent ; elles choisissent, non sans peine, ce qu’elles veulent y mettre (surtout pensées et radis).

 Achat de graines variées.

 Le 9 mai

 Pour la première fois, nos filles font un essai de cuisine en plein air (chefs de clan et secondes d’éclaireuses) ; le menu et l’allumage du feu, par temps superbe, sont faciles et assez réussis.

Le 10 mai

Mlle Goumy étant occupée, le cours supérieur à congé, pour deux jours.

 Par ordre militaire, les lumières sont voilées avec soin ou éteintes. Les fenêtres sont bleuies plus intensément.

Le 12 mai

Dimanche de Pentecôte ; temps gris : les éclaireuses travaillent au local ; préparation d’un concours de mimes.

On rend une couverture.

Le 14 mai

La bataille de Belgique bat son plein : on annonce des réfugiés belges ; il est convenu que le Refuge pourvoira ä leur nourriture (fournie par la Mairie)  on commence à s’en occuper. Recherche de lait supplémentaire, de provisions…

 Les enfants, très émues, sont pleines de bonnes résolutions, font entre elles une quête qui rapporte pros de 200 francs pour leur offrir quelque chose ; on entrelace au réfectoire des drapeaux belge et hollandais ; on envisage de s’occuper particulièrement des enfants et des malades.

 Le ravitaillement commence à être difficile ; les marchands de gros et transitaires livrent très lentement et irrégulièrement. Prévoyant, ä la suite de I ’afflux des réfugiés, une augmentation des prix et une raréfaction des denrées, la Direction s’efforce de constituer une réserve aussi importante que possible, notamment en conserves de poisson, chocolat, sucre, pâtés, confitures, biscuits, légumes secs.

À la suite d’un violent incident entre des enfants la suite de nombreux vols, Mme Aron fait, d’accord avec elle, une perquisition dans à chambre : aucun résultat.

Le 15 May

 Orages ; on joue dans Ie pré lors des éclaircies.

 Nous recevons 150 kg de confitures.

Devant l’incertitude des événements, nous demandons I ’inscription de nos candidates au C.A.P Clermont Ferrand, et renonçons ä Paris.

Le 16 mai

Pluie, très violente le soir.

Concours de mimes, par groupes : six numéros i sont présentés, certains fort réussis. Un Petit Chaperon Rouge fantaisiste et vivant, obtient la majorité des suffrages.

 Le 17 mai

Visite d’un inspecteur de la Sûreté, de la Préfecture, pour vérifier la situation de nos étrangères… Nous devons demander, et obtiendrons facilement, la régularisation de la situation de M. Ménaché et de J. Timé.

Quant aux autres étrangères, si leur situation est parfois irrégulière, faute en est ä la Préfecture elle-même, ou des ronds-de-cuir tatillons et grincheux cherchent chicane sur tout, menacent sans cesse, et mettent plus de six mois ä envoyer la moindre pièce.

Le 18 mai

Mia Schwarzstein, dont la conduite auprès des fils de la ferme est loin d’être convenable, et qui sert d’intermédiaire à d’autres, est renvoyée du personnel ; elle restera provisoirement titre de simple élève.

Achat de 2 tonnes de pommes de terre (ä 105 F)

Le 19 mai

Les Garçons Sont toujours provocants, circulent à bicyclette dans l’allée pour nous narguer.

A l’école, les enfants sont de plus en plus par une bande antisémite. Cris et ripostes.

M. et Mme Kohn et M. et Mme Feldblum à Crocq, ou ils viennent s’installer pour quelques temps

 Le 20 mai

Foire ; nous y achetons quelques livres.

 Une balançoire, promise depuis longtemps par Mme Caen, more de Mme Nissim, est installée dans notre bois par M. Souchard : grande joie, on prend ses numéros !

 Mme Minc rentre de Paris, où elle à pris quelques vacances.

Nouvel achat de graines ; notre jardin se garnit de futures fleurs et légumes, guettés impatiemment par les enfants.

Et on attend toujours les réfugiés ; si les événements laissent prévoir qu’il y en à beaucoup, Crocq n’a aucune nouvelle de leur arrivée.

Le 21 mai

Vaccinations antidiphtériques de 2 enfants, et antivariolique de 14 autres, par notre Docteur ; elle se fait chez nous, même pour les écolières qui devraient l’être ä l’école par le docteur Robin ; celui-ci en tirera un supplément de rancune contre nous (C’est un des dirigeants du petit mouvement antisémite dans le bourg)

Arrivée de Mlle Buffet, qui s’occupera ä Crocq ou sa mère vient se reposer.

 Les Dupont sont priés par Mme Kohn de quitter leur chambre ; trouvant leur existence parmi nous avantageuse et facile, ils prétendent ne rien trouver.

Le 22 mai

Temps orageux, comme la veille.

Avec M. Kohn, recherche d’un logement pour I’AIliance (12 personnes) ; l’annexe d’un hôtel conviendrait ä la rigueur, mais ne sera pas retenue.

Le 23 mai

Mme Kohn trouve elle-même une chambre pour les Dupont. Ceux-ci se résolvent ä partir.

Foire… Horreur, sans pâtisserie ! Le temps orageux peut en être la cause.

Le 24 mai

Nous recevons de Clermont-Ferrand ravis d’inscription de nos 4 candidates au C.A.I’. Couture ; I ’horaire de l’examen, réparti sur 12 jours du 9 au 20 juin, est des plus gênants et des nous ; à Paris, il était passé en deux jours.

Rien à faire, nous dit on, pour le C.A.P. de Secrétaire, déjà passé à Vichy.

Nous écrivons à M. Goumain pour qu’il essaie de refaire inscrire nos candidates ä Paris ce qui ne compliquerait pas les choses (on coucherait à Neuilly).

 Le jardinier continue l’aménagement de notre potager.

 Le 26 mai

Les garçons continuent ä empoisonner notre dimanche par leurs provocations.

Mlle Buffet et une amie de Mme Nissim, Mme Serriére, s’inscrivent parmi notre Personnel pour donner des leçons aux plus retardées et aux petites. Mme Serriére s’occupera également de la gymnastique. Elle prend ses repas avec nous, ainsi que son fils de 4 ans.

Le 27 mai

 Toujours aucune nouvelle des réfugiés.

En raison de la défection des Belges et des Hollandais, on retire les drapeaux qui ornaient le réfectoire.

 Le 28 mai

 M. Aron part en auto, avec M. Kohn, ä Paris.

Malgré l’approche de l’ennemi, la capitale est calme.

 à Neuilly, M. Aron trouve des ouvriers dans la maison, mise par le Comité ä la disposition de la Présidence du Conseil pour y recevoir des réfugiés du Nord. Impossible d’entrer dans le bureau de la Direction, fermé…

Le Refuge est en bon état, malgré l’abandon complet ; un arbre mort s’est abattu dans la cour.

M. Aron, passe la soirée ä sortir des affaires ä remporter Crocq.

 à Crocq, on recoit les cartes d’alimentation, qui vont commencer ä servir pour le sucre.

 Et l’approvisionnement continue ä être assez dur : nous achetons, petit à petit, conserves, sucre, biscuits.

Le 29 mai

 à Neuilly, démarches diverses :

M. Aron voit M. Goumain ; en raison des événements, il à été interdit aux réfugiés en province de venir à Paris passer des examens ; donc, le C.A.P. couture se passera ä Clermont-Ferrand, mais, vu l’impossibilité, M. Goumain s’efforce d’obtenir que notre candidate secrétaire vienne quand même ä Paris.

 M. Goumain donne son impression (assez quelconque) sur les Dupont, et confirme qu’il leur à fermement recommandé de se tenir tranquilles.

Puis visite ä la Préfecture de Police, afin d’essayer d’avoir par elle les cartes d’identité de nos étrangères : Il y a tellement de mauvaise volonté ä Guéret, qui traine et nous donne ensuite des amendes pour retard… Mais la Préfecture de Police n’a pas le droit d’intervenir dans notre cas… Tant pis !!

 Gros achats au Bazar de l’Hôtel de ville : assiettes métalliques et quarts, produits d’entretien, articles de classe.

Courses ä la Banque ; les transports sont faciles.

 à Neuilly, incident tragi-comique : M. Aron, entrant avec sa clef dans la maison, est presque accueilli en cambrioleur par l’infirmière qui s’occupe de l’aménagement pour le compte de la Présidence du Conseil (bien que prévenue par les ouvriers qui remettent en état)… Discussions, en montrant ses papiers d’identité, ses clefs, le Directeur arrive ä grand peine à éviter que l’infirmière appelle le Commissaire… puis nouveaux cris de celle-ci en constatant que des objets ont été sortis des placards, interdiction de sortir quoi que ce soit du Refuge (même le linge personnel de Mme Aron) en raison de la Responsabilité » de l’infirmière, etc.

 Finalement, en promettant de ne rien enlever durant la nuit, et après téléphonages ä Mme Leven et ä la Présidente de l’autre œuvre, M. Aron obtient la clef du bureau de la Direction ! Il pourra téléphoner !

il prend contact avec Mlle Meyer, notre Assistante sociale mobilisée et en permission (après de dures journées dans le Nord). Celle-ci donne des conseils sur les rapports avec la Préfecture. Puis il perd son : temps à aller prendre les ordres de L’infirmière

Le 30 mai

Suite des courses à Paris ; I ‘après-midi, rangements à Neuilly.

Et suite des incidents avec l’infirmière, qui dc mande un inventaire… très réduit… du mobilier dont elle est responsable, moyennant quoi elle autorise fermer certaines pièces.

Le 31 mai

 Le matin, transport des bagages, partie chez M Kohn, qui les emportera le lendemain en auto, pal tie ä la gare pour bagages, partie ä la grande vitesse

Cela vaut une scène de l’infirmière, quand elle s’aperçoit que des objets ont quitté la maison !

 Elle finit par en prendre son parti, d’autant plus : que ces objets n’étaient pas sur l’inventaire.

Puis visite aux Eclaireuses Israélites, prise de contact et renseignements sur des chefs possibles ; il n’y en à pas vers Crocq, mais on suggère d’en faire venir au pair pendant les vacances.

De son côté, Mlle Meyer, toujours aussi dévouée ; sacrifie toute sa journée ä des démarches ä la Préfecture de Police (pour les cartes d’identité), ä un hôpital pour retirer des papiers.

 Le soir, M. Aron prend le train pour rentrer ä Crocq.

 à Crocq, l’attente des réfugiés continue ; il n’est plus question de belges, mais de français du Nord ; on en prévoit environ 80.

Nous rendons pour eux les couvertures qui nous ont été prêtées lors de notre arrivée.

Et nous continuons nos achats de vivres, d’autant plus que l’envahissement de la France et le blocus vont nous priver de nombreux fournisseurs.

Le 1er juin M.

 Aron arrive ä Crocq dans la matinée rapportant du linge, des ustensiles de cuisine, de la papeterie de Neuilly.

Les Dupont achèvent un déménagement complet de leur chambre, sortant par la fenêtre et mettant dans leur auto les objets qui leur appartiennent, et les autres.

Le 2 juin

Retour d’une des grandes, Yolande Charlot, qui était depuis plusieurs mois en sanatorium.

Départ de deux autres, Mia Schwarzstein et Olga Lourié ; Assistance aux Réfugiés » de Clermont Ferrand à accepté de les prendre et de s’efforcer de leur trouver une place dans une usine de guerre, ou ailleurs. En raison de leur tenue, il devenait impossible de les garder plus longtemps avec nous.

 Le soir, prière pour l’anniversaire de la mort d’une précédente Directrice du Refuge, que beaucoup d’élèves ont connue.

 En raison de la menace qui pose sur Paris, tous les examens y sont supprimés : le C.A.P. Couture se passera donc ä Clermont, et on renonce au Secrétaire

Le 4 juin

Discussion entre M. Aron et Mlle Dupont, au sujet des objets enlevés sans autorisation ; devant I ’arrogance de son interlocutrice, M. Aron ne I ’autorise pas ä revenir pour ses cours.

Le 5 juin

Examen du Certificat d’Etudes. Mme Grauer présente huit candidates de la Maison, sur douze élèves de la classe (une est trop jeune) ; sept sont reçues, dont la première du canton… Joie, cadeaux…

Mlle Dupont vient, sous prétexte de préparer l’épreuve de dessin, en profite pour injurier le Directeur devant les enfants.

 Le 6 juin

Goûter en l’honneur des succès du Certificat d’Etudes ; en raison des circonstances de plus en plus graves de la guerre, ce goûter est calme… Chant du Départ, Marseillaise.

Achat d’une livre de beurre… cela ne nous arrivera plus de longtemps !! et réception d’un dernier envoi de fromages de la Marne…

Attente fiévreuse de réfugiés.

 Le 7 juin

Mlle Dupont supplie Mme Kohn de lui laisser sa place à tout prix… C’est accepté provisoirement, condition qu’elle se tienne tranquille. Elle fournit l’inventaire de ce qu’elle à emporté, inventaire accompagne de considérants assez curieux

Le 8 juin

Malgré la gravité croissante des événements M Aron et les 4 candidates au C.A.P. Couture partent ä Clermont-Ferrand pour la première partie de l’examen. Mme Kohn les conduit en auto à Létrade, elles prennent le car de Clermont. Voyage facile. Elles sont hébergées au Centre d’accueil, où elles retrouvent les deux grandes parties auparavant, Mia sans place, Olga bonne d’enfant.

Pour la première fois, nous mangeons des produits de notre jardin, radis très appréciés. Il y en à pour une huitaine de repas ; puis viendront les salades et carottes. Arrosage et arrachage font la joie des enfants… mais que de chapardages de légumes crus !

Temps orageux, amenant quelque énervement.

 Le 9 juin

Début des épreuves du C.A.P. au collège de Clermont : calcul et français ; les candidates sont satisfaites.

On apprend qu’il va y avoir une session ä Clermont pour le C.A.P. Secrétaire : cela tombe bien, puisque notre candidate ne peut plus aller ä Paris ; malgré l’époque tardive, on veut bien l’inscrire ; ce second examen coïncidera avec une partie de celui de couture.

Gros orage ä Crocq, où les candidates et Mme Aron rentrent en attendant la fin de l’examen.

Le 11 juin

 Notre Pentecôte…

Une crémé au chocolat la marque… on n’a guère le cœur ä en faire davantage, car la bataille de France fait rage.

 Assez in extremis, nous recevons le colis des emplettes de M. Aron au Bazar de l’Hotei de ville : dernier envoi de Paris ; nous avons encore, annoncés comme en route, 2 tonnes de pommes de terre et 120 kg de confitures que nous ne recevrons jamais’ et qui nous manqueront bien.

 Achat de pharmacie à Aubusson, pour notre brulée dont l’état s’est fort amélioré, mais dont les pansements Sont toujours longs et douloureux.

Le 12 juin

 Les premiers réfugiés commencent à affluer à Crocq ; ce sont, pour la plupart, des français du Nord et de la Marne ; presque tous arrivent en auto bondée de ce qu’ils ont pu sauver.

 Alertés dès le matin, nous préparons le repas pour une partie d’entre eux. Un service spécial est prévu et toutes font de leur mieux pour aider. En fait, nous n’avons que 9 personnes pour le déjeuner, et 28 pour le diner.

 L’arrivée de ces malheureux est plutôt un objet de curiosité pour beaucoup ; il faut, le soir, mettre au point, dans une causerie, la très grave situation de la France.

Le 13 juin

Il repas, matin et soir ; la cantine scolaire et les hôtels subviennent au reste, d’autant plus que beaucoup de réfugiés ont encore quelque argent.

On commence à annoncer les restrictions… logiquement, on aurait dû le faire bien plus tôt.

 Au Refuge, on à commencé ä acheter quelques provisions, car les réfugiés vont razzier ce qu’ils trouveront.

 Le 14 juin

9 repas de réfugiés ; 2 familles.

Notre cuisinière, Mme Dufour est prise en flagrant délit, portant aux fermiers voisins deux pains entiers ; l’enquête montre que, depuis longtemps déjà, elle leur donnait la totalité des repas de leur famille, sans compter celle des animaux ! Tout cela pour recevoir vin et alcools ä discrétion.

 En raison de son Age et de ses promesses, nous accordons le sursis au renvoi.

Il faut repartir Clermont pour la suite des C.A.P…. Ce départ à fait l’objet de bien des hésitations, vu la gravité de la situation, l’avance foudroyante de I ’ennemi sur notre territoire, la raréfaction des communications, doit-on se risquer, et la Directrice doit-elle partir ?

Finalement, on s’y décide, et au petit matin Mme Aron part avec les 4 couturières, et une grande à faire examiner à l’hôpital. Une auto louée les conduit Létrade, d’où part le car régulier pour Clermont. „ Hélas, l’arrivée, on apprend que ce car à été réquisitionné pour transporter des réfugiés ! DOS l’ouverture du téléphone, on alerte Mme Kohn pour qu’elle vienne continuer le transport (car l’examen commence dès l’après-midi.)

Mme Kohn accepte, le voyage se fait à grande allure.

 DOS l’arrivée ä Clermont, les enfants sont logées ä l’Ecole Primaire Supérieure, transformée en Centre d’accueil de Réfugiés.

Bien qu’assez émues et fatiguées, les candidates commencent bien l’examen.

Nous touchons l’allocation de Réfugiés de mai ; mais, aussitôt, arrivent plus de 26 tonnes de charbon, envoyés d’office par la Préfecture ä la suite de nos prévisions pour l’année ; ce serait parfait si on ne demandait pas le paiement immédiat, plus de 13 000 francs ! à un moment oû les rentrées sont rares, les envois du Comité difficiles, c’est une quasi impossibilité de payer ; on verse un acompte de 7 000 francs, en espérant attendre la fin du mois pour voir.

 L’ennemi est ä Paris, évacué depuis quelques jours par tous les officiels ; en particulier, toute communication postale est arrêtée depuis le 10 ; quant aux communications ferroviaires, elles partent d’Orléans, et de faon très irrégulier en raison des bombardements et des destructions d’ouvrages d’art.

 Le 15 juin

 à Crocq, l’affluence augmente ; les autos encombrent partout ; les lieux d’asile prévus, école et fermes, sont bondés.

Les classes de l’école sont terminées, pour transformer les locaux en dortoirs de réfugiés.

Nous n’avons, pourtant, que nos 9 hôtes de la veille.

 Mme Germain, qui n’a pu, faute de place, partir la veille avec Mme Aron, part ä son tour pour Clermont, ou elle conseillera les candidates ; elle emmené la candidate Secrétaire, dont l’examen est plus rapide.

 Instruite par l’expérience de la veille, elle cherche ä atteindre Clermont par ses propres moyens : il n’y à plus de trains de voyageurs. Elle monte dans un train de marchandises, et finit par arriver à destination en fin d’après-midi.

Les examens de Clermont ne sont pas raccourcis ; ce qui est invraisemblable, vu les événements.

Mme Aron essaie de joindre Mme Leven à Vichy ; mais le téléphone est coupé ! Une petite du Refuge est reprise par sa mère : idée bizarre en ce moment.

Le 16 juin

 L’afflux des réfugiés continue ; après les autos, ce sont les cyclistes.

L’école étant installée pour les repas, il ne nous vient pas grand monde ; mais, par contre, on nous demande de coucher des vieillards, enfants, malades : nous transformons en dortoir une infirmerie et l’ancienne chambre de Mme Germain ; nous couchons 11 personnes, en nourrissons 7.

 Un groupe de 8 de nos filles assure une permanence ä l’école pour aider aux repas, aux nettoyages.

A Clermont, les examens continuent ä petite allure ; celui de la secrétaire est terminé, les autres avancent ; les candidates sont satisfaites.

La malade entre en observation ä l’Hôtel-Dieu.

 L’ennemi avance rapidement au sud de la Loire : le retour de Clermont ä Crocq sera-t-il possible ?

Il n’y à plus aucune communication régulière, et tous les cars sont réquisitionnés pour le transport des réfugiés.

Les enfants sont calmes, très calmes, trop calmes.

Il est stupéfiant de constater combien elles se rendent peu compte des heures tragiques.

 Le 17 juin

La défaite est consommée ; le gouvernement français demande la paix.

L’avance foudroyante de l’ennemi qui ne rencontre qu’une résistance insignifiante continue.

Les Allemands vont-ils entrer ä Crocq ?

La cohue augmente dans le village, bourré de réfugiés, sillonné de voitures, parcouru par les soldats fuyards ; le centre d’accueil est sur les dents.

 Le Refuge loge 22 personnes ; I infirmerie, peu fréquentée heureusement, cède encore deux pièces. Et nous nourrissons 8 personnes.

Parmi nos hôtes, un enfant très fiévreux, une vieille grand-mère aveugle, une maman avec son bébé, une autre avec trois petits, et un quatrième qui va venir.

 Nos tilles se dépensent sans compter.

A Clermont, l’examen continue, sans hâte malgré la fièvre des événements et l’approche de l’ennemi. On radiographie la malade.

 Il est impossible Mme Aron de joindre Mme Leven aucune communication n’existant plus ; en particulier, il est impossible de résoudre la question financière des plus angoissantes.

 Le I8 juin

 La situation est de plus en plus grave :

 Crocq, largement débordé à l’Est et l’Ouest par les troupes allemandes qui atteignent Angoulême et ont dépassé Lyon, qui sont ä Montluçon, peut être atteint d’une heure à l’autre. Une gare voisine à été bombardée, Létrade à été visée.

A travers le bourg, c’est une suite ininterrompue de voitures qui fuient, des soldats en débandade.

 Et au Refuge, on se demande si la Directrice pourra revenir ; il n’est plus question de communications d’aucune sorte avec Clermont ; le téléphone, le télégraphe sont coupés.

Le Directeur envisage toutes les éventualités en cas d’arrivée de l’ennemi ; il n’y a pas songer à fuir, c’est matériellement impossible avec notre nombre ; donc, on attendra aux Granges… on fait disparaitre quelques dossiers d’enfants ayant fui l’Allemagne, on dissémine les vivres, on cache les objets précieux.

Les enfants reçoivent les instructions et conseils de prudence : rester à l’intérieur de la maison dés apparition de l’ennemi, s’efforcer de ne pas répondre ses questions éventuelles ; dés à présent, ne pas quitter les Granges sans être accompagnées d’une Dame Surveillante ; naturellement, derniers conseils en cas de bombardement ou de tirs.

. Enfin, M. Aron, envisageant la possibilité qu’il soit emmené par l’ennemi, confie en ce cas la Direction du Refuge, si Madame Aron n’est pas rentrée, à Mmes Grauer et Nissim.

 Ces décisions sont portées à Madame Kohn, qui est sur son départ pour Toulouse ; celle-ci, représentant le Comité, les approuve et s’oppose une proposition de Mmes Grauer et Nissim d’éparpiller les enfants dans des fermes : quoi qu’il en soit, le Refuge restera, et restera Crocq.

 L’absence de nouvelles du Comité, le départ de Mme Kohn, rendent plus angoissantes encore les difficultés financières : avec quoi paierons-nous les fournisseurs en fin de mois ? La caisse est vide.

 Mme Kohn nous laisse un choque inutilisable, les relations bancaires étant inexistantes… heureusement, les Directeurs ont quelques disponibilités personnelles.

 Nous couchons 26 réfugiés, en nourrissons 9 ; le 9ieme dortoir est donné aux Réfugiés… on se serre

 à Clermont, aucun train ne marche plus ; l’hôpital refuse de garder en observation notre malade, étant envahi par des hôpitaux évacués et quantité de blessés et malades. On verra le chirurgien quand le calme sera revenu.

 Après s’être mises en règle à la gendarmerie pour les laissez-passer, et devant les menaces qui s’accumulent sur Clermont, Mme Aron fait partir, comme elles le pourront, celles dont la présence n’est plus utile : Mme Germain, avec la candidate secrétaire, la malade, et Mia Schwarzstein, qui n’a pas encore trouvé de travail.

 Ce groupe part pied 3 heures de l’après-midi.

 Les couturières, consultées, désirent finir ; Mme Aron arrive enfin à convaincre la Directrice de l’Ecole de faire finir l’examen demain au lieu d’après-demain !

 Et ce second groupe passe la nuit à Clermont, au bruit des véhicules de toute sorte qui fuient, et d’un bombardement qui se rapproche.

 Les réfugiés des Granges camouflent leurs voitures (il y en à trois devant la porte) ; certains fuient plus loin.

Le 19 juin

 à Crocq, 11 réfugiés prennent les repas, et 24 couchent.

 Dans la matinée, arrive le groupe de Mme Germain : peu après le départ de Clermont, il à pu, grâce à 1’« auto-stop », monter dans divers camions militaires qui, en 18 heures, lui font faire la centaine  de kilomètres, non sans émotions. Un avion ennemi, notamment, à piqué sur le groupe de camions heureusement n’a pas tiré.

 Nous voyons arriver également le fils de Mme Grauer, venant bicyclette de Paris, et le frère de Mme Germain, qui en arrive pied après huit jours de marche ; nous hébergeons ce dernier, assez fatigué.

Et l’angoisse croit pour le groupe de Mme Aron : sera-t-il prisonnier Clermont, dont les allemands doivent être bien pros ?

On continue entendre le canon.

 Le service de nos filles l’école est suspendu, Mlle Goumy ne voulant pas voir circuler dans les rues ou l’ennemi peut apparaitre d’un moment à l’autre ; il est interdit aux enfants de quitter les Granges, sauf pour aller chercher le lait.

Tout Crocq attend…

Pendant ce temps, Clermont, les examens se terminent enfin ; ils sont bien réussis, et c’est méritoire en raison des conditions : Il y a eu alerte au milieu de l’après-midi, et on sait que l’ennemi est ä quelques kilomètres.

 Il s’agit maintenant de repartir, si possible : personne ne le conseille, les routes n’étant plus sures, et aucun moyen de transport ne pouvant être envisagé. Tant pis, on partira à pied cette nuit, advienne que pourra !

Mme Aron fait les ultimes courses, se fait une carte schématique des routes possibles, donne rendez-vous pour le départ à 20 heures, place Jaude, aux quatre candidates, augmentées d’Olga Lourié qui, ayant perdu sa place et affolée, est venue ; elle aussi, implorer son retour à Crocq.

Au rendez-vous, Olga manque : on part sans elle dans la nuit noire. à 4 kilomètres, le groupe à la chance de trouver un camion militaire qui va à la Courtine, et accepte de le charger. Il le laisse à Giat, et le groupe fait à pied les 12 derniers kilomètres ; il arrive aux Granges à 4 heures du matin…

Ouf !

Le 20 juin

La réunion cause un léger soulagement dans l’angoisse.

 Mais la guerre est à nos portes : Létrade, Aubusson sont bombardés ; Il y a des victimes ; le canon tonne toute la journée.

Toute sortie est interdite aux enfants sans un ordre écrit de la Direction ; dans le domaine même, toutes doivent rester en vue de la maison ; les enfants n’ont, d’ailleurs, aucune envie de sortir.

 Les Réfugiés cessent les repas aux Granges, la cantine scolaire étant installée pour les recevoir tous ; nous ne conservons que la maman du bébé. 22 personnes couchent encore.

Le ravitaillement devient difficile : les épiciers sont dévalisés par les réfugiés ; heureusement, nous avons prévu, et nous nous en tirons. Il n’est naturellement plus question de recevoir les denrées commandées, pommes de terre ou confitures.

Et il reste en caisse… l’argent personnel des Directeurs… La aussi, la rentrée est problématique ; il n’est même plus possible d’utiliser les sommes restant au compte chèques postaux.

Et le charbon à payer : il va falloir en vendre !

Le 21 juin

 Sous la pluie, Crocq attend toujours.

On n’a aucune nouvelle, sinon des communiqués contradictoires des différents pays.

 Le 22 juin

Les pourparlers d’armistice se poursuivent, et il semble qu’il y ait une certaine accalmie.

Le miracle se produira-t-il, Crocq, largement encerclé, se verra-t-il inviolé ?

 On attend… Au « marché » fantôme, pas un œuf, pas de beurre. Heureusement, le lait et le pain ne manquent pas : c’est à peu pros le seul ravitaillement possible. Nous devons commencer à nous rationner un peu, supprimons quelques desserts et goûters.

 Et nous commençons vendre du charbon pour nous procurer quelques fonds ; les acquéreurs ne manquent pas, le bourg en étant complétement privé, et aucun ravitaillement n’étant attendu. Cela va être une cause de rancune contre nous, qui n’en donnons pas assez, ni à tous !

 Et puis, aurons-nous suffisamment pour l’hiver, si nous restons ?

 Le 23 juin

Triste dimanche ! Sous la pluie, on continue à attendre, Et on continue à ne rien savoir.

 Le 24 juin

 Anniversaire de la Paix de Versailles en 1919 ! Et on sait que l’armistice doit être signé. On en donne les grandes lignes…

Lamentations… Que va-t-on faire ? Si, comme il semble certain, Neuilly est occupé, qu’allons-nous devenir ? Et à Crocq, avec l’allure antisémite de l’école, quelle sera notre position ?

Les idées sont sombres.

 Et il pleut toujours.

 Nous sommes isolés du reste du monde : ni communications d’aucune sorte, ni poste, ni télégraphe ou téléphone, ni journaux.

Nous avons, par économie, liquidé le jardinier ; nous nous occupons nous-mêmes du jardin qui commence à bien se garnir, et nous est précieux comme ressources en légumes verts, totalement manquants dans le commerce. Nous avons radis et salades en quantités.

 Le 25 juin

 Nous connaissons les conditions de l’armistice…

Journée de deuil, selon la demande du Maréchal Pétain. Le directeur va à une cérémonie au monument aux Morts ; après-midi, office la maison pour nos morts. Et toutes restent la maison.

Pour la première fois depuis quelque temps, nous recevons du courrier : trois lettres d’avant le 10 juin.

Pour la dernière fois, nous avons un communiqué français : nous n’aurons plus, maintenant, que des nouvelles étrangères par T.S.F.

Le 26 juin

 Foire, marché : aucun ravitaillement cependant, car nul n’est venu ; peine quelques œufs, un peu de beurre du pays.

Et encore quelques rares lettres.

Le 27 juin

 Aucun ravitaillement, car la circulation des voitures est interdite pour dégager l’embouteillement du département.

Les enfants restent au domaine, en raison d’encombrement des routes (et de la tristesse)

Le 28 juin

 Aucun ravitaillement encore, nous vivons sur nos provisions.

La fin du mois approche, et les fonds des Directeurs s’épuisant, comme les autres

Un télégramme de plus d’alarme est envoyé Mme Kohn… Arriver a-t-il ?

On nous annonce le paiement prochain de I ‘indemnité de livres d’école : il sera le bienvenu !

 Les sorties reprennent, par temps assez beau. Mais des conseils ont été donnés, d’éviter toute manifestation bruyante.

Le 29 juin

 M. et Mme Kohn reviennent de Toulouse, sont accueillis avec joie et avec soulagement.

Et on voit apparaitre M. Weil, pere de nos deux benjamines, toujours aussi peu discret et désagréable ; on essaie de l’expédier ailleurs, car il est encombrant.

 Sortie des Eclaireuses.

Aucun ravitaillement ; le menu n’est pas varié pâtes, riz… riz, pâtes… Heureusement, la viande ne manque pas, ni le pain bien que la farine arrive peu

Le 30 juin

Temps superbe ; sorties générales.

À la suite d’un nouvel incident, la cuisinière, Mme Dufour, est renvoyée ; son aide, Jeanne Timé, est menacée du même sort.

Mme Melloul accepte de s’occuper de la cuisine ; elle y sera aidée par Mia.

On peut, heureusement, faire trainer quelques jours le règlement des fournisseurs, car les caisses sont vides, aussi vides qu’il est possible.

Et ainsi se termine le premier semestre de l’année, et le mois de juin :

 — Semestre de déceptions, d’écroulements ;

— Mois de cauchemar… .

Fn dépit de tout, le Refuge à tenu, s’est tiré d’affaire (l’aide de M. et de Mme Kohn à puissamment contribué) ; toutes ont montré courage et confiance ; les restrictions ont été légères.

 Les prix n•ont pas été sensiblement modifiés

. Le 1er juillet

M. et Mme Kohn partent la Bourboule pour voir la Banque Rothschild ; celle-ci ne peut rien faire, ayant peu de disponibilités à nous, mais promet d’envoyer bientôt ce qu’elle pourra.

Pauline Ménaché, abandonnée par l’Alliance, est rencontrée par hasard La Bourboule, et ramenée à Crocq ou nous la reprenons parmi le personnel ; elle s’occupera râtelier et aiderà la surveillance du nettoyage.

 Nous continuons vendre du charbon pour joindre les deux bouts… car, par régler les comptes de juin, les directeurs ont dü avancer plus de 15 000 F de leur poche !

 M. et Mme Aron font aux enfants, le soir, le bilan de leur première année de Direction : année mouvementée !

Le 2 juillet

Un nouveau programme de travail est mis en route pour les vacances : atelier matin et soir, quelques classes. Les grandes sont ainsi occupées ; les moyennes le sont moins, et peuvent jouer et sortir davantage.

 Comme il fait beau, ces dernières vont patauger dans la Tardes.

Sans le moindre Plaisir, nous voyons réapparaitre Olga Lourié qui, ayant manqué le départ de Clermont, à trainé quelques jours avec les réfugiés, et à fini par nous rejoindre. Elle se rendra vite insupportable, racontant tort et à travers ses prouesses de Clermont, et toujours aussi peu équilibrée.

 Le 4 juillet

Un épicier à reçu de vagues provisions : on fait la queue pour n’avoir presque rien.

 De son côté, M. Kohn, sur des indications reçues, va Auzances (28 km) pour chercher des provisions ; il n’en rapporte peu près rien.

M. Weil, père de nos benjamines, fait du scandale et harcèle chacun.

 Le Cours Supérieur goûte chez Mlle Goumy, à qui il à offert un ouvrage.

 Le 5 juillet

Semblant de ravitaillement : nous trouvons quelques légumes frais très chers, et des fromages de St Nectaire ; Nous en prenons sans hésiter.

Nous recevons la contre-valeur des livres scolaires achetés dans l’année : 70 francs par enfant, soit 3 000 francs qui arrivent ä point.

Par contre, nos ventes de charbon mécontentent tout le monde : les favorisés qui en veulent davantage, les non-favorisés qui protestent, admettant que nous devons fournir à tous, et nous-mêmes dont le stock diminue ; heureusement, nous pourrons bientôt arrêter ces ventes.

Le 6 juillet

M. Kohn, qui est allé à Auzances, en rapporte 2 morceaux de savon, 1 litre d’huile et des boites de pâté ! à Crocq, on ne trouve guère davantage.

Les petites mettant au pillage les groseilles encore vertes, la Direction, pour l’exemple, coupe les branches.

 Le 7 juillet

 Sorties, malgré la pluie intermittente.

La Préfecture, à qui nous avions écrit pour essayer d’avoir l’allocation aux Réfugiés entière (au lieu de la moitié) répond par une fin de non-recevoir.

Nous recevons de la charge Leven, à titre d’aide, cinq mille francs ; et la Banque Rothschild nous envoie six mille francs…

Tout cela n’est pas lourd ; heureusement, Mme Kohn continue nous aider.

le 8 Juillet

Nous pouvons régler le solde du compte de charbon, et ne vendrons pas d’avantage.

M. Kohn prend d’autorité aux fermiers voisins la cave de notre maison, qu’ils ne voulaient pas abandonner, et dont nous avons besoin pour le charbon et le bois de chauffage.

 Le 9 juillet

 Enfin, une lettre de Mme Leven assez rassurante sur l’avenir immédiat !

M. Kohn rapporte d’une expédition en auto, 5 savons, 2 litres d’huile, 10 pâtés ! Il est bien accueilli.

Nous devons payer à la Préfecture pros de 500 F pour cartes d’identité en retard ; nous apprendrons par la suite que ce retard est imputable à des négligences de la mairie de Crocq.

Le 12 juillet

Grosses pluies, très frais : Il y a 7 le matin.

On rentre le charbon dans la nouvelle cave.

 Madame Kohn dine chez nous, puis on lui fait une petite représentation, chants et danses, sans costumes.

 Nous arrivons acheter des haricots à écosser et des fromages.

 Le 13 juillet

Le temps s’est rasséréné ; on en profite pour faire des promenades, en quatre groupes… Un cinquième en profite pour aller chiper des pommes dans un champ de la ferme : cris et menaces…

Monsieur Kohn part pour Toulouse.

Pour la première fois depuis l’armistice, nous recevons une lettre de France occupée : soulagement, car toutes sont bien anxieuses du sort de ceux qu’elles ont laissé à Paris ou ailleurs.

Nous envisageons la possibilité de rendre certaines enfants à leur famille par économie, mais cela s’avère bien peu possible.

 Le 14 juillet

Triste Fête Nationale !

Par ordre du gouvernement, c’est jour de deuil ; le matin, office religieux l’après-midi, promenades ; nous cueillons du tilleul, des framboises.

 Au diner, un léger supplément de dessert montre que ce fut fête.

 Le 15 juillet

 Un camion de ravitaillement, qui se rendait en France occupée et ne peut aller au-delà de la Creuse, nous fait profiter de légumes verts : nous faisons pendant quelques jours une débauche de tomates et de haricots ! Il y a longtemps que nous n’avions eu pareille aubaine !

Le 16 juillet

 Foire,  qui se compose de deux éventaires de chaussures : la circulation étant difficile, cela s’explique.

Pour la derniére fois, nous achetons un tube de Butagaz : c’est le dernier qui existe à Crocq, et on n’en aura plus de longtemps, car on le fabrique en région occupée : il n’en passera pas.

Le 17 juillet

 Enfin, arrive une lettre de Paris et, la grande joie des enfants, il leur est permis de répondre ; hélas, bien peu de leurs lettres arriveront, la censure étant très sévère.

 Par beau temps, nous allons cueillir des framboises.

Le 19 juillet

 Petit à petit, par tous les moyens notre caisse s’emplit un peu ; nous avons touché l’allocation d’Etat aux réfugiés, soit pros de 12 000 francs, et les subsides de l’Aide aux Réfugiés Israélites, 3 350 francs ; mais les fonds réguliers font encore bien défaut, et c’est une rude cause de soucis.

Le 20 juillet

 Le ravitaillement continue à être des plus précaires ; on n’a pas pu avoir de sucre depuis un mois (heureusement, nous avons prévu) ; et les épiciers n’ont rien à offrir.

Dans la cave laissée par les fermiers, nous trouvons, dans le sol, un vrai champ de pommes de terre négligées… Nous ne les négligeons pas plus longtemps, cela fera deux repas appréciés !

 Le 21 juillet

Il fait beau, on se prornéne.

Madame Kohn, qui va Clermont-Ferrand, volt des gens du Comité Israélite de la ville pour essayer de replacer nos deux grandes revenues.

Monsieur Kohn, revenu, nous apporte 40 kg de lentilles… Oil est Ie temps oil nous achetions par sacs de cent kilos ?

 Le 22 juillet

Pluie presque continuelle, nouveau Gribouille, le fils de Mme Serriére, agé de 5 ans, en profite pour tomber dans le bassin de la ferme ; plus de peur que de mal, heureusement !

Les éclaireuses sont fort occupées des travaux qu’elles veulent s’efforcer de vendre pour leur caisse : ouvrages manuels, cadres de photos, etc.

 Les acheteuses seront les clientes de l’atelier et les maitresses.

Le Comité fait prolonger notre location des Granges ; prolongation accordée sans peine, pour une durée indéterminée, hélas

! Menu : pates, riz ; riz, pates…

Le 24 juillet

Renvoi de Mlle Hirtz, prise en train de s’approprier des friandises appartenant des enfants. Elle était suspectée depuis quelque temps.

Pauline Ménaché la remplace comme surveillante des nettoyages.

Le 25 juillet

 Pour la premiére fois depuis son accident du 10 avril, Louise Zaguedoun, guérie de ses brûlures. Descend avec ses compagnes ; elle marche encore difficilement.

 Comme la veille, les éclaireuses sortent par clan : sorties enthousiastes et réussies, sans la moindre anicroche.

Visite ä Mme de Beauverger au sujet du renouvellement de location ; elle est fort aimable, mais ne veut pas faire les reparations les plus urgentes, notamment celle du fourneau de cuisine qui menace ruine ; elle accepte de faire ramoner et revoir les cheminées délabrées. En fait, ces cheminées ne seront pas touchées.

U’axant derniére familie de réfugiés heberges chez nous rentve chez elle. Sauf l’ancienne chatnbre de Mme Gevmain, toutes nos chambres ont repris leur destination habituelle.

Le 26 iuillet

 Crocq étant nanti depuis un mois d’un Commandant d’Armes 4 galons, décoratif et inactif, soidisant chargé des retugiés et du ravitaillement, M. Aron lui rend visite pour tenter d’avoir par lui le ravitaillement urgent, notamment le sucre ; il n’en tire que de belles paroles.

 Nous le laisserons donc désormais son bureau, jusqu’a son départ qui passera inaperqu dans une quinzaine.

 M. Kohn rapporte de Marseille un ravitaillement sensationnel : 350 kg de légumes secs, SO kg de savon, 20 litres d’huile ; tout cela était inconnu depuis deux mois

Le 27 juillet

 Départ provoqué dune de nos plus mauvaises pensionnaires, que son pore vient reprendre : Marie Znajdek

. De Clermont, on nous confirme qu’on ne peut rien trouver comme place nouvelle pour les deux qui en sont revenues le mois dernier.

Beau temps ; on en profite pour chercher des framboises qui serviront de dessert. Notre jardin fournissant toujours des légumes utiles.

 Le 28 juillet

Le dimanche est occupé par une petite représentation pour des amis de Mme Kohn.

 Le 29 juillet

Mlle Hirtz, qui est restée depuis son renvoi dans sa chambre, en faisant des démarches, quitte Crocq pour Clermont

En méme temps part Clermont, Olga Lourié que nous ne pouvons garder plus longtemps au milieu de nos filles, en raison de son état mental. Elle se placera comme domestique.

M, Kohn repart Toulouse.

 Aucun ravitaillement, méme pas de beurre ni d’æufs.

Heureusement, le jardin nous donne carottes (qui sont dévorées crues par les filles), pois excellents, salades en quantité et pour lesquelles l’huile de M. Kohn est précieuse.

 Nous bénissons l’idée de Mme de Rothschild de nous faire cultiver ce jardin qui nous aidera tout l’été et nous fera faire force économies dans notre ravitaillement en primeurs et assaisonnements.

Les fleurs des enfants ne se montrent pas encore, malgré des arrosages désespérés.

 Le 30 juillet

Des avis officiels recommandent aux Israélites de ne pas rentrer en zone occupée ; nous n’étions guere décidés rentrer Neuilly en raison du ravitaillement : nous resterons donc ici !

 On commence retirer le bleu des fenétres ; il faudra le remettre plus tard, par crainte des Anglais !

On avait prévu la rentrée des classes l’école, elle pas lieu, la directrice étant occupée avec les réfugiés. Cela ne surprend personne.

 Mme Kohn emmene un groupe la recherche des framboises.

Et un accident à une ferme voisine nous procure un pot-au-feu bon compte.

 Les cartes d’alimentation sont illusoires : nous touchons, pour le mois, 15 kg de sucre, et pas une goutte d’huile ; heureusement, nous avons quelques réserves qui nous permettent de voir venir, sinon ce serait bien précaire. Heureusement, pain, lait, viande n’ont jamais manqué jusqu’a présent, et le jardin aide pour les légumes, les buissons du voisinage pour les desserts ; nous n’avons pas à nous plaindre

. Le 31 juillet

 Temps trés beau, chaud ; Mme Kohn sort avec un groupe de grandes.

Le service intérieur et la surveillance subissent quelques mises au point, notamment pour la surveillance des dortoirs.

Devant les difficultés pécuniaires, on envisage une réduction des traitements du personnel.

 Les lettres avec les Régions occupées sont interdites par les Allemands. C’est, de nouveau, l’absence totale de nouvelles : jusqu’a quand ?

30 QUELQUES PRIX DE JUILLET…

Pain 2,95 F le kg

 Lait . 1.5 per litre

Lentilles 7,50 le kilo

Savon 72% 6.95

Sel de cuisine, 2.50

Fromage St Nectaire, 25

œufs 9 le douzaine

Veau (roti) 19 le kilo

Pommes de terre 110 les 100 kg

Sucre, Huile .introuvables

 Beurre  à peu pros introuvable.

« Les accidents » aux bestiaux étaient de plus en plus fréquents, les fermiers voulant vendre la viande malgré la carte.

Comme on savait que nous prenions facilement la moitié d’un mouton, nous étions prévenus que « la nuit prochaine, il y aura un mouton accidenté » telle ferme.

 Le 1er août

 Madame Aron ayant absolument besoin d’aller à Aubusson faire des achats, le service de car n’est pas rétabli, et on ignore quand il le sera.

Elle va donc Felletin par le car régulier, de l’a Aubusson par un autre car, et rentre pied avec son chargement sur le dos : 27 kilomètres ; elle arrive aux Granges vers 11 h du soir.

 Madame Kohn sort avec les petites ; les éclaireuses font des jeux.

Absolument aucun ravitaillement.

 Le 2 Août

Organisation des classes de vacances, partagées entre Mme Nissim, Mlle Buffet, Mme Grauer

. Le 3 Août

 Avec quelque soulagement, nous recevons dix mille francs de Madame Leven ; sans doute ne couvrent-ils pas les avances faites par la Direction, mais du moins ils permettent d’être certains de payer nos dettes actuelles.

En prévision de la carte d’alimentation, qui va être mise en circulation, nous achetons 25 kg de pates, des fromages. Avec difficulté, nous arrivons nous procurer 7 douzaines d’œufs.

Par temps superbe, mais chaud en plein jour, nous sortons 40 de 16 h 3() 22 h 3(), pour aller diner sur l’herbe du château de Leyris ; promenade des plus agréables par le temps et la beauté du site ; retour en pleine nuit, plein de charme aussi. Les enfants sont enchantées.

 Le 4 Août

 Nous n’hésitons pas acheter des pommes de terre à 300 francs les 100 kg, tant tout manque !

Et, surcroit de guigne, le lait tourne par la grosse chaleur ; on en fera du fromage, mais cela ne nous arrange pas.

Heureusement, notre jardin nous offre des pois et des haricots excellents

Le 5 aout

Le lait tourne encore… chaleur, et sans doute aussi manque de propreté des récipients chez les fermiers, peu raffinés.

 Le 6 aout

Pour éviter tout ennui, on va chercher le lait le matin.

Madame Kohn tente une ultime démarche, aussi inutile que les précédentes, auprès du Commandant d’Armes, pour notre ravitaillement.

Recherche d’un cordonnier, que nous finissons par trouver à 7 km de Crocq, pour seconder celui de la ville qui ne peut nous réparer nos chaussures ; Ce second cordonnier viendra, dit-il, s’il trouve une aide.

Le service d’autocar d’Aubusson reprend sa marche trois fois par semaine.

Début des classes de vacances à la maison ; les enfants n’en sont aucunement mécontentes, les journées étant longues et pas toujours très remplies

Le 7 Août

Sans aide, le cordonnier vu la veille vient prendre une vingtaine de paires ; mais il n’a guère de fournitures : nous lui en procurerons, cuir ou caoutchouc.

Avant la carte, un des épiciers nous donne J kg de pates. Il en donnera bien d’autres par la suite, en ayant un stock énorme caché !

Le 8 Août

M. et Mme Aron vont Aubusson, par le car archi bondé ; ils en rapportent des fournitures variées qui manquent à Crocq : Fournitures pour chaussures, cirage, mercerie, fournitures électriques, et de la pâtisserie qui sera appréciée pour sa rareté.

De son coté, Madame Kohn rapporte des chaussures, des étoffes : tout cela manquait bien !

 Temps très chaud ; une des petites, sortant sans chapeau en plein midi, à un début d’insolation, qui, heureusement, ne sera pas grave.

 Le 9 Août

Nombreux réfugiés l’office religieux du soir, notamment un hazen lorrain qui rend cet office plus vivant.

En prévision de la raréfaction du papier, nous recevons une grosse commande de fournitures scolaires, notamment cahiers, crayons, buvard, papier de couverture. Cela nous sera très utile bient6t.

Temps orageux, qui n’empêche pas de sortir, comme tous les jours précédents : on joue, on cueille des framboises.

 Le 11 Août

M. et Mme Kohn partent à Vichy, emmenant Mme Aron, notamment pour voir M. Leven.

 Mme Grauer voit Mlle Goumy ; elle renonce sa place d’institutrice à l’école, et fera travailler au Refuge les élèves de Première car elle ne se voit aucun avenir dans l’enseignement public.

 On envisage d’ailleurs une grande sélection des filles envoyer à l’école lors de la rentrée ; car un mouvement antisémite s’est dessiné en fin d’année, dirigé par le Docteur Robin, vexé de n’avoir pas notre clientèle. Et on cherche noise pour tout, même pour des mûres cherchées le long de haies.

 Nous nous efforçons de savoir ce qu’est devenu l’immeuble du bd de la Saussaye, et écrivons à des personnalités parisiennes en ce but, par l’intermédiaire de personnes qui rentrent Paris

Le 12 Août

 Beau temps, on sort ; travaux de jardin, arrachage de haricots ; jeux dans le pré voisin.

Le 13 Août

Retour de M. et Mme Kohn et de Mme Aron ; ils ont vu M. Leven, qui n’a pas pu donner quoi que ce soit.

Mlle Buffet, sur le point de rentrer Pans avec son fiancé, fait un pique-nique avec 13 enfant’ ; rentrée avec force coups de soleil, car nulle n’a pris de précaution.

 Nous allons commencer une nouvelle méthode de récompenses pour les moyennes (8 16 ans) : tableau permanent le bons points, avec récompenses aux deux premières tous les 15 jours.

Pour l’ensemble de nos tickets du mois, nous recevons 25 kg de pates, et nous pouvons toucher 3 kg de sucre !

 Le 14 Août

Mme Kohn envisage une réduction du personnel pour réduire les frais ; il est définitivement décidé de supprimer Mlle Dupont ; personne n’etant à présenter aux C.A.P. cette année, le dessin n’est pas indispensable actuellement.

 Il fait beau et chaud.

Le 15 Août

Mlle Odette Buffet nous quitte, au grand regret de toutes qui appréciaient sa bonne humeur ; son entrain et ses capacités.

 à une réunion spéciale du personnel, Madame Kohn parle de la question financière, envisage la réduction momentanée des appointements. Toutes, naturellement, acceptent le principe.

 Le 17 Août

 Notre dernier groupe de réfugiés (8 personnes) part, pouvant retourner chez lui. Notre maison reprend la totalité des pièces, et Ie parc ä autos disparait.

Pour le principe, une nouvelle réclamation est faite au Commandant d’Armes pour nous procurer le ravitaillement indispensable, notamment sucre ; elle aura autant de suites que les précédentes.

Le I8 Août

 Présentation du premier tableau des Bons Points ; it à grand succès, et se montre utile.

Notre matériel s’augmente d ‘une superbe brouette, qui est bien utile pour les courses, épiciers et boulanger.

Le 19 Août

 C ‘est la foire… un étalage de sandales, et c’est tout

Madame Aron part Clermont-Ferrand, pour V conduire une grande, souffrant, croit-on, d’un ulcère I ‘estomac en même temps partent deux sœurs, rentrant dans leur famille Cannes ; l’ainée, très intelligente, pourra y continuer ses études au lycée. Veissid.

 Par le frère de Mlle Lachéze, nous avons quelques nouvelles de l’immeuble de Neuilly : il est occupé par des réfugiés français du Nord, sous la surveillance des autorités françaises, et semble bien entretenu.

ENFIN, nous recevons 25 000 francs de la Banque Rothschild, offerts par Madame la Baronne Slaurice : beau geste de générosité, qui vient bien à point.

Unes cheftaine d ‘Eclaireuses, réfugiée à Crocq, s’intéresse nos éclaireuses, et les réunit, elle continuera, dévouement, mais parfois avec quelque lassitude devant i ‘inertie de beaucoup d’entre elles.

Le 20 Août

Nous tentons un nouveau semis d’épinards en remplacement de légumes disparus. Le résultat ne sera pas fameux, les froids venant trop tôt.

 Jeux dans les prés voisins. à Clermont, notre malade est mise en observation.

Le 21 Août

M. et Mme Kohn, M. et Mme Feldblum déjeunent aux Granges, puis c’est l’inévitable fête et les inévitables numéros des Petites de Mme Minc.

Vent violent, pluie fine très désagréable.

 I ‘atelier est en pleine fièvre de travail, nombre de Dames voulant des vêtements lors de leur proche départ.

Le département organise le retour des réfugiés pas Ie notre, hélas !

Madame Aron reste Clermont, attendant une décision des médecins sur une opération possible ; on ne sera fixé que dans quelques jours, après piqûres et radios nouvelles.

Suite des réunions d’éclaireuses.

Le 22 Août

M. et Mine Kohn quittent Crocq, pour Marseille ; en cours de route, ne nous oubliant jamais, ils nous envoient chaussures et linge.

 Mme Grauer inscrit quelques enfants à l’école . Quinze en tout ! C’est peu, mais elle veut garder la maison la classe du certificat d’Etudes, et se montre très difficile pour la réputation des autres ; le nombre sera rapidement augmenté… Car, le même jour, elle fait inscrire conditionnellement la classe du certificat d’Etudes pour la cas où, allant conduire sa fille à Nice, elle n’en reviendrait pas !

Le 23 Août

Nous arrivons à avoir, sortis des stocks d’un épicier, 100 kg de lentilles, 100 kg de haricots, 150 kg de pates au prix fort… Le ravitaillement revient peu à peu.

Mais la question chaussures reste compliquée : rien à acheter de neuf, et réparations très difficiles par manque de matières ; Il y a une quarantaine de paires à réparer, et les cordonniers les gardent plus d’un mois.

Le 24 Août

Quelques histoires à la maison, oil les poiriers du jardin sont un peu trop pillés de leurs fruits verts par un groupe de grandes qui laissént accuser de plus jeunes.

 Le Maire, affolé par l’abaissement du niveau de sa nappe d’eau communale, cherche les fuites : il y en à cinq chez nous, tant les tuyaux et robinets sont vétustes ; il les fait réparer tant bien que mal.

Le 25 Août

 Goûter offert par la fille de Mme Grauer, qui va quitter la maison pour entrer au lycée de Nice.

 On donne les deux premieres récompenses du tableau de Bons Points ; ce sont des cadeaux conséquents » qui intéressent fort celles qui les regoivent… et les autres.

Le 26 Août

Il fait très Chaud ; un groupe va patauger dans la Tardes.

 à Clermont, radio de la malade ; elle est ratée, et il fauclrà la recommencer, ce qui retarde tout.

Le 27 Août

Madame Grauer prepare son départ, qu’elle ne donne que comme provisoire ; Mme Nissim parle de retourner un poste de l’Enfance en Danger (il n’y aura aucune suite).

 Le cordonnier rapporte quelques paires de chaussures réparées ; il nous demande de lui procurer, pour les autres, les matériaux nécessaires, dissolution, croupons, basane, cuir… Mme Aron tachera d’en trouver Clermont.

Le 28 Août

Achat de 130 kg de pates ; le ravitaillement redeVient possible.

 Visite des gendarmes qui viennent, une fois de plus, vérifier les cartes des étrangéres.

Autant que cela dépend de nous, elles sont en régle ; mais la Préfecture est bien longue renvoyer les pieces !

 à Clermont, nouvelle radio.

Mlle Dupont recoit du Comité son congé définitif ; elle tentera, par tous les moyens, de se raccrocher, de faire admettre qu’elle doit être reprise à notre retour à Neuilly ; mais cela sans résultat.

Le 29 Août

Départ de Mme Grauer, qui ne reviendra pas. Nous ne pouvons que le regretter, car elle à été très utile au Refuge, et à bien contribué aux succès scolaires.

M. Aron emmène Aubusson les deux premières du classement, récompense sensationnelle ! Il n’y trouve aucune mercerie. Le voyage, dans un car bondé de façon invraisemblable, est fatigant.

Les autres enfants se promènent, à la recherche de prunelles vertes.

Nous recevons de la Préfecture quatre cartes d’étrangères, pour lesquelles nous n’avions pu fournir à peu pros aucune pièce ! Pourquoi ???

Réception d’un envoi important de cahiers et fournitures de classe ; le papier va bientôt manquer, et il faut avoir, rapidement, tout le nécessaire en vue de l’année scolaire qui va commencer. Les prix augmentent, mais il n’y a pas à tergiverser.

 Les cartes de ravitaillement ne sont pas encore en vigueur, sauf pour le sucre, qu’on ne touche du reste pas davantage avec les tickets.

 Le 31 Août

 N’ayant aucune précision du Comité pour les appointements, nous les payons intégralement.

Pour la première fois du mois, nous recevons 3 litres d’huile. Dans le mois, nous avons eu 4 kg de chocolat, et absolument pas de savon.

 Et voici terminée notre première année de séjour à Crocq, notre première année hors cle chez nous.

Elle se termine mal.

 Indépendamment des soucis de toutes, dus à la défaite, chacune est très affectée du manque de nouvelles des siens.

Et puis, tant pour les voisins que pour nous-mêmes, on n’a guère le cœur à s’amuser ; on écoute la T.S.F. (trop de communiqués et de musique quelconque), on se promène, on travaille.

Et on à trop à penser.

 Le 1er septembre

 Les écolières, qui rentrent demain, préparent leurs affaires ; vérification de la tenue, du contenu des sacs ; distribution du nécessaire. Le soir, M. Aron relit le début de ce Livre d’or, et fait revivre les heures émouvantes d’Il y a un an ; nulle ne les à oubliées ! Madame Aron quitte Clermont pour Bandol, ou elle rencontrera Madame Leven, afin de régler nombre de questions urgentes, notamment les questions financières. Le temps sec se prolonge : aurons-nous suffisamment d’eau ? Le niveau des couches baisse, et, comme souvent, le Maire est affolé ; il nous supplie deux fois par jour d’économiser…

Le 2 septembre

Rentrée des écolières, par temps superbe ; 23 vont l’école, dont naturellement la classe du Certificat d’Etudes. Les autres se promènent. Interdiction de vente du riz, des légumes secs ; ils sont réservés, dit-on, pour [‘hiver.

Le 3 septembre

 Une lettre de Madame Leven réduit des deux tiers les appointements du personnel ; celui-ci, qui ne pourra plus acheter l’indispensable pour se vêtir, ne restera pas dans ces conditions. Madame Aron, arrivant précisément à Bandol, fait accorder de meilleures conditions ; malgré une réduction très sensible, le personnel accepte de rester, montrant un beau désintéressement et un véritable attachement à la Maison. Grande attraction la maison ; Il y a la batteuse à la ferme voisine : beau tableau de travail champêtre.

Le 4 septembre

Mme Germain, par une chaleur torride, fait un pique-nique avec les « couturières » : 19 participantes ; journée joyeuse malgré la température ; on ne va pas loin. À la maison, les petites et moyennes sont plus sages et plus calmes qu’en la présence des grandes ; cela n’a rien d’étonnant, car ce ne sont pas les grandes qui observent le mieux la discipline.

 Le 5 septembre

Grosse chaleur ; les chefs de clan et secondes des éclaireuses vont en pique-nique avec la cheftaine. Madame Aron revient à Clermont ; la malade ne sera pas opérée. Nos rentrées d’argent commencent à être plus régulières, ce qui n’empêchera pas des fins de mois laborieuses.

 Le 7 septembre

 Madame Aron revient Crocq, rapportant pas mal de choses utiles, notamment comme étoffes et mercerie, cuir et semelles. Elle à laissé la malade l’hôpital de Clermont. 33

Le 9 septembre

 Il est difficile de rentrer en zone occupée, même pour les non juifs ; la sœur de Mme Germain en fait l’expérience : elle en est à son second faux départ.

Quant aux juifs, ils ne passent guère qu’en fraude, et en très petit nombre.

 Nous recevons du matériel de raccommodage de chaussures, commandé par Mme Aron.

Le 10 septembre

Retour de Madame Kohn ;

 Elle nous rapporte du sucre, des pates (30 kg)Le sucre est utile, car nous n’arrivons pas en avoir à Crocq, pour ce mois encore.

 La jeune cheftaine éclaireuse rentre Paris ; c’est bien dommage pour nos filles, quoiqu’elles aient fait le nécessaire, par leur inertie et leur bonne volonté fort relative, pour décourager tout encouragement.

 Le 11 septembre

Foire, il n’y à rien d’intéressant, sinon quelques pantoufles.

 Le cordonnier rapporte enfin des chaussures réparées, en emporte d’autres qu’il réparera avec les fournitures rapportées de Marseille par nos soins.

La soer de Mme Germain parvient enfin à partir pour Paris.

Le 12 septembre

 Vime Grauer nous avise qu’elle reste Nice ; cela ne nous surprend pas !

 Le 13 septembre

 Pour remplacer Mme Grauer, nous écrivons ä Mme Crémieu, ancien professeur des enfants de Beauverger, amie de Mme Nissim.

Nous faisons entrer deux nouvelles élèves l’école, en première.

Réception de quatre cartes d’identité d’étrangères : il y avait plus d’un an que nous les avions demandées.

Par contre, les cartes d’identité des Françaises sont délivrées la mairie, sans la moindre difficulté, et presque sans pièces.

Le 14 septembre

Encore neuf élèves sont admises l’école ; de la sorte, le départ de Mme Grauer ne se fait pas trop sentir : la presque totalité de celles qui, sans difficulté ni ennuis, peut fréquenter l’école, v est maintenant.

Sensationnel : nous pouvons acheter 1/2 kg de beurre ; il v à longtemps que nous n’en avions pas vu. Et nous avons eu 15 kg de sucre de Bandol ; c’est loin, et cela revient cher !

 Le 15 septembre

 Tempête la nuit ; la journée est meilleure.

Ramassage de pommes de pin, en prévision du chauffage d’hiver.

 Le 16 septembre

 La préfecture demande la liste des Réfugiés, et les raisons qui les font rester. Pour nous, ce n’est qu’un état fournir, car il ne peut être question de notre retour.

 Les quatre candidates au C.A.P. de couture apprennent, par le hasard de la lecture du journal, qu’elles sont reçues ; elles n’en auront avis régulier que bien longtemps plus tard ! En leur honneur, dessert soigné, et cadeaux

Le 17 septembre

 Le journal ne parlant pas du C.A.P. secrétaire, nous écrivons pour savoir si notre candidate est reçue ; nous apprendrons à aussi son succès ; de la sorte, toutes nos élèves présentées ont réussi, après un examen mémorable.

 Nous avons 3 litres d’huile : tant mieux pour les salades, qui en étaient privées.

Le 18 septembre

La dentiste de Crocq nous envoie sa note, des plus exagérées, en demandant le paiement immédiat ; faute de mieux, il faut bien en passer par ses volontés.

 Nous écrivons au Préfet pour lui demander une attribution supplémentaire de savon ; aucun succès ! heureusement, grâce à notre prévoyance et aux bons soins de M. Kohn, il nous en reste encore pour quelque temps.

Le 19 septembre

Violent orage le matin.

Une de nos grandes donne de sérieux soucis par sa conduite déplorable, n’hésitant pas s’esquiver le soir par la fenêtre pour aller des rendez-vous !… Menaces de graves sanctions, surveillance de la gendarmerie, obligation de passer la nuit dehors…

À la suite de réclamations, Mlle Dupont se décide rapporter un matelas et un sommier ; le reste attendra.

Mme Crémieu accepte de venir, sous réserve que son mari l’accompagnera ; cela ne parait pas facile comme habitation.

 Le 20 septembre

 Des bruits courant que l’allocation aux Réfugiés doit être supprimée, Mme Leven écrit au Préfet pour la faire maintenir ; elle obtient gain de cause, d’autant plus que ces bruits ne sont pas tout à fait exacts.

 Devant la difficulté de loger M. et Mme Crémieu, nous engageons comme Professeur extérieur, un réfugié, M. Marchal, Professeur au Collège de Commercy ; il donnera 10 h de cours par semaine aux candidates au C.A.P., notamment pour les lettres et les sciences. Il se montre très consciencieux, allongeant ses heures de présence par les deux bouts, et se rendant très sympathique par sa bonne humeur.

Nous commandions à la chatelaine le bois de chauffage pour l’hiver ; elle nous le procurera au prix ordinaire.

On recommence à avoir du pain grillé pour les régimes : petit avantage, mais très appréciable.

L’atelier continue à travailler beaucoup, pour des clientes sur le point de partir : nos couturières se font une renommée « en ville ».

Le 22 septembre

 Beau dimanche, on va à la cueillette de noisettes, mûres, prunelles qui allégeront le dessert du soir.

 Le 23 septembre

M. Marchal Vient organiser son programme ; il viendra deux heures chaque après-midi, sauf les samedis et dimanches, prenant deux fois la seconde année, trois fois le troisième

Le 24 septembre

 Journée pluvieuse ; vers 5 h ouragan ; carreaux cassés, lits inondés ; tout cela est vite réparé.

 Mme Aron part pour Vichy, ou elle verra Mme Leven ; voyage long, par les moyens ordinaires.

 Premier cours de M. Marchal ; ses élèves sont enchantées.

 La Directrice de l’école de Clermont nous apprend la réussite de notre candidate secrétaire au C.A.P.

Sensationnel : nous avons 600 grammes de vrai café, ainsi que 50 kg de pates en fraude, et 100 kg de farine.

Le 25 septembre

A Vichy, Mme Aron voit Mme Leven ; celle-ci essaie de faire vendre des titres pour nous procurer de l’argent ; mais ce n’est pas chose facile en ce moment.

A Clermont, Mme Aron à vu notre malade, toujours au même point ; on continue l’examiner et à ne savoir que faire.

Le 26 septembre

Changement des cartes d’alimentation, pour donner des feuilles spéciales pour le pain, la viande, le fromage. On ne tient d’ailleurs aucun compte de ces cartes, les fournisseurs donnant toutes ces denrées sans autre limitation que celle de leur stock ; nous avons du pain à discrétion, de la viande également, d’autant plus que les bouchers n’ont aucune instruction. Et nous achetons, le jour même, une caisse de fromage !

La Creuse, département pauvre, est peu surveillée, et Crocq moins encore, à l’écart de la voie ferrée et des routes nationales ; et, comme le Commandant d’Armes s’est évaporé définitivement depuis quelques jours, chacun fait ce qu’il veut.

Le 29 septembre

Mme Aron rentre, laissant encore la malade à Clermont.

Elle rapporte de l’huile, du savon pour tous nos tickets du mois, des fournitures pour ressemelages. Préparation de l’emploi du temps des cours du C.A.P. et répartition difficile des salles d’études et de classe.

 Le 30 septembre

Début des cours du C.A.P.

Ils obligent une nouvelle répartition des services de maison, de plus en plus difficile en raison des occupations multiples de chacune.

Les tickets de graisse, de savon apparaissent, mais ne sont pas utilisés d’avantage que les autres à Crocq jusqu’a présent. La seule distribution stricte est celle du sucre, et il n’y a pas de savon.

 Le mois se termine dans des conditions financières d’autant plus piteuses que l’allocation des réfugiés n’a pas été payée, le bordereau ayant été perdu par la Préfecture.

Le 1er octobre

La neige arrive avec le V’ trimestre ; légère encore, sans doute.

 Le 2 octobre

L’année israélite 5 699 se termine par le froid et la pluie. La journée se passe selon les occupations habituelles, école et travail de maison.

Le soir, office de Rosh-Hashana, auquel assistent les israélites de Crocq ; puis diner de Nouvel An ; nous y avons, comme invitée, Mlle Haguenau, la fille du grand rabbin, grande amie de la Maison.

 Le 3 octobre

Un succulent chocolat, très apprécié, notamment par sa rareté, commence l’année 5700 (Il s’agit d’un paquet de chocolat en poudre gardé précieusement depuis plusieurs mois, car c’est maintenant introuvable.)

 Puis office du matin.

 Après un déjeuner soigné, représentation : le sujet obligatoire des pièces représentées est le C.A.P. et ses tribulations ; Il y a de bons numéros. Puis le temps, revenu au beau, permet des jeux en plein air.

Nous touchons, par nos cartes, 75 kg de pates, ainsi que la totalité du sucre du mois. Il y a longtemps que nous n’avions eu pareille aubaine !

Nous écrivons au Préfet, qui ne répondra pas, pour faire augmenter notre ration de savon, que nous voudrions voir porter 1 kg par jour ; nos cartes ne nous en donnent pas la moitié.

 En attendant, nous réduisons de moitié la quantité de savon donnée la blanchisseuse ; naturellement, la blancheur du linge s’en ressentira !

Le 4 octobre

Grace aux stocks cachés des épiciers, nos 75 kg de pates se transforment en 200 kg : c’est appréciable.

Réception des trois premières cartes de Paris ; elles sont accueillies avec joie, en dépit de leur brièveté.

L’autorisation pour les plus grandes de faire leur toilette après 9 heures du soir est supprimée, en raison du vacarme. La maison devenait bruyante jusqu’après 10 heures !

 Le 5 octobre

Beau temps, sortie générale ; les moyennes se font montrer des fusils de chasse : elles ignorent ce que c’est et, en raison de l’ouverture de la chasse demain, on leur à donné un devoir sur ce sujet.

Nous recevons une commande d’aiguilles, épingles, objets qui se raréfient (et que les enfants gaspillent à souhait !).

On ramone ; c’est bien utile, car les cheminées, plus que vétustes, menacent ruine ; et le charbon, extrêmement mauvais, encrasse terriblement. C’est un charbon des mines du Centre, méprisé en temps normal, mais qu’on est bien heureux d’avoir maintenant ; il est plein de pierres, donne du mâchefer et des monceaux de cendres, fume…

Le 6 octobre

Le jardin nous donne ses derniers haricots.

Promenades, en se méfiant des chasseurs ; un groupe fait 22 kilomètres.

 Nous recevons un peu de charbon, sans bon… en raison des ventes forcées de juin, notre provision n’est pas suffisante. On fait entrer trois nouvelles à l’école.

 Le 7 octobre

Changement des heures de classe l’école : elles sont reculées d’une demi-heure (de 9 h midi et de 1 h 30 à 4 h 30) En réalité, ces heures seront aussi élastiques qu’a l’ordinaire ; les écolières traineront souvent une demi-heure et davantage dans la cour, et rentreront à la maison des heures quelconques.

 On installe les poêles dans les chambres ; un fourneau est loué pour la cuisine, Je notre devenant de plus en plus dangereux par son délabrèrent, et Mme de Beauverger ayant refusé de le remplacer.

Visite du Service de Police de la Préfecture on fait le recensement général des Israélites français et étrangers. Comme toujours, on nous trouve tout à fait en règle, du moins tant que cela dépend de nous. l

Nous implorons la mairie pour qu’elle nous donne des bons de charbon, puisqu’elle a été rune des bénéficiaires de nos générosités forcées de juin ; elle promet de nous en céder en remplacement.

 Le 8 octobre

 Nous recevons les premières « cartes familiales pour les régions occupées dix seulement, pour commencer, que nous donnons aux enfants les plus inquiètes.

 Que de déceptions elles nous donneront, car elles seront retournées ou détruites pour la moindre futilité ; à peine une sur quatre ou cinq arriveront ; et pourtant, quel soulagement quand on recoit les « nouvelles sur les deux lignes tolérées !

 Mme Aron va Aubusson, rapporte des pantoufles peu pros introuvables à Crocq, un peu de mercerie (fil, aiguilles, épingles, coton deviennent précieux) et des fournitures pour réparation des chaussures : le cordonnier continue en manquer, et garde un mois et davantage nos réparations ; par le temps qui devient moins régulièrement beau, avoir les chaussures nécessaires pour l’école ou le lait devient un problème qui ne se résout que par trocs et échanges.

 Le temps, doux, redevient pluvieux.

 Le 9 octobre

 Arrivée de Madame Kohn, pour deux jours.

 La Préfecture nous téléphone au suet d’Olga Lourié qui, après avoir roulé de place en place, s’est fait ramasser et se trouve Guéret qui va l’envoyer l’Assistance Publique de son département d’origine.

Nous profitons de la communication pour demander une allocation supplémentaire de savon rien à faire, la préfecture déclare quelle n’a aucun disponible. Heureusement, notre provision nous permet de tenir, avec les réductions faites la blanchisseuse.

Et nous achetons Crocq 6 kg de savon, 6 paquets de café, 3 litres d’huile… c’est peu ! On peut distribuer largement les cartes familiales.

Le 10 octobre

 Madame Kohn, qui à obtenu une autorisation spéciale de circuler en auto, deux jours par semaine, pour nous ravitailler, essaie sans grand succès de s’entendre avec des épiciers qui, eux, peuvent transporter des primeurs mais non l’épicerie…

Nous envoyons des pouvoirs ä Mme Crémieux, secrétaire du Comité, pour faire occuper et entretenir notre maison de Neuilly.

 Le 11 octobre

Veille de Kippour

Brusque, et utile enrichissement de la caisse : nous touchons d’une part les allocations de Réfugiés d’aout et septembre, d’autre part 20 000 francs de Madame Leven, soit près de 43 000 pour cette journée ; une notable partie comble le déficit…

Ignorant si M. Marchal, qui est en voyage, reviendra, nous convoquons Mme Crémieu, qui à redemandé venir, seule.

 à 5 h 30, diner, puis causerie de Mme Nissim sur la signification de Kippour.

 Et coucher général de bonne heure.

 Le 12 octobre

 Kippour ; beaucoup de petites et de moyennes voudraient jeûner ; il faut une liste stricte pour empêcher celles qui ne pourraient pas le supporter ; nous envoyons même à l’école celles que nous ne voulons pas voir jeûner.

Pour la plupart, les autres le supportent bien.

4 offices dans la journée, commentés par Mme Nissim

En fin de journée, diner copieux, sans restriction Ironie… Nous recevons ce jour 200 kg de confitures, qui sont les bienvenues.

Le 13 octobre

Beau dimanche ; sortie de marche ; un groupe va prendre des nouvelles du cordonnier, qui à bien de la peine se procurer fil, aiguilles, Clous ! La question chaussures devient de plus en plus critique avec l’approche de la mauvaise saison.

 Le 14 octobre

 Pour éviter des discussions continuelles, les congés et sorties de l’équipe de cuisine sont réglés.

C’est de plus en plus difficile depuis que la presque totalité des élèves suit des cours ; de plus, le service du lait est plus difficile, car il faut aller dans une ferme assez éloignée des autres, au Naberon, pour compenser la défaillance de l’une des fermières habituelles.

Quelques changements de classe ä l’école, pour avancer : la plupart de nos filles sont bonnes écolières, et la réputation du Refuge est excellente, cette année, à l’école.

On commence l’installation de la souccah, dans les arbres devant la maison.

 Le 16 octobre

 La tente est installée, avec les fruits possibles : c’est pittoresque.

Il devient de plus en plus impossible aux israélites de songer à revenir dans la zone occupée. Néanmoins, les premières réactions des non-juifs sont très favorables aux israélites, en zone occupée comme en zone libre : si l’antisémitisme officiel grandit, il diminue nettement dans le peuple.

A Crocq, le Refuge n’a jamais été si tranquille depuis des mois, et les gens du bourg le laissent absolument calme, sont très courtois.

 Le 17 octobre

 Souccah ; le temps est gris.

 Les 8 meilleures de la maison déjeunent sous la souccah avec Madame Aron, avec un menu soigné.

 Quelques promenades l’après-midi, mais encore des incidents de chapardage de pommes, commis par des grandes qui ne tiennent guere compte des conseils de prudence qui leur sont prodigués en raison des temps (sans parler de l’honnêtetés)

 Le 18 octobre

Le beau temps permet encore un déjeuner sous la souccoth pour une seconde équipe.

 Le soir, lecture une assemblée indignée du préambule du statut des Juifs… En arriver là, en France ! On a pourtant l’espoir qu’il ne s’agit que de mesures imposées par le vainqueur qui occupe le territoire, et qu’ensuite cela s’atténuera.

L’opinion publique reste favorable aux juifs.

 Le 19 octobre

 Le statut des Juifs est publié : quelle épreuve dans toutes nos familles, ou on trouve partout des membres touchés, mis sur le pavé !

 La désolation règne dans toute la Maison.

Une de nos plus mauvaises pensionnaires est recherchée par sa famille ; cela ne suffit pas à compenser notre tristesse.

Le 20 octobre

On manque d’huile : sur ordre du Gouvernement, toutes les écolières vont ä la recherche des faines d’où on en extraira ! Résultat piteux : les faines sont déjà pourries, et les enfants s’en désintéressent.

 Le 21 octobre

 Les monitrices ayant demandé que viande et légumes soient servis ensemble, un chronométrage montre que certaines tables terminent leurs deux plats séparés en 4 minutes ! La proposition est donc rejetée… il faut que les repas durent au minimum 20 minutes.

 Le 22 octobre

 L’un des épiciers de Crocq, qui a, au su de chacun, de gros stocks, commence à craindre des réquisitions chez lui : il nous propose donc des vivres, et nous les acceptons sans hésitation.

 Nous achetons chez lui, pour le mois, 500 kg de pates (l’ensemble de nos cartes nous donne peine 30 kg…) et 50 kg de haricots, dont nous étions tout fait démunis.

 Cet achat, et ceux que nous ferons de même chaque mois pendant quelque temps, facilite sérieusement notre ravitaillement ; sans doute, les pates vont paraitre souvent sur les tables (jusqu’ä une fois par jour) mais elles existent, et actuellement cela compte !

Grosse pluie d’orage ; la souccah est abandonnée pour les repas ces derniers jours.

 Le 23 octobre

 Dernier jour de Souccoth, dernier repas sous la souccah ; une trentaine d’enfants y ont déjeuné, choisies parmi les meilleures.

 Nettoyages ; on enlève le bleu des fenêtres… il faudra d’ailleurs le remettre bientôt, par ordre supérieur, cette fois par crainte des Anglais ! Pour l’instant, cette crainte parait assez vaine !

 Une conférence pédagogique pour les maltes donne congé aux écolières : on fera des travaux d’atelier, quelque peu en retard à cause de Souccoth.

Un chaudronnier d ‘occasion rétame des chaudrons qui fuient, et les rétame mal.

Le 24 octobre

 Le Refuge attend la visite de M. et Madame Leven, de M. et Madame Kohn ; les premiers arrivent à 11 h, déjeunent avec nous ; les derniers arrivent vers 4 h.

 Discussion sur la situation financière surtout : les rentrées sont difficiles, car l’argent et les bailleurs sont surtout en zone occupée ; par contre, les sorties abondent, avec le renchérissement de tout ; pourtant, la Direction parvient n’augmenter que dans une proportion très faible les dépenses des années précédentes.

Le Comité fait son possible pour donner un peu plus d’aise à notre trésorerie, et pour assurer les fins de mois.

On discute également un voyage ä Neuilly, s’il s’avère possible, pour voir l’état de l’immeuble dont nous savons fort peu. Le Comité est d’avis que ce voyage est à peu pros _impossible, et qu’il faut tacher d’intéresser à l’immeuble quelque habitant de la zone occupée ; et on fera l’impossible pour qu’il soit occupé par une administration jusqu’a notre retour.

Monsieur Kohn nous offre 3 tonnes de pommes de terre, cadeau princier et apprécié ; cela complète nos pates, et les complétera des mois durant ; on va connaitre le régime pates-pommes de terre, pommes de terre-pates.

Mais cela ne nous empêche pas de prendre des pommes de terre chaque fois qu’un paysan nous en offrira, car on prévoit disette pour l’hiver.

 Arrivée de Mme Crémieu, qui prend la chambre du premier étage qu’avait eu Mme Germain, puis les réfugiés.

Elle s’occupera des études des écolières, le soir, et de certains cours la maison pour les grandes.

M. et Mme Leven repartent à 5 h.

 Le 25 octobre

M. et Mme Kohn repartent pour Vichy, emmenant Mme Aron

Le 26 octobre

Arrivée des 3 tonnes de pommes de terre, accompagnées de 100 kg de lentilles.

 La Préfecture nous fait payer de nouveaux droits pour certaines de nos étrangères, parce qu’elle ne peut correspondre avec la Préfecture de Police qui nous les avions versés ; nous n’avons qu’a nous exécuter.

Le 27 octobre

Gelée la nuit, journée froide ; il faut allumer le feu ä l’atelier.

 Sortie de marche avec quelques groupes.

Achat de cartes familiales, la consommation est grande.

 Le 28 octobre

Le froid persiste, il faut allumer à l’infirmerie, l’atelier.

 La situation politique entre la France et l’Allemagne semblant s’orienter vers des pourparlers d’entente, nous en avons la répercussion sous la forme de l’arrivée de nombreuses cartes familiales adressées aux enfants ; la plupart des précédentes n’arrivaient pas à destination.

Le 29 octobre

Il fait encore froid : on en profite pour faire un essai général des poêles et chaudières.

 Le 30 octobre

Retour de Mme Aron, qui ramène la malade de Clermont-Ferrand ; pour celle-ci, les médecins ne voient aucune raison d’opération, la malade étant surtout nerveuse.

On la soignera donc la maison, ou elle s’installe à l’infirmerie.

 Il fait froid, mais doux.

Mme Aron rapporte plusieurs pièces de tissu, du linge, choses qui manquaient totalement.

Nous refusons un fermier des pommes de terre 190 F.

 Le 31 octobre

 Beau temps ; un groupe de 35 enfants fait, entre 1 h et8 h 1/4 du soir, une promenade à Giat (26 km).

On en profite pour des achats, mercerie, étoffes et articles divers, dans un grand magasin du bourg. On rapporte même de la pâtisserie.

 Depuis le 20 octobre, nous avons, en plus de la carte générale d’alimentation, des cartes spéciales pour le pain (selon catégories), la viande„ le fromage, l’huile, le beurre, la graisse.

 à Crocq, seule de toutes ces cartes, la carte d’huile sera utilisée dès maintenant.

 Une carte spéciale de lait non écrémé (3/4 litre jusqu’ä 6 ans, puis 1/4 jusqu’a 14 ans, rien ensuite, ne servira rien ; nous continuons avoir tout ce que nous demandons, sans carte, par nos fermiers habituels.

Avec la carte générale, nous avons avec tickets le sucre (NO 2, 500 gr), le café (NO 3, 300 gr) ; pas de riz, ni de légumes secs, ni de savon malgré les tickets. Par contre, aucune difficulté pour les pates.

QUELQUES PRIX D’OCTOBRE

Pain 2,95 per Kg

Boeuf Roti 20

Veau Roti 20

Bœuf Foie 7

Huile d’arachide 13 le litre

Haricots blanche secs 12

Café 42

Carottes 3,50

Pommes de terre 126 a 140 le 100 kg

Gruyère 26 le kilo

Chocolatés en tablettes – Goutier 24

Confitures prunes at pommes 8

Beurre

Lait non écrémé 1,50 le litre

Eau de Javel 1,90

1,50 Ampoules électriques 15w  9,50

Ampoules électriques 25 W 10

Lumière électrique 2,54 le kw h

Carreaux verre fenêtre (27 x 48) 6,45

Le 1er novembre

 Nous sommes enfin parvenus à faire reprendre par sa mère la plus mauvaise de nos pensionnaires, S. KL, voleuse, coureuse, amorale ; comme elle est étrangère, nous faisons les démarches pour la faire partir le plus vite possible (laissez-passer de la gendarmerie).

 En faisant des recherches à la mairie, nous constatons que la plupart des rappels et des amendes encourus pour retard de pièces d’identité sont dus à la négligence de Mlle Goumy, secrétaire de mairie, qui ne transmettait pas les pièces en temps utile ! Naturellement, il n’est pas question de recouvrer ces amendes..

 Il pleut : jeux de société à l’intérieur pour occuper le congé de Toussaint.

Le 2 novembre

 La plus grande diligence ayant été faite, nous nous débarrassons de l’indésirable, que Mme Aron va accompagner jusqu’a Vichy (elle va à Marseille).

 C’est un sérieux soulagement, car elle courait tous les garons du voisinage !

Promenades, par temps gris, pour continuer le congé

 Le 3 novembre

Retour de Mme Aron, ainsi que de Mme Nissim, qui à été Marseille préparer le retour en Amérique de deux de nos élèves, réfugiées.

 Le 4 novembre

 Semblant de foire, avec trois étalages.

 Le 5 novembre

 Nous continuons ignorer les restrictions, sauf sur le savon et le chocolat (nous avons quelques provisions encore, heureusement) ; et les cartes sont peu utilisées.

Nous pouvons mettre un peu de beurre en conserve, en ayant plus qu’il nous est nécessaire sans carte, naturellement.

 Il est dur de se procurer la mercerie.

Et il est dur, mais non catastrophique, de décider le pharmacien à envoyer sa note, que nous ne voudrions pas avoir en même temps que les grosses dépenses de fin d’année !

 Mais nous ne l’aurons, ni maintenant, ni en fin d’année !! Grand nettoyage du fourneau bourré de suie.

Le 7 novembre

Mme Crémieu, en sus de ses occupations, organise une répétition hebdomadaire de calcul pour la classe du Certificat ; cette répétition est accueillie avec joie par les bénéficiaires, en général studieuses et ayant peu de dispositions.

 Et Mme Nissim reprend un cours d’instruction religieuse de préparation à l’initiation.

Un lot de chaussures revient de réparations… signe des temps, ce devient un fait sensationnel, digne de figurer au Livre d’or.

Le 9 novembre

Mme Aron va à Aubusson, notamment pour mettre au courant de nos assurances le représentant de notre société de Paris, et lui remettre le dossier d’accident de notre brûlée d’Il y a quelques mois.

 Achats divers, naturellement, notamment de cirage qui devient une denrée très rare. Et aussi de pharmacie, car celle de Crocq est bien irrégulièrement pourvue.

 Le temps se maintient doux et beau ; les enfants peuvent jouer dehors, dans le petit bois, à la balançoire.

 Le 11 novembre

 Ce fut la fête nationale de l’Armistice, ce n’est plus qu’une journée de deuil.

 Les enfants vont, avec l’école, se recueillir au Monument aux Morts ; à cette occasion, on remet les bérets, qui vont plus ou moins sur des tètes grossies.

 En raison de la diminution du jour, le lever est fixé à 7 h 30 : cela obligera les écolières à ne pas flâner. Comme toutes font leur toilette le soir, c’est faisable.

Suite des réclamations peu justifiées de la Sous-préfecture au sujet des demandes de cartes d’identité ; presque toujours, nous ne sommes pas responsables des reproches qui nous sont faits.

 Le 12 novembre

Comme d’habitude, nous recevons en même temps des subsides de Madame Leven et l’allocation aux Réfugiés.

Cette dernière est d’environ 13 000 francs, et n’est que moitié de ce qu’elle devrait être.

Nous recevons 120 kg de confitures de notre fournisseur habituel, et des fromages, sans carte.

Le 14 novembre

Mme Aron va à Aubusson, achète un poêle pour Mme Crémieu : c’est notre quatorzième instrument de chauffage de la maison, sans compter les radiateurs électriques.

 C’est dire que les allumages de feux, le petit bois, les bûches, le charbon donnent de l’occupation !

L’essai de prendre une grande quantité de candidates éclaireuses ayant donné des résultats médiocres (beaucoup ne voient dans la section qu’une occasion de sorties et de jeux supplémentaires, mais n’admettent aucun devoir scout), un nouvel essai est fait avec nombre réduit, une vingtaine parmi les meilleures.

Le 15 novembre

La température descend aux environs de zéro ; beau temps.

Grace la foire de Giat, nous nous procurons 60 douzaines d’œufs.

 Le 16 novembre

 Les lattes des lits, mal conditionnées, cassent rapidement ; nous en cherchons d’autres à l’usine pour réparations.

Le 17 novembre

 Réunion de la section d’éclaireuses ; les dispositions sont bonnes. Pas de sorties à cause du vent.

 Le 18 novembre

Beau temps de gelée. Le bois de chauffage, commandé à Mme de Beauverger, nous est livré à point ; la provision était la, peu pros épuisée, et il faut commencer à allumer.

Réunion des monitrices, comme chaque lundi ; Mme Aron rappelle leurs devoirs, oubliés par certaines.

 Le 19 novembre

 Nous faisons scier le bois de chauffage, qui peut être utilisé maintenant.

Nous recevons de Mme Dalsace, de Vichy, 3 bobines de fil… il ne nous en restait pas davantage pour l’atelier… et du coton à broder : de grandes richesses, car c’est introuvable dans toute notre région. Et les filles, qui ne se rendent pas aisément compte des difficultés, gaspillent sans cesse, malgré toutes les objurgations.

 Le 20 novembre

En raison du tapage, la toilette des grandes après 9 heures du soir n’est plus permise.

 Le 21 novembre

 Mme Nissim va à Guéret, s’occuper du cas de deux Tchécoslovaques qu’il est question de mettre en camp de concentration en raison des accords du gouvernement avec les allemands (Berthe Lazarovitch et Elza Theumannova).

 Remplissage des paillasses devenues bien plates et poussiéreuses en 14 mois. La ferme voisine nous procure 100 bottes de paille, que les grandes vont entrer rapidement dans les enveloppes.

Les cartes d’alimentation se compliquent ; on commence à en avoir une collection qui ira grandissant.

 Et quel travail pour les décortiquer, savoir ce qu’il faut prendre pour le beurre (uniquement les 25 gr), l’huile (les 25 et 10), la graisse (les 5) etc. On devrait les faire découper par les fournisseurs, mais, vu notre nombre, ceux-ci nous demandent de faire le travail. Pour le pain, la viande, nous donnons nos cartes entières, et on nous livre sans tenir compte du nombre de cartes.

 Le 22 novembre

A Guéret, Mme Nissim est très effrayée de ce qui lui est dit par le Commandant d’Armes, qui lui semble exiger presque la venue du Directeur, et lui parait très mal disposé à notre égard.

Elle profite de son séjour pour aller la Préfecture, voir ou en sont les dossiers des Etrangères.

Essai de causerie aux grandes, le soir, sur des sujets de leur âge ; il faudra bientôt y renoncer en raison de leur sans gène et de l’impolitesse de certaines qui n’admettent pas qu’Il y a une limite entre les droits de discussion et le respect dü à la Directrice.

 Nous recevons les livres que nous avons commandés pour les écolières ; hélas, bientôt une notable partie va être mise à l’index parce qu’imprimée par une maison d’édition de gauche !

Ces livres étaient pourtant très intéressants et bien faits, mais contenaient des auteurs qui ne plaisent pas au régime Pétain.

Quant aux frais inutiles imposés aux familles, nul n’en à cure.

Le 23 novembre

Mme Nissim rentre de Guéret, très pessimiste : d’après elle, nos Tchécoslovaques seraient mises en camp de concentration dès leurs 18 ans… Le Refuge serait très mal vu…

Excellent état sanitaire : il n’y a, l’infirmerie que l’ancienne hospitalisée de Clermont ; elle y reste en permanence, malade surtout des nerfs, semble-t-il

 Le 24 novembre

Beau dimanche, froid, les courageuses font une sortie de marche ; mais Je manque de chaussures en bon état en arrête beaucoup.

Le 25 novembre

Quelques changements dans les occupations du personnel : Mme Nissim prend l’infirmerie, en remplacement de Mlle Van Dantzig, très antipathique à la plupart des enfants, qui passe aux raccommodages et la couture ; cette dernière n’est pas ravie du changement.

Pauline Ménaché prend les cours de sténodactylo , Mlle Lachéze s’occupe de l’habillement et de la surveillance, ainsi que du blanchissage.

Le 26 novembre

 M. Aron va à Guéret, pour voir les causes du mécontentement signalé par Mme Nissim, et mettre au point différentes questions la Préfecture.

Long voyage pour 60 km vol d’oiseau, car il faut partir à 7 h du matin pour arriver à 5 h du soir (et bientôt ce sera encore plus long).

Quelques achats Montluçon en passant

Dès l’arrivée, il voit le Commandant d’ Armes, très aimable et ne désirant le voir que pour faire connaissance du Directeur du Refuge. On donne la marche suivre pour éviter le départ des Tchécoslovaques ; les bureaux donnent d’autres renseignements intéressant les étrangères, avec la plus grande amabilité.

Excellent accueil également la Préfecture, ou on affirme que le Refuge n’a pas du tout mauvaise presse. Au service des étrangers, on recherche des dossiers égarés, on explique les retards dont nous nous lamentons ; on nous conseille de ne pas liquider les grandes, contrairement ce qui avait été dit par Mme Nissim ; on insiste seulement pour que nous ne gardions pas de familles entières.

Le 27 novembre

M. Aron continue ses visites à la Préfecture..

— au service des réfugiés, pour faire rentrer Paris deux élèves réclamées par leurs parents : rien faire par les voies régulières, il faut s’adresser la Croix-Rouge

-au servie d’hygiène pour avoir du savon : L’inspecteur nous voir Crocq

A l’Assistance Publique, pour faire rentrer une pupille dans son département : cela va être fait

 , à I’ofice de placement, pour certaines de nos grandes : rien taire, la Creuse ne fait que du placement agricole, ne s’occupe que des français, et déclare que les israélites ne sont pas agriculteurs

. à la caisse de compensation, pour divers renseignements.

 Après être passe chez notre fournisseur de livres et fournitures scolaires, M. Aron reprend le train à 11 h. fait quelques achats en passant à Montluçon (lacets. Sous-mains, mercerie, etc.) et rentre à Crocq dans la nuit.

 L ‘inquiétude causée par les impressions de Mme Nissim est dissipée.

 Le 28 novembre

Pesée et mensuration des enfants ; la presque totalité, depuis la précédente en mars, à grandi de 3 à 4 em, grossi de 1 3 kg ; bons résultats avec le régime alimentaire qui n’est pas parfait ! à l’école, les élèves tricotent pour les soldats prisonniers.

Le 29 novembre

Nouvel essai de réunion causerie avec les grandes ; le ton continue à n’être pas satisfaisant, et ces réunions ne seront pas continuées pour le moment.

Vous recevez du charbon, non sans difficulté, pour remplacer quelque peu ce qu’il nous à fallu vendre en juin.

Le 30 novembre

 Le mois finit froid : -7′

Le ravitaillement continue, ce mois, à ne pas être varié : le riz, les légumes secs sont bloqués en vue de l’hiver ; le régime est, le plus souvent, riz ou pommes de terre. Nous finissons peu à peu nos petites réserves de Légumes secs.

Le 1 er décembre

Le froid augmente -9 mais il fait sec.

On distribue la réserve de couvertures, ce qui donne chacune, au moins, 3 couvertures et le couvre-pieds.

Le 2 décembre

 Il fait -11

Par ce froid, la foire est inexistante ; 3 étalages en tout.

 Ce froid, par beau temps, va en s’adoucissant les 3 et 4 décembre.

Le 5 décembre

 Il dégèle, et il pleut.

Les écolières occupent leur jeudi travailler, à l’école, pour les prisonniers.

La période étant plus stable, on reprend l’envoi du courrier le jeudi, et non n’importe quand. Du reste, l’arrivée du courrier est des plus irrégulières, surtout des régions occupées ; les « cartes familiales » disparaissent en cours de route, pour plus des deux tiers. Et, si de la zone occupée la zone libre, le libellé est assez libre, dans l’autre sens la surveillance est des plus sévères et nombre  de cartes reviennent pour le moindre mot irrégulier.

 Le 6 décembre

Temps doux, pluvieux ; vent violent.

 Réunion du personnel pour fixer le travail de maison, et mettre au point le rôle de chacune.

Ce n’est pas facile, mais, grâce au bon vouloir de toutes, l’accord est vite obtenu.

Le 8 décembre

 La neige refait son apparition ; aussi le dimanche se passe-t-il à la maison.

 Le 9 décembre

Pluie, dégel.

À la suite de la mauvaise volonté générale, et de l’incorrection de certaines lors du lavage des mains avant le déjeuner, celui-ci est supprimé. Cela provient surtout de certains changements décidés lors de la réunion du personnel, changements auxquels les enfants ne sont pas habituées ; et la discipline est vite rétablie.)

On recommence a avoir de l’huile sans trop de difficultés, avec les cartes.

 Le 10 décembre

 Ouragan la nuit ; les chambres sont mouillées travers les fenêtres. Le dégel continue.

Le 11 décembre

Alternatives de pluie et de neige ; une fois de plus, les caves sont inondées, et on ne peut y accéder qu’en bottes.

Un lot de chaussures arrive de réparation, au bout de six semaines… cela devient un événement ! Et de nombreuses autres paires sont au grenier, attendant une occasion d’être envoyées en réparation.

Achat de cartes familiales, on en fait une consommation énorme, car la sévérité du contrôle postal est telle que la plupart sont retournées ou détruites ; c’est ainsi que le simple fait de mettre : « Baisers de ta fille » fait refuser la transmission de la carte… On ne doit rien mettre après : « Baisers »… et tout à l’avenant.

On peut admettre que les trois quarts des cartes écrites ne parviennent pas leur destinataire.

Dans le sens zone occupée zone libre, on est moins sévère, mais de nombreuses cartes se perdent.

 Le 12 décembre

M. et Mme Kohn viennent pour 24 heures, et trouvent qu’on se nourrit mieux à Crocq qu’a Marseille…

M. Kohn s’offre avec joie une tartine de beurre ! et Mme Kohn jouit du léger chauffage de la maison !

 On travaille encore à l’école pour les prisonniers.

 Le 13 décembre

Départ de M. et Mme Kohn.

On répare le robinet d’eau de la chaudière ; et les réparations de tuyaux crevés continuent autant que le plombier veut bien les faire, et autant qu’il à de la soudure : il Vient d’essayer d’en faire en faisant fondre des cuillers d’étain, mais le résultat n’a pas été brillant.

Le 14 décembre

 Temps froid, mais splendide ; avec quelques courageuses bien chaussées, promenade de 15 km.

Il est difficile d’organiser des sorties collectives, tant les bonnes chaussures sont insuffisant.

Le 15 décembre

Temps affreux, verglas le matin, puis dégel.

Les allemands demandant l’ouverture des coffres-forts de Paris, M. Aron demande aller à Paris pour ouvrir le sien ; la demande sera refusée parce que provenant d’un israélite.

Le 17 décembre

Le dégel continue.

Mme Aron va à Aubusson, essayer de trouver des objets pour les étrennes ; Crocq est depuis longtemps vidé de tout ce qui est possible.

Le 18 décembre

 à l’occasion de Noël, il est alloué 100 grammes de riz par personne : événement sensationnel, car la vente du riz était interdite depuis 3 mois. Ce riz, autrefois si méprisé, apparaitra sur la table, accompagnant une blanquette, comme un régal extraordinaire.

Le 20 décembre

Réapparition de la neige.

 Une de nos grandes, avant de partir comme dactylographe, accepte une place dans une ferme voisine pour se procurer quelques ressources ; c’est une courageuse, que nous reverrons souvent.

Le 21 décembre

 La préfecture nous accorde 50 litres d ‘essence pour aller consulter l’oculiste Guéret ; nous avions bien la possibilité de l’autocar Carrazé, mais il n’avait pas le carburant nécessaire…

 Foire… Elle se compose, en tout et pour tout, du pâtissier, qui ne reviendra plus souvent.

Début des vacances scolaires du Jour de l’An ; arbre de Noël de l’école ; chaque élève rapporte un petit objet, friandise ou objet fait par les garçons ; du reste, les filles, de leur côté, ont fait des objets pour les garçons.

 Le 22 décembre

Il gèle (-2) : soleil, brume, neige. On reste la maison, tant le sol est glissant. Et le froid s’accentue dans la journée.

Par l’hôtelier, nous pouvons avoir 20 douzaines d’œufs, plus de 15 F la douzaine. C’est Cher, mais rare en ce moment. L’atelier à une nombreuse clientèle, tant des habitués du Refuge que du Tout-Crocq, chatelaine en tète.

Le 23 décembre

Le froid devient très vif : -12.

Les enfants ne bougent pas de la maison ; font du raccommodage le matin et l’après-midi.

L’eau commence à geler dans les canalisations, notamment aux W.-C., et en partie au lavabo ; cela oblige ä des transports d’eau pénibles, surtout pour les nuits.

 Le 24 décembre

En même temps soir de Hanoucca et de Noël. Le froid augmente encore : -14.

On en profite pour continuer l’atelier, ou une petite avance n’est pas inutile avec le linge qui commence ä s’user.

Travaux pénibles de gelée, notamment pour déboucher le tuyau de vidange du lavabo, sortant en plein air, et gelé sur une longueur de plus de 60 cm ; il faut près de 2 heures de circulation avec barre rougie au feu, et passage derrière la maison, pour y arriver pour la journée.

Et le charbon est très mauvais, obligeant ä surveiller constamment la chaudière. Diner de Hanoucca.

 Le 25 décembre

 Il fait -17, avec tous les agréments !

Au déjeuner, distribution de cadeaux de Hanoucca-Noël-Etrennes ; l’achat en à été difficile, car tout se raréfie ; heureusement, on a pu trouver des sous-mains très appréciés.

 On fait le classement général des enfants pour l’année, d’après le tableau des points en particulier.

Goûter somptueux des vingt premières de ce classement, ainsi que des meilleures grandes et toutes petites : 28, plus le personnel… vin chaud, friandises rares (pour l’époque, tout au moins)

A l’école, les enfants ont fait chacune un dessin pour le « Noël du Maréchal Pétain ». Toutes recevront, par la suite, une carte de remerciement.

 Le 26 décembre

La vague de froid s’atténue : -120 ; il fait très beau, mais on sort peu, faute de bonnes chaussures surtout.

Achats pour les étrennes des gens de Crocq.

Le 27 décembre

Temps moins froid (-80) mais humide et désagréable.

 Recherche de cadeaux ; les élèves de M. Marchal vont lui en offrir un ; elles n’ont pas appris ä partir, et il faut aller les chercher à 8 h du soir !

 Le 28 décembre

 Temps gris, doux : -2.

On prépare la fête, comme en chaque fin de vacances, et cela occupe la journée et les journées suivantes.

Le 30 décembre

Le temps continue à se réchauffer.

Achat de cartes familiales ; elles nous coûtent Cher, car la plupart reviennent refusées pour des motifs futiles ; et il faut bien laisser aux enfants ce semblant de moyen de correspondre avec les leurs.

 Le 31 décembre

 L’année se termine par le verglas puis un dégel complet, qui nous permet de constater des dégâts dans la tuyauterie d’eau ; grosses fuites, notamment dans une cave ou le tuyau à éclater ; et notre ineffable plombier mettra quelques jours avant de venir réparer, obligeant ä arrêter l’eau quelques jours de plus sur cette conduite. On prépare les étrennes du personnel et du dehors ; pour ces derniers, notamment gendarmes, postières, ce sont de bonnes liqueurs, achetées en fraude car de qualité qui n’est plus permise.

 Et 1940 se termine, chez nous, à écouter un beau programme de T.S.F.

Triste année

1941

Comment se présente, pour notre Maison, cette troisième année d’exil ?

Le MORAL… Il n’est pas fameux, car les soucis ne manquent pas.

 La France et son gouvernement sont entre les mains des allemands, et, pour nous israélites, 1940 à montrer ce que cela signifie : régime d’exception et de menace constante ,interdiction ä peu pros absolue de circuler, d’écrire, de travailler.

Presque toutes, au Refuge, sont éloignées des leurs depuis 16 mois et davantage, et savent que la réunion n’est pas proche.

Le personnel vit sans confort, sans le moindre véritable repos, dans des conditions matérielles précaires, avec un travail souvent ingrat et compliqué qu’il assure au mieux.

Les enfants s’ennuient souvent, car les distractions manquent, et nul n’a grand cœur ä s’amuser ; la situation les énerve, et les circonstances ainsi que le logement restreint et ouvert ä tous vents relâchent la discipline.

La NOURRITURE est suffisante, nous sommes très privilégiés sur ce point. Sans doute la direction doit se donner du mal, mais les restrictions jouent peu

Pain et viande volonté, ainsi que le lait : les fournisseurs prennent les cartes en fin de mois sans s’inquiéter des achats faits.

Huile, sucre, fromage plus strictement à la carte, mais on se procure ces petites quantités assez régulièrement ; et nous avons des provisions de sucre et de fromage nous permettant de consommer à peu pros ä notre guise.

Pommes de terre sans carte, en grandes quantités.

Très peu de riz, de légumes secs, de savon.

Grosses provisions de confitures, biscuits, fruits secs (figues, dattes, raisins)

L’HABILLEMENT devient compliqué : peu de mercerie, d’épingles, peu d’étoffes. La chaussure devient presque un problème insoluble, achat et ressemelage.

La SANTE est remarquable, le travail d’école satisfaisant.

Le 1er janvier

L’année commence par beau temps, doux. Peu de visites protocolaires, les directeurs ne vont que chez le Maire qui à toujours été très aimable pour nous. Mme de Beauverger s’est toujours montrée indifférente, et le notaire ex-Conseiller général assez hostile. (Il à été aimable à notre arrivée, ignorant que nous étions juifs).

 Distribution d’étrennes habituelles (pas aux enfants, qui ont reçu pour Hanoucca).

Les enfants finissent de préparer la représentation, jouée l’après-midi : quelques numéros bien préparés (Blanche Neige…) et numéros de feu de camp, peu au point. De l’extérieur, seul M. Marchal est invité.

Au diner, M. Aron fait le point de l’année passée ; il insiste notamment sur la discipline : l’effort de la direction pour laisser plus de liberté n’a pas donné les résultats souhaités, par la mauvaise volonté d’un assez grand nombre de grandes qui se sont cru tout permis ; il faut donc, pour 1941, resserrer quelque peu cette discipline et restreindre les libertés accordées.

Sur tous autres points, le Refuge à surmonté toutes les difficultés de la période.

 Le 2 janvier

 Neige, vent, froid (-10).

 Le service de lait devient pénible : nous n’avons plus ce que nous voulons comme chaussures, ce qui empêche certaines élèves d’y aller ; de plus, l’an dernier tout le lait était rassemblée à la ferme la plus proche, alors que maintenant il faut la chercher dans chacune des fermes, éloignées les unes des autres.

Un goûter réunit les artistes de la veille, afin d’encourager davantage les enfants ä préparer des numéros. 35 assistent ä ce gouter.

Le 3 janvier

 La température oscille entre —13 et -8 ; Il y a 40 cm de neige, un véritable blizzard souffle, rendant toute sortie très pénible. Le matin, pour la rentrée des classes, trois seulement vont ä l’école, bottées, sur une piste ä peine tracée ; I’aprés-midi, les chasse-neige étant passés, 14 y vont, reçoivent un grog en rentrant.

Quelques très grandes se dévouent pour aller au lait, il leur faut 4 heures, avec de la neige jusqu’ä la poitrine par endroits. Le courrier, moins courageux, ne circule pas. Sur les routes, Il y a 1 m 50 de neige en certains endroits ; et le car de Felletin, qui à voulu partir, s’est trouvé dans la neige jusqu’au toit.

 Le 4 janvier

Froid : -10 : la neige épaisse persiste ; les pistes étant bien tracées, seules les toutes petites ne vont pas à l’école. Il fait d’ailleurs plus doux. Et la boisson chaude, très appréciée, continue être servie aux grandes du lait et aux écolières à leur retour.

 Les routes étant délavées, le courtier arrive en fin d’après-midi. Naturellement le ravitaillement est inexistant, les commerçants ne recevant rien. Enfin, il y a pain et viande, et nous avons nos réserves.

Le 5 janvier

La neige tient ; on passe le dimanche la maison, en réunions intérieures d’éclaireuses et autres.

Nous recevons d’Annecy de la toile pour draps, ce qui est précieux actuellement ou toute étoffe se raréfie.

Le ravitaillement est toujours inexistant, car les voitures circulent peu ; le courrier se fait en traineau.

 Le 6 janvier

 Toutes vont l’école.

 Une de nos grandes essaye de se placer comme servante d’auberge ; elle y restera deux jours, le travail étant trop dur.

Ces grandes, de plus de IS ans, ne réalisent pas qu’elles ne puissent, comme autrefois, partir et gagner leur vie : quelques expériences de ce genre leur montreront hélas, la différence.

Le coucher est avancé d’une demi-heure pour la semaine, -en raison du bruit fait le soir ; l’heure sera ainsi fixée par semaine, selon le résultat de la semaine précédente.

 Quant au Jour des Rois, nul n’y pense, car il ne peut y avoir de palette chez les boulangers.

 Le 7 janvier

 Il fait un peu moins froid, heureusement, car il faut faire des restrictions sur le charbon dont la provision diminue de façon inquiétante avec nos 15 moyens de chauffage ; et le réapprovisionnement est peu probable ; on réduit la part de chacun, sauf å la cuisine et l’infirmerie. Enfin, il ne fait pas trop froid a la maison, et on tient !!

Le 9 janvier

Il fait froid -8′ ; on ne sort pas

 Démarche la gendarmerie pour avoir un laissez-passer collectif pour nos étrangères devant aller chez l’oculiste à Guéret ; aucune difficulté

. Le 10 janvier

Il fait plus doux, mais le vent est froid (-2).

Une maman demande le retour en zone occupée de ses deux filles ; le maire, consulté, fait des histoires et déclare ne Tien pouvoir faire.

Le 11 janvier

 Par temps splendide (3), les grandes font une promenade de 15 km dans la neige ; c’est fatigant, car, par endroits, les sentiers sont peine tracés, et la neige est encore très épaisse.

 Le 12 janvier

 Il fait beau, plus froid ; nouvelle promenade, moins fatigante, de 15 km dans la neige, sur route plus praticable : nous allons relancer le cordonnier, qui ne peut plus travailler, faute de fournitures ; il n’a que des clous de menuisier, pas de fil spécial…

Le 14 janvier

Grave incident de discipline :

 Une grande, de pros de 19 ans (B. Perry), très indisciplinée, très impulsive, décide de faire un gâteau å envoyer son frère, et d’autorité veut prendre å la cuisine les instruments nécessaires, sans le demander å qui que ce soit. Mme Melloul, responsable de la cuisine, prétendant ne les lui laisser qu’avec autorisation de la direction, B. Perry se jette sur elle, la griffe, la prend aux cheveux. Mme Melloul, qui a gardé son sang-froid et n’a pas riposté, arrive sanglante la direction, décidée å quitter la maison. L’élève ne manifeste aucun regret

Et, si c’est la première fois qu’elle se livre å de telles voies de fait, elle est coutumière de mauvaise volonté et de parasitisme complet.

La direction ne peut qu’enregistrer le départ de Mme Melloul, et verra le lendemain Guéret la suite donner.

Nous recevons avec Plaisir quelques subsides de la Banque, car nous étions en sérieux déficit depuis la fin de l’année !

Nous préparons le départ du lendemain pour Guéret.

Le 15 janvier

M., Mme Aron et Mlle Lachéze vont Guéret, présenter vingt-cinq enfants l’oculiste.

On a loué un car, on s’est procuré l’essence. Le temps est doux, assez beau (-2). Nous devions partir å 7 h ; å 7 h 45, le car n’étant pas arrivé, nous alIons le chercher : la neige glissante ne lui a pas permis de traverser Crocq !

Nous partons quand même, ayant rendez-vous chez le praticien 10 h, et l’hôpital ou nous voulons faire examiner une autre pensionnaire, celle qui a été Berck.

M. Carrazé, qui conduit le car, a négligé toutes précautions, malgré l’avertissement du départ ; il n’a rien pour empêcher les roues de patiner et, sur la route qui monte et descend, trois fois la voiture refuse de continuer : on descend, on pousse, on tire.

 Notre sac pain devient un antidérapant, ainsi que la bâche du car… un naturel du pays nous trouve, fort propos, un tas de gravier caché sous la neige… Comble de malheur, un arbre énorme qu’on scie en travers de la route nous arrête encore l’entrée de Guéret ou nous arrivons å 11 heures. Pendant que Mme Aron conduit la malade ä l’hôpital (ou elle sera gardée en observation, puis mise dans le plâtre et laissée de longs mois), M. Aron conduit les autres chez I ‘oculiste qui, prenant å peine le temps de déjeuner, les examinera jusqu’å 6 h, se montrant satisfait de ses examens prouvant un bel état général de nos filles. Puis toutes passent chez l’opticien pour se faire faire les verres nécessaires.

M. Aron fait des démarches å la Préfecture… renseignements pour les deux sœurs réclamées å Paris par leur more : il n’a rien å faire ici, il faut que la mère s’adresse å la Croix-Rouge qui seule peut aboutir.

 Pour B. Perry, remise å l’Assistance Publique qui nous l’avait confiée, sinon envoi par la Préfecture dans un camp spécial ou doivent se trouver les sujets britanniques depuis l’armistice. Les services étudieront les possibilités.

Quant å un voyage de M. Aron å Neuilly, il n’y faut pas compter.

M. Aron va, å l’hôpital du lycée, chercher du matériel qu’il a pu acheter (marmites, etc.) et commander d’autre matériel vu sur place. Il s’agit de matériel militaire, cédé å des prix ridicules.

A 6 h 45, après en avoir fini avec l’opticien, nous repartons pour refaire les 60 km qui nous séparent de Crocq : mêmes mésaventures qu’ä l’aller, avec le charme de la nuit en supplément ; cette fois, il y a cinq pannes ; nous finissons par arriver 10 heures.

 Le 16 janvier

Celles qui ont été å Guéret se reposent de cette journée assez abrutissante. Le froid a repris (-12) Mme Melloul quitte la maison.

Le 17 janvier

 Toujours froid (-8).

Nouvelle réglementation pour le beurre, qu’il est interdit de vendre ailleurs qu’au marché, et par l’intermédiaire d’un ramasseur officiel ; naturellement, il n’y a qu’au marché qu’on n’en trouve pas, et, pendant quelque temps, on en aura tant qu’on voudra ailleurs, sans carte.

 Par Mme Dalsace, nous recevons d’Annecy un colis de mercerie accueilli avec joie, car elle devient de plus en plus introuvable. Nous touchons I ‘allocation aux réfugiés de décembre, ce qui nous remet å flot pour quelques jours !

 Le 18 janvier

Par Mme Crémieux, Secrétaire du Comité, nous recevons de vagues nouvelles de notre immeuble de Neuilly, toujours occupé par des réfugiées françaises… espérons que cette occupation lui permet d’être entretenu, et pas trop pillé !

 Dégel (2) ; å l’école, on fait de la luge, å la grande joie de nos filles.

 Nous envoyons la liste de nos écolières, pour recevoir l’allocation de frais de livres (150, 120 et 50 francs selon la classe).

Le 19 janvier

Dégel complet, avec son cortège de boue glissante ; les enfants ne sortent pas malgré le dimanche.

 Pauline Ménaché fait des cours d’Hébreu aux futures initiées.

Le 20 janvier

(5) il fait beau ; on en profite pour éteindre le; chauffage central et nettoyer la chaudière ; avec le charbon exécrable que nous avons, ce nettoyage s’impose fréquemment, car goudrons et mâchefer envahissent tout.

Le 21 janvier

Le ravitaillement est toujours compliqué : nous achetons 200 kg de pommes de terre (5 repas), et notre stock s’épuise. Les paysans, bien qu’en ayant beaucoup, ne veulent pas vendre, attendant la hausse ; ils finiront par avoir la réquisition !

 Par contre, un des épiciers, qui a peur de la réquisition, commence vendre ses stocks de pates, et nous en vend 500 kg (nos cartes nous donnent droit å 25 kg !).

 Et, cette époque, il y a peu de fromage, pas d’œufs depuis 15 jours cause des froids.

 Nous arrivons å nous faire livrer 500 kg de charbon, assez utiles pour augmenter notre provision qui part vite avec les températures actuelles.

 Le 22 janvier

Il fait beau, très doux (-6).

 Visite de L’inspecteur départemental d’Hygiène, que M. Aron avait vu Guéret et avait invité. Il semble satisfait ; il nous promet 10 kg de supplément de savon, et conseille de demander un supplément de charbon. Les deux seront bien accueillis, car il faut la maestria de Mlle Lachéze pour arriver avoir linge et corps propres avec ce que nous avons de savon.

 Le 23 janvier

Toujours doux, humide.

Occupations habituelles du jeudi : bains », lettres, raccommodage ; ce dernier devient de plus en plus long, car tout s’use et ne peut plus être remplacé ; et même, il faut économiser fil, aiguilles ; on arrive avoir un peu de fil de rayonne, médiocre.

 Il faut faire des observations pour la tenue table, et interdire certaines salles de classe aux heures libres, également pour cause de chahut.

Le 25 janvier

Beurre å volonté, le temps s’étant radouci.. • . Cela devient digne d’être relaté au Livre d’Or !

Le 28 janvier

 De nouveau, aucun ravitaillement : ni œufs, ni fromage, ni alcool å brûler, ni albuplast ou ouate en pharmacie. Si nous avons des réserves de fromage, la disette du reste est bien gênante ; on se procure un peu de pharmacie Aubusson, å Giat, au hasard des personnes qui y vont. Réception de 120 kg de confitures.

Le 29 janvier

 Chance, nous avons 12oeufs !

 Le 30 janvier

Doux, pluvieux ; on ne sort pas, la balançoire est ä l’honneur. Encore une douzaine d’œufs… et nous touchons le savon du mois (10 kg, de savon 72 ainsi que l’huile.

 Le 31 janvier

 Il fait doux, toutes les conduites d’eau, après avoir dégelé, se sont vu transformées en écumoires en raison de leur vétusté : rien qu’au lavabo, il y a 5 fuites !

M. Dubois ayant fini par les réparer, on a L’eau tous les robinets, et la vidange partout, pour la première fois depuis près d’un mois et demi.

Heureusement les conduites de la cuisine et d’une partie du lavabo n’ont jamais gelé.

Ravitaillement sensationnel : du fromage par le Central Hôtel, ainsi que 4 douzaines d’œufs : on aura bientôt de quoi faire un repas d’œufs !

Chez l’épicier, un arrivage de pommes, mandarines, bananes, mimosa… on se jette dessus. Les mandarines reviennent 50 centimes, les bananes (une pour deux enfants) 1,50 ; c’est Cher, mais indispensable pour compléter notre alimentation rationnelle.

Le 1er’ février

Une nouvelle sorte de Tableau d ‘Honneur est faite„ le tableau ECLAIREUSE ESPRIT ECLAIREUSE ou sont inscrites celles dent l’ensemble du personnel est satisfait ; elles ont droit certains avantages (heure de coucher, sorties spéciales, éventuellement cadeaux spéciaux). Il s’ajoute au « Tableau des points qui a toujours grand succès auprès des moyennes et en encourage beaucoup bien faire ; mais le dernier s’adresse a toutes.

Nous achetons encore 500 kg de pates, dans les mêmes conditions que le mois dernier.

 Les cartes familiales sont de plus en plus strictement contrôlées, et refusées ; certainement il n’en parvient pas une sur quatre ; c’est triste pour les enfants. et cela finit par coûter Cher, car la Direction n’a pas le cœur de refuser de remplacer les cartes qui n’arrivèrent pas

Temps maussade, mélange de neige et de neige fondue. Heureusement, nous arrivons chauffer, malgré le mauvais charbon et l’obligation de le ménager ; mais quel travail que l’entretien des poêles et chaudière

Le 3 février

 Départ des deux sœurs réclamées par leur mère ; celle-ci. Sur indications de la direction, s’est adressée la Croix-Rouge, qui a rapidement donné satisfaction. Départ intéressant, l’ainée parce que peu intéressante, la cadette parce que très douée : Neuilly, elle aurait suivi des cours supérieurs qu’elle va pouvoir reprendre å Paris.

Naturellement, ce départ agite la maison, toutes enviant les partantes qui vont revoir les leurs.

L’électricien se fait régler sa note de 1940… pauvre électricien, aussi peu adroit que peu solide, et le plus souvent sans matériel !

Le 4 février

Le froid reprend, -12 ; neige très abondante, nous sommes de nouveau bloqués, et les petites ne vont pas l’école.

Et les conduites recommencent à être gelées.

 Et on recommence la corvée de débouchage des tuyaux…

 Et, malgré le manque de papier, on utilise force journaux bourrer les chaussures trempées, qui passent la nuit sur les radiateurs, poêles, fourneaux, pour être peu pros mettables le lendemain.

 Le 5 février

Pas de vent , il fait beau et moins froid (-10) toutes vont l’école ; mais il n’y a pas de courrier, les routes’ étant encore peu dégagées.

Le 8 février

 Dégel. Mme Aron va Aubusson, d’où elle rapporte quelque peu de pharmacie manquant ici.

Nous obtenons du Préfet des promesses de chaussures

Le 9 Février

Dimanche superbe, nous faisons sortie obligatoire l’après-midi, après la claustration forcée des jours précédents, on éteint le chauffage central pour nettoyage et par économie ; car le charbon disparait vite, avec cette série de froids, et nous ignorons quand et comment il sera renouvelé

 En dépit de la carte de pain, nous en avons eu ä discrétion jusqu’å présent (41 kg par jour au lieu de 30 auxquels nous avons peine droit). Le boulanger nous demande de réduire progressivement ; nous amputons de moitié la ration du soir.

Le 10 février

 Commande de 3 tonnes de pommes de terre : nous recommençons être tranquilles pour les repas !

Sensationnel : nous avons des haricots secs pour le déjeuner… plat de choix, vue la rareté.

Le 11 février

Nous réussissons å dénicher dix douzaines d’œufs chez le boulanger qui les conservait pour une pâtisserie interdite ! cela nous permet une omelette au déjeuner… encore plat de choix !

 A la cuisine, nous avons presque un feu de cheminée, en raison des tuyaux et conduits encrassés par les produits du charbon mauvais ; on en est quitte pour une petite émotion.

Le 12 février

Nous obtenons de la mairie UN bon de chaussures, sur plusieurs demandes, c’est peu mais impossible d’avoir mieux.

Et le ravitaillement s’améliore encore : 15 douzaines d’oeufs par l’Hôtel ; ils sont assez Cher, 15 F la douzaine, mais on est heureux de les avoir.

On annonce la carte de linge et de vêtements : cela va bien nous gêner aussi.

Le 13 février

 On rallume la chaudière, car l’humidité est très pénible ; il pleut, les pros sont inondés ; et malgré notre souci d’économie, il faut pouvoir résister. Les enfants résistent d’ailleurs superbement, et l’infirmerie est peu pros vide en permanence.

 Le 14 février

 Nous recevons enfin la seconde moitié du bois de chauffage commandé Mme de Beauverger, et payé depuis longtemps ; c’est heureux, car nous étions presque bout, et il faut tellement économiser le charbon ! Nous le faisons scier immédiatement, et il servira bien avant d’être sec.

Le 15 février

Toujours de mieux en mieux en ravitaillement : nous recevons 1 tonne de pommes de terre sur les 3 commandées (le reste suivra) ; et nous avons du riz pour le repas de midi : il faut voir comme il est accueilli maintenant, alors qu’il était méprisé autrefois : on n’en laisse pas une miette.

Violente tempête la nuit, de gros arbres sont abattus dans la propriété… cela donnera du bois de chauffage.

La maison est en complète effervescence… On Vient d’annoncer la prochaine visite du Rabbin Samuel Klein, aumônier de la Jeunesse et des Eclaireurs Israélites. Ce sera le premier représentant du rabbinat qui viendra å Crocq.

Dès le début de notre exil, nous avons demandé que les rabbins ne nous oublient pas ; å part quelques lettres du rabbin Meyers, nous n’avions rien eu. Par le hasard d’une correspondance avec un scout de Vichy, M. Aron avait pu se mettre en rapports avec M. Klein qui, avec un esprit éclaireur remarquable, s’est mis immédiatement å notre disposition, et a fait l’impossible pour venir rapidement.

 Joie folle des enfants, qui vont préparer une belle maison !

Et ce n’est pas tout : on annonce également le très prochain mariage de Pauline Ménaché, dont le fiancé, démobilisé, est å Crocq ; le mariage se fera ici.

 Du coup, la folie atteint son paroxysme. Les couturières feront une superbe robe pour la mariée.

Mais profitera-t-on de la venue du rabbin pour le mariage religieux ? Des questions compliquées se posent… Les fiancés auront-ils temps leurs papiers en règle ? Et pourra-t-on faire miniane ? Les ressources de Crocq en Israélites hommes sont maigres, et se réduisent ce jour, fiancé compris, å six certains, un douteux… on va battre le rappel dans la région !

 Le 16 février

 C’est dimanche, on prépare l’arrivée du rabbin : pièces, nettoyages.

Les grands garçons de Crocq, désœuvrés, recommencent leurs exploits de l’an dernier et reviennent harceler directeur et filles ; heureusement, ils commenceront bientôt faire un peu de sport. On recommence avoir des œufs sans difficulté.

Le 18 février

Neige légère et pluie, depuis la veille.

On continue, tous instants, la préparation en vue de la visite du rabbin.

Départ de deux sœurs, qui vont essayer de rejoindre leur famille en Amérique et vont å Marseille.

 Le 19 février

Arrivée du rabbin Klein  ; elle bouleverse toutes les idées des enfants, qui attendaient un vieux Monsieur très barbu, sérieux et dogmatique… Elles voient arriver un jeune sportif imberbe, ä bicyclette, sac scout au dos, faisant le salut scout, semblant ne pas désirer qu’on l’appelle « Monsieur le Rabbin », et souriant.

Et bien vite, c’est de l’enthousiasme ! après le déjeuner, qu’il prend au réfectoire comme tous les autres repas qu’il prendra å Crocq, ce sont des réunions… générale d’abord, puis Cercle d’Etudes avec les grandes. Toutes ces réunions sont mélangées de chants, de jeux lancés par lui.

Un office, très beau et très émouvant dans sa simplicité, nous remet dans une ambiance religieuse que nous n’avions pas eue depuis longtemps. Au diner, quelques mots affirment que les israélites ne sont pas mal vus de la majorité des français.

La totalité des enfants a pu assister aux réunions l’infirmerie étant entièrement vide.

Entre temps, des questions sérieuses ont été étudiées entre le rabbin et la direction : organisation de Cercles d’Etudes, enseignement religieux. De précieux renseignements sont donnés.

Il nous procure un calendrier, et nous donne l’adresse pour nous procurer le matzos de Pâque, que nous commandons immédiatement ;

 Le 20 février

— Cest jeudi, tous les enfants sont ä la maison

M. Klein commence sa journée par une réunion des petites, puis des moyennes, puis des éclaireuses.

Avec chacune, il est initiateur remarquable, sachant mélanger le sérieux et l’amusant de façon telle qu’on profite avec joie de ses enseignements.

Après le déjeuner, réunion générale, puis représentation ; et le rabbin repart bicyclette. Chacun est enchanté de cette courte visite, tous les enfants ne pensent qu’ä son retour proche, la direction est aussi ravie, et il semble que M. Klein pas emporté mauvaise impression.

 Il reviendra la semaine suivante pour le mariage, car les papiers ne sont pas encore là, le miniane non plus !

A noter que cette visite lui cause une indisponibilité de plus de quatre jours, avec le voyage.

 Le 21 février

Les papiers étant arrivés, le mariage Ménaché est fixé å mercredi prochain 26 février. Le rabbin v viendra, si nous pouvons avoir miniane… L’aurons-nous ? En mettant les choses au mieux, rabbin et fiancé compris, nous aurons Crocq huit participants.

 En attendant, le menuisier vient remettre en état nos chaises, en ruine par la négligence des enfants.

Le Préfet accorde un supplément de 2 tonnes de charbon, que nous ne toucherons pas de sitôt ; mais cela nous met plus l’aise comme provision.

Le 22 février

Les écolières commencent les vacances du MardiGras, qui durent du samedi soir au vendredi matin : cela tombe bien pour la préparation et la célébration du mariage.

Et la préparation va bon train, les enfants étant pleines d’enthousiasme, tant parce qu’il s’agit d’une grande féte pour une camarade sympathique, que parce qu•on attend de nouveau le rabbin.

 Par exemple, il est difficile de trouver des victuailles sensationnelles pour le repas de noces !

Vu les circonstances, des champignons de conserve seront extraordinaires !

La gendarmerie vient enquéter sur la demande d’envoi en camp d’étrangéres de Bessy Perry. Malheureusement, la conduite de cette derniére ne s’est aucunement améliorée depuis un mois ; on ne peut que conclure la poursuite de la demande.

 Le menuisier continue å travailler.

 Nous recevons encore 700 kg de pommes de terre.

 Le 23 février

Temps tres désagréable„ froid et humide ; l’infirmerie n’en reste pas moins vide.

 On continue répéter, å installer ; on lance les invitations pour la féte, dans le Tout-Crocq.

 Le 24 février

 Mme Schuhl, du Comité, nous envoie d’aimables nouvelles.

 Et le Grand rabbinat de France nous promet le matzos… mais il faut les tickets de pain, et 100 g de tickets pour 80 g de matzos ; cela complique la commande, d’autant plus que la valeur des tickets change chaque mois (en diminuant).

Sans doute faudra-t-il réduire la quantité prévue (280 kg). Grande joie quand même de toutes, å la pensée d’en avoir, même peu.

 Et nous avons réussi å former Ie miniane pour mercredi, grâce au frère et å un cousin d’une des enfants, que nous faisons venir de Montluçon. Nous télégraphions au rabbin qu’i] peut venir !

 La joie et l’enthousiasme règnent dans la maison, ou, sans se soucier du froid, des giboulées, de la grêle, on donne la maison un air de fête.

Le 25 février

Préparatifs fiévreux ; l’atelier se transforme en temple : un dais est dressé, avec des moyens de fortune, lattes de lits scellés dans des seaux confiture ; des draps entourent les colonnes, et, drapés artistiquement, forment le toit ; guirlandes, feuillage, emblèmes… le rayonnage des murs disparait sous des draperies blanches, également ornées. L’éclairage est renforcé et embelli.

Le réfectoire devient une salle des fêtes, également blanche et verdoyante.

Le soir, on fait les derniers nettoyages intérieur et extérieur, et chacune se fait belle.

Agitation, préparation des plats, pâtisserie, vaisselle complétée en ville ; la cuisine ne chôme pas, elle non plus !

 Le 26 février

Journée sensationnelle, qui restera dans les annales de la Maison : pour la première fois depuis 80 ans qu’elle existe (et pour la seule fois, sans doute) elle va voir un mariage se dérouler dans ses murs ; cérémonie religieuse, repas réception…

 Le temps est splendide.

Avec bien de la peine, on est arrivé faire revenir d’Aubusson des fleurs blanches qui seront le bouquet de la mariée, et les ornements du Temple et de la table ; du mimosa, seule autre fleur qu’on a pu se procurer, sera sur toutes les tables et parmi les guirlandes du réfectoire.

 A 10 heures arrivent le rabbin et les parents de l’élève venant pour le miniane. Petite réunion intime, et, å 11 heures, on va å la mairie pour le mariage civil : tout le personnel, et une dizaine d’enfants représentent le Refuge. Mme et M. Aron sont les Témoins.

 On revient déjeuner au réfectoire ; å la table d’Honneur, les mariés, leur famille, les directeurs, le rabbin, et 5 membres du personnel.

Puis le réfectoire se transforme en théâtre. Pendant ce temps, dans la coulisse, un drame se joue… on n’a plus miniane… Le fils Melloul, un des dix, est de mauvaise humeur, a disparu de chez lui vain le chercher, finalement les efforts conjugués de sa mère, de son patron, d’autres personnes le retrouvent : on I ‘amène aux Granges, et on I ‘enferme dans une chambre… ouf !

 Puis la représentation commence, avec nombreuse assistance dont un des membres, qui avait appris nos émotions, annonce qu’un voyageur qui vient d’arriver å l’hôtel est juif, et viendra donner le miniane ; cela va, on sera onze.

Représentation très réussie ; toutes les actrices se sont surpassées.

La cérémonie religieuse a été fixée å 6 h 1/2, sur la demande de trois juifs « honteux » qui n’ont voulu venir qu’å la nuit ; l’heure sonne, ils ne sont pas lå : vont-ils lâcher, et encore empêcher le miniane ? On file chez eux… ils viennent de rentrer du travail, et ne veulent venir que quand ils auront fini leur repas (qu’ils n’ont pas voulu prendre avec nous, tant ils ont peur d’être vus) ; et on les attend une heure ! Enfin voici les deux fils, mais le père a renoncé å venir ; le voyageur providentiel permet quand même d’avoir les dix hommes (y compris le jeune Melloul solidement encadré), et la cérémonie va pouvoir commencer ! Il est près de 8 heures.

C’est le premier mariage célébré par le rabbin.

Au milieu d’une émotion profonde, le cortège entre dans le temple, ou la totalité du Refuge est massée. Dans sa simplicité, l’arrangement de la salle est parfaitement réussi ; la mariée a une superbe toilette, offerte et faite par ses camarades.

 L’office, très ému, fait une profonde impression sur toutes. Cérémonie, chants, sermon du rabbin sont faits et suivis avec recueillement.

 Puis c’est le festin, dans le réfectoire brillant : on a mis, autant qu’on a pu, les petits plats dans les grands ; å toutes les tables, il y a du champagne ! Toutes oublient la guerre, pour ne songer qu’aux joies de l’heure.

Et, jusqu’å 11 heures, les grandes dansent.

Le rabbin, devant partir le lendemain de bonne heure, s’éclipse, emportant la gratitude de tous. Il fait espérer qu’on le reverra å Crocq. A toutes, il a donné un renouveau d’esprit religieux, et les offices comme les cours d’instruction religieuse vont connaitre une vitalité qu’ils avaient quelque peu perdue.

Le 27 février

Le grand jour est passé ; on range, le temple redevient atelier ; et on prépare la rentrée des classes, quelque peu négligée ces jours-ci.

La fête se termine par un goûter offert, au nom des mariés, par la Direction ; on y déguste d’ultimes sirops, d’ultimes friandises jalousement gardés depuis des mois et introuvables maintenant.

Et on danse jusqu’au diner.

Enfin, nous trouvons une solution pour la réparation des chaussures, dont on se charge å Clermont-Ferrand. Nous en envoyons immédiatement 165 paires, ce qui peut donner une idée de notre dénuement, car il y en a encore une trentaine de paires en souffrance chez les divers cordonniers de la région, depuis longtemps.

Le 28 février

Affichage du second tableau d’Esprit Scout ; il a beaucoup de succès, et se montre utile.

Pour la première fois, on va avoir å Crocq restriction de pain ; jusqu’å présent, nous en consommions journellement plus de 40 kg, alors que nos cartes ne nous donnaient droit qu’å 24 kg environ ; on nous réduit, pour commencer, å 30 kg ; les enfants, qui ne se rendent pas compte des difficultés, ni des restrictions réellement imposées ailleurs depuis longtemps, se lamentent et se considèrent comme des victimes.

Ici, nous mangeons ä notre faim ; pourtant, il n’y a aucun légume sec depuis deux mois. Mais il y a autre chose !

 L’alcool å brûler manque souvent ; quant au Pétrole, on n’en a plus eu depuis six mois ; en cas de panne d’éclairage, nous avons une bonne provision de bougies, qui deviennent aussi introuvables.

Le 1er mars

Premier cercle d’Etudes religieux, organisé par l’une des grandes sur les indications du Rabbin Klein ; quelques incidents avec trois qui se considérent comme humiliées d’écouter une causerie d’une de leurs camarades !

Le résultat est assez satisfaisant.

Deux nouvelles petites sont admises l’école. L’un des enfants recoit un mandat de ses parents, de Paris : c’est le premier depuis juin dernier.

Le 2 mars

Beau dimanche, quelques sorties. Avec les éclaireuses, exercices de feux, toujours appréciés. Une correspondance, amorcée par le rabbin, commence entre nos éclaireuses et la section E. I. de Vichy ; elle se continuera, de plus en plus intéressante et de plus en plus nombreuse, pour la joie et le grand profit de nos filles.

Le 3 mars

 Enquête de la gendarmerie sur nos Tchécoslovaques, une fois de plus ! Aucun intérêt spécial, et aucun ennui en perspective.

Le temps tourne å la pluie.

Le 4 mars

 Giboulées violentes de neige, de pluie ; on rallume la chaudière. Impossible, depuis quelques jours, de trouver de bougies ; on n’en verra plus de sitôt. Comme il n’y a plus de pétrole depuis longtemps, les gens sans électricité doivent se coucher avec les poules.

 Aux Granges, heureusement, une provision faite depuis quelque temps permettra de ne pas s’inquiéter des nombreuses pannes de courant.

Un don de 5 000 francs de Mme La baronne Henri de Rothschild va nous permettre de jeter les bases d’une organisation de Prêt d’Honneur aux élèves sortant de la Maison.

 Le 6 mars

 Préparation de numéros de fête en prévision de Pourim.

Nous recevons un stock de cahier et de papier machine, car le nôtre s’épuise, et le renouvellement est de plus en plus difficile.

Le cordonnier de Crocq nous rend quelques paires réparées ; l’autre des environs renonce å tout travail, faute de fournitures : Clermont est arrivé point !

Le 7 mars

Violentes giboulées.

Les institutrices de l’école sont satisfaites de nos filles, en général supérieures aux enfants du village comme bonne tenue, bonne volonté et travail. Nos filles tiennent, en général, la tête de Ia classe

M. Melloul, ex-mari de notre ancienne cuisinière, propose de nous aider comme ravitaillement ; en fait, il nous procurera quelques morceaux de savon et un peu de fromage ; mais, rapidement, nous jugeons préférable de ne pas faire d ‘affaires avec lui,

Pour rendre l’office du soir plus vivant, les petites sont confiées chacune å une grande, et une partie des prières est traduite en français.

Le 9 mars

Les giboulées continuent ; nous essayons les premières semailles, des poireaux qui ne réussiront pas.

 Vague préparation de la fête de Pourim.

La « mine » de pates de notre épicier est å peu pros épuisée : nous en aurons difficilement 100 kg ce mois-ci (c’est encore 75 kg de plus que notre ration).

Le 12 mars

Le linge nous est rapporté de plus en plus mal lavé par nos blanchisseuses ; si nous pouvons encore, grâce nos réserves, leur donner du bon savon 72 %, il n’y a plus que des ersatz de lessive ; il va falloir faire des essais pour trouver le moins mauvais de ces ersatz.

 Si nous continuons ä avoir autant de lait que nous le voulons (25 å 30 litres par jour), notre fournisseur annonce 10 litres, ce qui est notre ration officielle. Heureusement, cette annonce est de pure forme.

Le soir, office de Pourim.

Le 13 mars

Pourim ; on fait une crème au chocolat, ce qui devient, avec les restrictions, un régal de prix !

 Petite fête, surtout quelques danses bien au point, et de vagues numéros de feu de camp mal représentés : après le gros effort a l’occasion du mariage, la préparation de cette fête a été assez négligée.

Les œufs sont taxes 12 F la douzaine ; ils ne manquent pas.

Le 14 mars

Temps splendide :

 M. Marchal fait son cours dehors, puis toutes jouent au jardin jusqu’au diner.

Réparation très provisoire de l’appareil de T.S.F. par un opérateur la veille de partir au régiment, elle ne marchera pas longtemps !

 Deux des toutes petites, insuffisamment surveillées par Mme Minc, mangent des feuilles et sont malades deux jours

Mme Aron s’absente quelques jours, notamment pour voir Mmes Leven et Kohn.

Le 16 mars

Temps toujours aussi beau : on peut étaler la literie dehors, et les enfants sont peu la maison. Le dimanche est occupé par des sorties de clan des éclaireuses, des jeux dans les prés pour les autres.

Ravitaillement irrégulier ; il y a moins de lait (sans carte) pour l’instant, mais cela reviendra. Œufs å volonté, presque pas de beurre.

Quelque inquiétude pour la viande (que nous avons toujours ä volonté) car, dans les environs, on commence en être assez privés. Eventuellement, un des bouchers nous en gardera dans son frigidaire.

Le 17 mars

Toujours très beau, on continue å sortir la literie.

Vague foire, avec trois étalages où on trouve un peu de mercerie.

Les monitrices demandent le dessert… éventuel å midi, plutôt que le soir où les pommes de terre bourrent . Accepté, d’autant plus que les desserts vont se raréfiant, faute d’en trouver. Nous avons facilement la confiture, assez facilement des biscuits, mais le reste est plus difficile.

 Le 19 mars

Nuit froide (-5), journée superbe (20).

Envoi de lettres de rappel quelques parents qui n’écrivent jamais a leur fille ; en général, cela portera.

 Le 20 mars

 Le temps continuant ä être superbe, 25 enfants vont pied Giat, entre 1 h et 8 h (25 km). On trouve moins ä acheter au grand magasin ; aucune alimentation, peu de matériel ?

Le mauvais charbon cause un début de feu de cheminée, sans suite, chez une surveillante : la chaudière inonde les conduits de goudrons.

 Le 21 mars

 Splendide journée d’équinoxe.

 Nous recevons enfin le remboursement d’assurance pour une brûlure de notre cuisinière, mais aucune nouvelle du règlement de l’accident Zaguedoun de l’an dernier.

Le matin, M. Aron accompagne å la gendarmerie une élève qui se plaint des mœurs de son père lors de sorties ; puis il va la mairie, se faire nommer subroger tuteur d’une autre, dont la tante se fait nommer tutrice dans des conditions assez vaudevillesques : vraiment, ici, n’importe qui peut être nommé tuteur d’un enfant !

Le 22 mars
Le beau temps continue, les nuits sont plus douces. Petite sortie, mais il fait trop chaud !

Nuit agitée, par suite de gros dérangement général dü å une salade mal préparée ; aucune suite, sinon des litres de tisane, un repas léger le lendemain, et un lever plus tardif.

 Retour de M. Tiano, mari de Pauline ; il ne peut encore travailler Guéret ; il est entendu que nous le prenons en subsistance ici, et qu’il aidera au jardin ; mais il est encore plus paresseux que son beau-père, et ne fera peu pros rien durant son séjour.

 Nous recevons de Guéret le second envoi de matériel militaire, notamment une marmite de 30 1 å un prix ridicule, des brocs (introuvables depuis des mois), des pots å lait, du coton hydrophile.

L’atelier réclame des épingles, bien difficiles å trouver, mais trop faciles ä perdre.

 La préfecture nous accorde 20 bons de chaussures, mais ce sont des chaussures « légères », assez  insuffisantes

Le 24 mars

Départ de l’élève pourvue d’une tutrice !

 Nous apprenons avec fierté que Mlle Meyer, notre ancienne Assistante sociale, a gagné la Croix de Guerre, bien méritée en mai 1940.

Le Grand rabbinat nous avise de l’envoi de matzos (150 kg, mais nous en obtiendrons 50 kg de plus) Nous payons la consommation d’eau de la ville de Crocq : prix forfaitaire, car avec les fuites de toute sorte dans l’ensemble des canalisations extérieures et intérieures, cette consommation est astronomique au compteur.

Le 25 mars

Toujours très beau (20)

On continue å avoir quelque inquiétude pour le ravitaillement : l’âge d ‘or va-t-il finir ? Nous consommons par semaine 600 ä 700 g de viande par personne, au lieu des 360 g permis ; pour le pain, de 40 par jour en février, nous sommes passés 26 kilos ; et nous devrions ne pas dépasser 23.

Nous recevons 840 kg de pommes de terre. La vente en est encore libre dans le département.

Le 26 mars

On annonce la carte de chocolat : ce sera un avantage, car on n’en a plus vu depuis trois mois ; nous en donnons chichement sur notre provision, et le moindre gouter avec une tablette devient un événement merveilleux.

Un Inspecteur de la Sûreté Vient de Guéret, pour connaitre nos ressources financières, et savoir si nous sommes å la charge de la collectivité. Nous le tranquillisons. Il essaye également de chapitrer B. Perry, lui disant que, l’Assistance Publique refusant de la reprendre, la seule possibilité de départ est le camp d’étrangères.

 Le seul résultat est une bordée d’injures å I ‘égard du Directeur, au diner et le soir.

Retour de Mme Aron, qui a vu Mme Kohn å Marseille, puis Mme Leven, fort inerte, å Vichy.

 Le 27 mars

B. Perry Vient déclarer å la Direction qu’elle ne veut pas de la discipline de la Maison ; elle préféré le camp !

Préparation de Pessah : on jouera Esther intégralement, avec les chœurs.

Achat, sans carte, de 170 boites de crème de gruyère.

 Mme Dalsace nous envoie d’Annecy de la mercerie et de la passementerie, qu’elle s’est procuré å grand ‘peine.

Achat de cartes familiales… c’est ruineux, les trois quarts n’arrivent pas, et la Direction n’a pas le courage de laisser les enfants sans nouvelles possibles de leurs familles, et sans moyens d’en envoyer ; la plupart des enfants ne recoivent pas d’argent, et naturellement pas de timbres de leurs parents,

Les sacs de chaussures réparées de Clermont reviennent å toute petite allure : sur cinq, arrivée du premier !

Le 28 mars

 Achat de 40 paires d’espadrilles, qui aideront å supporter le manque de chaussures.

 Et nous profitons de la latitude laissée par le boulanger pour les tickets de pain pour faire provision de biscuits « nationaux » qui sont tres mangeables.

 Il y a peu d’huile, sauf de l’huile d’olive å 24 F

. Mme Minc « s’intéresse » å B. Perry, se met en tête d’empêcher son départ : le seul résultat sera d’exciter les mauvais éléments, convaincus qu’on peut tenir tête å la Direction.

Le 31 mars

 Après deux jours de pluie, tempête avec neige ; on occupe le temps par des répétitions de fête.

Et, pour finir le mois, commence un nouvel épisode du monde renversé que nous vivons : ce sont les enfants qui envoient å leurs parents de nombreux cadeaux de nourriture ; et ce sont les parents quiv enchantés, remercient chaudement leur enfant, et implorent un nouvel envoi ! Un véritable bureau de banque s’ouvre å la Direction, pour garder et faire utiliser les sommes envoyées par les parents en ce but.

 En mars… Notre « Mine » de pates est tarie pour l’instant et nous n’aurons guère, maintenant, que nos tickets ; enfin, nous nous sommes refait une provision de plus de 1000 kg, et nous pourrons continuer longtemps encore notre régime pâtes-pommes de terre !

On a des (oeufs å profusion, mais difficilement du beurre (toujours sans carte)

 QUELQUES PRIX DE MARS

Oefs 12f le dz

Pates 8 le kilo

Pain 3

Pommes de terre 157 les 100 kg

Viande, rôti , veau bœuf 20 le kg

Foie de bœuf 7

Beurre 32

Biscuits 19,50

Sucre 7,25

Chaussures ressemelage 25

De à coudre 1 la pièce

Peigne maitre plastique 7

yyyyyyyyyyy

Le 1er avril

Vent violent, neige. Les quelques farces habituelles, notamment sur la durée des vacances de Pâques.

Le 3 avril

 Après une journée de tempête, la pluie continue, froide. On profite du mauvais temps pour réunir les livres de la bibliothéque. Celle-ci, qui comporte environ 150 livres achetés ou offerts, est très courue, concurremment avec celle de l’école.

Le 4 avril

 Par temps toujours maussade, la réception de 10 paires de bottes de caoutchouc, envoyées par Mme Kohn, est agréable, notamment pour aller chercher le lait. Nous essayons d’avoir du bois de chauffage, pour moins économiser le nôtre ; le château ne veut rien entendre avant l’automne… donc, la aussi, surveillons ! Nous essayons, sans résultat, d’obtenir de nouveaux bons de chaussures de fatigue, car, avec ceux de la Préfecture, nous ne pouvons avoir que des sandales et des souliers très Jégers, bien insuffisants et qui ne durent pas.

 Le 5 avril

 Le beau temps revient. C’est le dernier jour du trimestre scolaire ; comme d’habitude, on n’en fait pas lourd, surtout dans Ia classe supérieure ou on fait le secrétariat de mairie. La classe du certificat a un maitre assez bon ; la seconde a la meilleure institutrice de l’école ; la 3 e a la plus médiocre, très jeune et laissant faire ; Ia 4 e marche convenablement. Nous demandons au Rabbinat un supplément de matzos, 150 kg paraissant peu.

Le 6 avril

 Tempête ; on fait du travail d’atelier, des répétitions de la fête. On espère la venue d’éclaireuses de Vichy ; elles ne viendront pas, car les israélites de Vichy commencent å être houspillés de toute façon, invités aller ailleurs. Achat de 2 tonnes de pommes de terre. On nous en promet autant pour la fin du mois (mais nous ne les aurons pas) ; quelques achats de primeurs pour la soupe. Œufs å profusion toujours.

Le 7 avril

 Neige, tempête ; il faut rallumer au réfectoire ou les enfants se réunissent ; et dans Ies chambres du personnel. Arrivée de 150 kg de matzos ; c’est un matzos de guerre, préparé par une biscuiterie de Grenoble en petites galettes pas fameuses, dures, brunes On réentrepose dans la classe voisine de la Direction, comme l’an dernier. On recoit, de Clermont, un nouveau sac de chaussures réparées.

Le S avril

 Le froid persiste. Nous recevons de la Préfecture la carte d’identité d •une de nos enfants, carte attendue depuis pros d ‘un an, et qui avait été déclarée prête å être envoyée en janvier

Le 9 avril

 Par temps froid très beau, on fait le grand nettoyage de Pique. Pour une fois, chacune, secouant son inertie, respecte la tradition. Le soir, répétition des chœurs d’Esther ; ils ne sont pas très au point, et la mise en scène est piteuse.

 Le 10 avril

 On continue le nettoyage, on active les répétitions. Nous recevons du fromage, ainsi que du savon en supplément de nos tickets ; c’est toujours du 72 0/0, bien qu’en théorie la vente en soit arrêtée depuis deux mois, et qu’on ne doive recevoir qu’un bien médiocre 40 Toutefois, même avec ce supplément, il nous faut économiser, car la ration est bien faible pour tous nos besoins.

Le 11 avril

Temps très beau, doux Installation de Pessah, disparition du pain, des pates ; préparation des kneppisch; nous en faisons mains que ran demier, mais on n’en manquera pas. Les menus de la période seront peu variés : pommes de terre, riz. semoule de mais que nous conservons depuis 18 mois. Le soir, office, puis Seder rituel : menu, soupe, radisy sardines, gâteau semoule de mais… c’est somptueux ! Nous arrivons å obtenir, peu pros sans tickets, une meule entière de gruyère de 65 kg ; et nous allions avoir 140 kg de confiture, sur 200 commandées. Cela va !

Le 12 avril

Superbe journée de Pessah, permettant de rester dehors ; même la répétition dEsther est faite dans Mme Aron fait la crème au chocolat qui devient traditionnelle pour les jours de fête… car on ne peut guere avoir autre chose ! Le Préfet demande d’arrêter le chauffage : comme le temps s’est radouci ces jours derniers, nous n’avons pas attendu son invitation.

Le 13 avril

Très beau dimanche de Pâques. On nettoie le jardin, et les enfants commencent å préparer leurs carrés personnels, avec d’autant plus d’entrain que de superbes pensées ont surmonté I ‘hiver et fleurissent déjà dans les carrés bien entretenus ran dernier.

 Le 14 avril

M. Aron, avec 16 filles, va assister å une représentation å 7 km de Crocq promenade pied, par très beau temps ; séance très quelconque. Les autres travaillent au jardin. Réception de 50 kg de matzos, de Nice, meilleur que le précédent.

Le 15 avril

Nous recevons 140 kg d ‘excellente confiture, pour une commande de 200 kg : c’est parfait. Presque aussi sensationnel : nous arrivons avoir 5 kg de lentilles et autant de fèves, totalité de la réception du plus gros épicier de Crocq. Cela ne permettra pas un plat, mais cela garnira des soupes.

Le 16 avril

 Les répétitions s’accélèrent ; on installe les tentures, les coulisses ; on orne de branchages. M. Tiano retourne å Guéret ; il n’a pas fait grand-chose au jardin (ni ailleurs), mais il semble satisfait de soi. La T.S.F. est enlevée du réfectoire, certaines élèves s’obstinant, pour être tout contre un appareil qui hurle, å s’installer aux places de la Direction (et å y rester quand la Direction entre dans la salle). On travaille vaguement å l’atelier et aux raccommodages le matin ; le manque d’aiguilles, de fil, de coton å repriser commence se faire sentir : tout se

 Le 17 avril

Le matin, représentation soi-disant générale, bien peu au point en dépit des prétentions des actrices ; et, l’après-midi, c’est la grande représentation ; on a fait quelques invitations, quelque peu prématurées ; ce n’est pas des plus réussis. Continuation des visites de l’immeuble en vue de la location possible å la gendarmerie : cette fois, c’est le Commandant qui vient voir en détails. Il constate, lui aussi, que cela coûterait cher de réparations !

Le 18 avril

Temps pluvieux ; c’est l’avant-dernier jour de Pessah, donc pas d’atelier. Réunion des surveillantes, pour augmenter la surveillance, assez difficile avec notre personnel réduit.

 Le 19 avril

Dernier jour de Pessah; il reste du matzos, que l’on préféré au médiocre pain. On le donnera comme supplément aux écolières pour leur goûter, car la ration de l’école est maigre. Et le riz est remplacé par des pâtes ; il y a peu de beurre, å cause de la réquisition des vaches, et peu d’œufs, par maladie des poules, dit-on. On mesure et pose les enfants ; la plupart ont légèrement augmenté, les plus petites ont maigri : Mme Minc leur fait elle faire suffisamment d’exercice, car elles mangent plutôt trop ?

Le 20 avril

 Fin des vacances de Pâques. On remet la T.S.F., pour entendre les chæurs d’Esther joués de fagon quelconque par une école suisse. Un bataillon Vient cantonner, une importante partie dans la ferme contiguë : grande excitation de certaines des filles, dans la journée d’abord, car elles se font trop remarquer ; pourtant, toutes vont au concert militaire donné sur la place, et au Lever des Couleurs : enthousiasme. Le soir et la nuit, catastrophe ; malgré les ordres, des fenêtres de dortoirs s’ouvrent, des conversations s’engagent, des papiers sont lancés ; rondes, surveillance å l’intérieur et å l’extérieur jusque vers minuit. Il faut chasser des soldats de sous les fenêtres fermées. Heureusement, le bataillon repart au petit jour : alors encore, il faut surveiller les fenêtres qui s’entrouvrent. Certaines filles ont une tenue déplorable.

Le 21 avril

 La maison est en effervescence. On supprime de nouveau la T.S.F., on ferme complétement les fenêtres des dortoirs. Les plus mauvaises des grandes, se donnant å elles-mêmes le titre de 5e colonne, affichent un « tableau de punitions », et met en quarantaine Mme Germain et Mlle Lachéze, qui se sont permis de signaler des bruits suspects de conversation au dessus de leur chambre, la nuit ! Pourquoi se généraient-elles, quand elles constatent [‘apparente impunité de B. Perry qui, protégée par Mme Minc, ricane au-dessus de ce groupe de mauvaises ? La Direction est obligée, pour en finir avec ce vent d’insubordination, de réclamer å la Préfecture le départ de B. Perry, départ prévu depuis quelque temps. Il aura lieu le lendemain. La 5 e colonne est mise elle-même en quarantaine. Les moyennes et petites restent en dehors de cette agitation, et se tiennent bien. A l’école, on donne å chaque enfant un petit morceau de pain pour son gouter ; c’est bien insuffisant et nous devons ajouter chaque fois chocolat ou matzos.

Le 22 avril

 Le matin, les gendarmes viennent chercher B. Perry pour la conduire au camp des étrangères. Douche pour la 5c colonne, qui se calme immédiatement ; le tableau des punitions, que la Direction a laissé, est retiré par ses auteurs. Et la quarantaine des maitresses disparait. Celle des mauvaises disparaitra bientôt. L’effet salutaire de cette grave sanction se fera sentir longtemps. On installe dans le jardin des fils de fer pour sécher le linge et la literie.

 Le 23 avril

 Calme, on réfléchit, on digère la secousse du départ Perry. Mais Mme Minc revient de vacances, ne cache pas sa fureur de ce départ, déclare å toutes qu’elle fera sortir B. Perry du camp (elle n’y arrivera pas, en fait.) Nous pouvons avoir 50 kg de pâtes, 20 de semoule. Réception des nouvelles cartes familiales, å 7 lignes sans phrases imposées : on s’en réjouit comme d’une liberté recouvrée… Bien maigre !

 Le 24 avril

L’apaisement se poursuit, malgré l’agitation de Mme Minc. On recoit un nombreux courrier, auquel on répond, presque avec des détails maintenant qu’on a 7 lignes. Réunion des monitrices ; on commente les événements, on prévoit quelques avantages pour les monitrices, sorties spéciales (qui seront rares). Des monitrices médiocres sont changées.

Le 25 avril

Surprise, après quelques jours assez froids, il neige toute la journée : va-t-il falloir rallumer ? Les séances de dentiste deviennent longues ; nos filles y restent jusqu’å 8 h 30 du soir, sans avoir diné ; il va falloir les faire revenir diner, pour retourner ensuite. Le dentiste n’arrête pas, mais ses notes sont salées.

Le 26 avril

Temps maussade, il dégèle. Vague foire : quelques pantoufles, des gâteaux ä 48 F le kg, et on se les arrache… pas pour nous ! Les enfants n’y vont pas, étant consignées jusqu’å ce jour, depuis dimanche. Elles n’y perdent rien !

Le 27 avril

Représentation, donnée par le groupe vu précédemment å Ia Villeneuve ; les monitrices y vont, les autres s’ennuient å la maison. Le soir, M. Aron fait le bilan de la semaine ; on passe l’éponge, si la colonne cesse d’exister !

Le 28 avril

Le calme et la paix sont revenus la maison, sauf chez Mme Minc qui continue ä fulminer. Un dernier départ de réfugiés par trains spéciaux étant annoncé pour le début de mai, Mme Germain et Mlle Lachéze, seuls membres de la maison non israélites, donc libres de circuler, demandent en profiter, et commencent å se préparer. De Clermont Ferrand, un nouveau sac de chaussures réparées arrive… C’est très long, et ce cordonnier, comme les autres, manque de fournitures. Pendant ce temps, il est difficile de sortir, par ce mauvais temps humide. Et cela va de mal en pis, pour ces réparations.

 Le 30 avril

Tempête la nuit, temps médiocre ensuite. C’est la fin du savon 72 % ; il était déjà supprimé depuis plusieurs mois dans les autres départements, mais nous avions encore réussi å nous en procurer nous en avons encore une provision d’environ 50 kg, puis il faudra utiliser des savons et savonnettes bien plus médiocres. Le blanchissage sera plus difficile, avec un mélange de savon, de poudre a laver, de cristaux. Un quincaillier doit fermer, faute de marchandises. Nous en profitons pour lui acheter quelque matériel, car tout ce qui est métal tend å disparaitre complétement ; il est notamment difficile de trouver des clous.

Le 1er mai

 Jour ultra férié, le gouvernement Pétain prétendant rénover la fête du Travail, et en faire en même temps une sorte de fête personnelle du maréchal ! Naturellement, nous n’en tenons aucun compte ; les enfants ont, pour ce jeudi, leurs cours habituels avec M. Marchal, leurs bains, leur courrier. A la maison, le calme est tout fait rétabli. On nous promet de nouveaux fromages sans difficultés.

Le 2 mai

Temps doux, avec giboulées ; Ie jardinier Vient bécher. Les séances de dentiste dexfiennent de plus en plus difficiles, tant il est occupé ; trois seulement y vont, en reviennent 10 heures du soir ; les autres patientes attendent une autre fois !

Le 3 mai

Gros incident avec Mme Mine, toujours de très mauvaise hutneur ; elle prend partie le directeur, en plein refectoirer parce qu’il a nommé une de ses petites parmi les très bonnes de la maison, et que cela ne lui plait pas (c’est pout-tant elle qui a donné les notes),

Le 4 mai

Mme Minc démissionne ; cette démission est aussitôt acceptée, car non seulement son attitude est intolérable. mais ses procédés d’éducation sont critiquables ; ses petites ont été les principales clientes de l’infirmerie depuis plusieurs mois, ont maigri, restent des bébés Balbutiant de la haute philosophie, mais inertes. Changement d’heure, pour prendre l’heure allemande de la zone occupée ; on avance maintenant de 2 heures sur le soleil ; très bien pour le jour et l’économie de lumière, mais décalage bien grand. Les enfants travaillent ä leurs plantations, et sortent. On ramasse du bois de chauffage dans la propriété.

Le 5 mai

Mme Aron part Guéret conduire une autre de nos filles, réclamée par sa famille, et partant par un train de Croix-Rouge : bon débarras, c’est une des plus mauvaises, voleuse, simulatrice. Mais toutes les autres vont réclamer de leurs parents leur retour de la même façon, d’autant plus que cette fille fera, Paris, le tour de Paris pour y répandre ses doléances. Elle n’aura pas grand résultat, sinon de rendre plus tristes certaines de celles qui veulent partir. Pour la première fois, nous allons manquer de pommes de terre, car on ne peut nous fournir 3 tonnes presque promises, et les réquisitions empêchent tous achats nouveaux Heureusement, nous avons de la viande tous les jours discrétion, en dépit des cartes non utilisées et des œufs en quantité ; on s’en tirera encore cette fois !

 Le 6 mai

 Très beau temps : travaux de jardin, on continue les plantations. A Guéret, démarches ä la Préfecture, aussi inerte que d’habitude.

 Le 7 mai

Retour de Mme Aron dans l’après-midi ; pour rester 2 heures Guéret, il lui a fallu deux jours d’absence (60 km å vol d’oiseau). Mais elle n’a pas perdu son temps : elle rapporte dix boites d’allumettes et des serpillières !! Et aussi des produits pharmaceutiques dont on manque å Crocq ? C’est fort appréciable, mais cela revient Cher.

 Le 8 mai

Sensationnel ! On peut, maintenant, envoyer en zone occupée les cartes postales non illustrées quelconques, sans limitation de lignes ; cela permet, pour la première fois, une véritable correspondance. Ces cartes sont 0 F 90. On peut aussi commencer échanger colis, argent, mais de façon assez limitée. C’est une grosse amélioration, accueillie avec joie. Travaux de jardin, nettoyage des haies, des ronces. Nous recevons enfin, après des mois d’attente, le règlement d’assurance d’un accident ; mais ce n’est pas encore celui de notre brûlée de l’an dernier.

Le 9 mai

 Temps orageux, chaud. Encore une séance de dentiste durant jusqu’å 10 heures du soir, avec nombre réduit. Lecture hebdomadaire du tableau de notes ; mais, maintenant, nous lisons les derniéres aussi : cela les excite, pour éviter humiliation et sanctions. Achat de quelques boites de sardines, denrée rare depuis longtemps.

Le 11 mai

 Fête de Jeanne d’Arc, sans intérêt pour nous. Atelier le matin ; puis les bonnes du tableau déjeunent dehors, å quelques centaines de mètres, mais hors de vue de la maison ? Grande joie, bien qu’il ne fasse pas chaud, le vent du nord soufflant dur. Puis sortie générale, avec goûter, jeux divers. Toutes sont enchantées. Par des paysans, nous arrivons å avoir encore quelques repas de pommes de terre.

 Le 14 mai

Un essai de jardinage avec deux femmes du pays n’a pas donné de résultat convenable ; on prend une équipe de quatre hommes qui, en deux jours, retourneront tout le terrain et commenceront des semailles. Par hasard, nous nous procurons 50 kg de pois chiches, 10 kg de riz, denrées assez introuvables, ainsi que 25 kg de pâtes, sans tickets. C’est toujours cela pour suppléait aux pommes de terre ! Par ailleurs, nous trouvons encore 75 kg de pâtes ; les épiciers craignant toujours de voir réquisitionné leur surplus, le liquident dès qu’ils en ont et nous ne nous faisons pas prier pour l’accepter.

Le 15 mai

Télégramme officiel du Département du Cher nous demandant de prendre 40 enfants… C’est trop… Nous nous mettons en rapports avec Madame Leven pour qu’elle se renseigne et accepte éventuellement une vingtaine. Jardiniers et enfants s’occupent au jardin avec ardeur.

Le 16 mai

 Madame Leven téléphone pour les enfants : il n’y en aurait qu’une vingtaine, garçons et filles réunis… Nous écrivons nos conditions. Séances habituelles de dentiste : six y restent jusqu’å 10 h 30, et les autres attendent leur tour. La T.S.F. a été réparée (mal !) ä Aubusson ; elle attendra un peu pour être remise en service, car la tenue ä l’Office n’a pas été satisfaisante. Et, quand on va la remettre, elle ne consentira qu’å donner qu’un poste ! Heureusement, c’est Radio-Paris, qui satisfait son auditoire par de la musique å peu pros continuelle. Il tiendra de la sorte quelques mois, car les réparations sont difficiles.

Le 17 mai

 Violent orage de grêle, qui dure deux heures. Il n’empêche pas des travaux de jardin par équipes. La plupart des enfants ne s’intéresse qu’å leur propre lopin de terre, et fait de très mauvaise grâce les travaux généraux, arrachage de mauvaises herbes, arrosages (sauf quand cela permet un coucher plus tardif). La Direction profite des « facilités » nouvelles pour envoyer aux parents des cartes, donnant des nouvelles de leurs enfants. Sur la demande des enfants elles-mêmes, le Cours Supérieur de l’école est supprimé ; elles n’y font plus rien : Mlle Goumy, qui fait la classe en théorie, s’en désintéresse complétement, prenant sa retraite en fin d’année, et étant submergée par ses fonctions de secrétaire de mairie. Les enfants demandent å travailler å la maison avec M. Marchal ; Mlle Goumy, avisée, se montre indifférente. De Clermont, nous recevons un sac de chaussures réparées : cela ne va pas vite, et la question chaussures devient de plus en plus angoissante ; l’achat est difficile, et la réparation å peu pros impossible. On pense des chaussures de bois pour l’été ; et la plupart des enfants n’a que la paire de pantoufles, espadrilles ou chaussures qu’elles ont aux pieds du lever au coucher. Les pommes de terre commencent manquer : il faut courir la campagne pour avoir une centaine de kilos. L’allocation de réfugiés nous est encore accordée par la préfecture, après révision.

 Le 18 mai

Orageux ; on défriche le jardin, pour enlever ronces et orties ?

 Le 19 mai

Cafouillage complet, chez les fournisseurs, avec les tickets ; nous y gagnons d’avoir 350 gr de graisse par personne au lieu de 50 pour le mois, les uns prenant les tickets de 50 gr, les autres ceux de 10, de 5. Nous cherchons du personnel, notamment pour remplacer Mme Germain, Mlle Lachéze ; nous voudrions une cheftaine éclaireuse qui s’occuperait en même temps de la section. Nous nous adressons de tous côtes, et ferons notamment une annonce dans les journaux et circulaires E. I. La section d’éclaireuse n’a qu’une très vague activité, faute de chef.

Le 20 mai

 Nous recevons de Clermont l’avis que les examens du C.A.P. commencent le 28. Téléphonage affolé de la Direction, car c’est court comme délai. L’examen est remis å quinzaine, car nous ne sommes sans doute pas les seuls réclamants. Vaccinations, l’école : Il des nôtres sont piquées contre la variole, 7 contre la diphtérie. Aucun incident. M. Aron fait 18 km å travers la campagne pour obtenir 120 kg de pommes de terre.

Le 21 mai

Le Rabbin Klein nous annonce ses fiançailles.

Le 23 mai

 Encore une foire peu extraordinaire, bien qu’il y ait 7 éventaires ; quelques achats de mercerie. Départ de Mme Minc ; Mme Serriére la remplace auprès des petites qui feront moins de haute philosophie, mais plus de mouvements et de sorties. Séance de dentiste jusqu’å 22 h 30. On peut maintenant écrire entre les zones des cartes postales ordinaires, sans limitation de lignes : de plus en plus superbe ! Le malheur, c’est que ces cartes n’arrivent guerre plus fréquemment que les autres ; en moyenne, une sur trois ou quatre finit par arriver au destinataire ; et cela nous cause de grosses dépenses sur ce Chapitre, car on ne peut refuser aux enfants les cartes qu’elles implorent pour leur famille qui se plaint de ne rien recevoir. Le printemps oublie de venir ; le temps reste constamment froid et humide. L’état sanitaire n’en est pas moins bon.

Le 24 mai

Visite tres rapide de M. Kohn qui, comme chaque fois, se régale de notre beurre et de notre fromage : c’est bien au tour du Refuge de le régaler ! A l’occasion de la fête des Méres, nous aurons 5 kg de légumes secs : rare aubaine. Encore quelques pommes de terre : cela économise les pâtes, qu’on prend parfois deux fois par jour. Et le froid persiste : le thermomètre marque 20, il pleut peu pros chaque jour. Quel cadeau allons-nous faire M. Klein ? Ce sera un tapis en laine, fait par nous.

Le 25 mai

 La Croix-Rouge américaine ayant envoyé un bateau de farine en France, toute la zone libre a le pain gratuit aujourd’hui et les deux dimanches suivants ; c’est assez ridicule, car cela ne présente aucun intérêt pour les gens aisés. La T.S.F. est réinstallée.

Le 26 mai

Toujours le même temps. Visite de l’architecte de la maison, toujours pour le projet de cession å Ia gendarmerie. Bien que ce projet ne nous sourit pase nous ne bougeons pas.

Le 27 mai

Toujours 20… vent, pluie… Nous pouvons encore avoir 300 kg de pâtes et 20 kg de semoule, sans carte, toujours par crainte de vérification des stocks chez les épiciers. Avec la consommation actuelle, c’est agréable. Nous repiquons au jardin 200 choux, qui donneront assez bien. Il semble bien que l’åge d’or pour la viande se termine, et que nous n’en aurons plus longtemps tous les jours.

Le 29 mai

Mme Kohn nous envoie une remorque qui nous sera fort utile, surtout pour chercher le lait : elle réduira l’équipe å 3 au lieu de 6. Les enfants envoient force colis leurs parents, avec les mandats envoyés par ceux-ci. Six partent ce jour, avec pates, pâtés, biscuits, fromage, pain grillé abandonné par les filles pour leur maman, etc. Presque tout cela est interdit comme expédition, mais cela arrive quand même. Le plus compliqué, ce sont les emballages, car papier et surtout ficelle manquent de plus en plus.

 Le 30 mai

Toujours le même temps ! Cette fois, la séance de dentiste dure jusqu’å 23 h 15 ! Mme Serriére y reste jusqu’à 9 h, puis M. Aron la remplace ; et il y a, chaque fois, trois ou quatre des plus petites qui trainent ainsi jusqu’å 10 h 30e S’énervant pendant des heures dans le salle d’attente. Quant au dentiste, il est remarquable de patience et de douceur, malgré ces journées exténuantes. Il rentre chez lui, å 25 km de Crocq, vers 1 h du matin pour diner. La remorque est garnie intérieurement de planCher.

Le 31 mai

zzzzzzzz

Office de Chavouoth, lecture de sermons du grand rabbin Haguenau. Au déjeuner, Mme Aron fait une crème au chocolat qui finira par être considérée comme rituelle les jours de fête ! Nous recevons un nouveau stock de cahiers pour faire face aux besoins de l’année. Et, merveille, nous avons enfin la note du pharmacien Ortholan, que nous lui réclamions depuis novembre ; elle remonte å février 1940 ; et il ne se décidait pas ä la faire, parce que nous continuions å faire des achats… On annonce que la distribution du chocolat va reprendre ; elle était interrompue depuis plusieurs mois, mais, chez nous, les enfants ne s’en apercevaient guerre, car nous avions des provisions : il nous en reste encore plus de 30 kg. Cela va être compliqué, car une partie seulement de la catégorie A des cartes d’alimentation y a droit (au-dessous de 21 ans), et ordres et contre-ordres vont se suivre sur les tickets spéciaux ou non utiliser.

Le 1ier  juin

Lecture d’un message du Rabbin Klein å l’occasion de la fête. Sorties, peu agréables car il fait orageux Des enfants profitent de ces sorties pour faire quelque pillage de desserts dans la réserve de la Direction Comme festin, une timbale plus ou moins milanaise, car les éléments sont rares ; un peu de ris et de foie donne quelque illusion, comme accompagnement des éternelles pates.

Le 2 juin

 Les 3 jeunes voleuses, qui veulent recommencer leur coup de la veille, se font pincer. Elles sont tondues ! On termine les festins par une tarte å la rhubarbe.

Le 3 juin

Nombreux mandats de parents, surtout pour se faire envoyer des colis d’approvisionnement. Mais cela va devenir de plus en plus difficile. Les grandes classes de l’école sont libres, les maitres faisant passer des certificats dans une commune voisine.

Le 4 juin

Crocq commence å sentir les restrictions : plus de latitude sur le pain, donné strictement selon les tickets. Et pas de viande chez les bouchers, qui, n’ayant plus le droit d’acheter et de tuer, attendent des bons de ravitaillement. Nous y trouvons pourtant du pâté. Les enfants sont mises au courant de ces difficultés, que la plupart ne comprend pas. Elles S’aperçoivent de la diminution du pain ; mais nous avons assez de réserves et de produits de remplacement, notamment confitures, fromage, biscuits, pour que personne n’ait faim ! Pour éviter toute tentation, l’entrée de l’office est interdite : on passera les mets par le guichet. Par quelque ironie, en fait de restrictions, nous recevons de la Préfecture un bon de charbon supplémentaire… pour l’hiver 1940-41 ! Nous l’acceptons cependant avec joie pour l’hiver suivant. L’école continue å donner un peu de pain aux enfants pour le goûter ; mais nous devons compléter chaque jour, tant c’est insuffisant. Nous achetons encore quelques clous, les derniers de Crocq.

 Le 5 juin

M. Simon, pore d’une de nos anciennes élèves, en camp de concentration parce qu’allemand, arrive pour passer chez nous sa permission annuelle ; il ne peut rejoindre sa famille en zone occupée, et n’a ni amis avec qui aller, ni moyens d’être å l’hôtel. Nous l’avons invité ; il couche dans la pièce du grenier, prend ses repas avec nous. (C’est un ancien éditeur, Docteur en Droit). Les enfants se dépêchent d’envoyer des paquets å Paris, tant qu’elles peuvent acheter. Les bouchers ont recu leurs bons, et vendront encore, pour la semaine, la viande å volonté.

Le 6 juin

En raison de son état de santé, Mme Nissim part pour Paris par ses propres moyens. Séance de dentiste jusqu’å 23 h pour 4 petites, jusqu’å 23 h 30 pour 4 grandes : cela devient dur. A l’office, prière pour Mme Veinstein, sur la demande de ses anciennes élèves. M. Simon s’occupe au jardin

 Le 7 juin

Mme Aron et les 3 candidates au C.A.P. sténodactylo partent pour Clermont. Travaux de jardin ; fuite d’eau dans la canalisation extérieure, en état lamentable ; inondation de la cave… et cela arrive souvent.

Le 8 juin

 M. Pulver, chef éclaireur israélite, Vient rechercher dans la région un endroit de camp de chefs (M. Klein a vanté la région). Il en trouve un possible å 3 km mais les circonstances feront que ce camp n’aura pas lieu. Il nous apprend, å notre grand étonnement, que notre essai de section d’éclaireuses est connu du Mouvement E. I. qui, peut-être, nous aidera d’abord de circulaires, puis si possible de cheftaine. Il fait, avant de partir, une rapide réunion de la section, avec chants. Notre jardin donne de l’espoir, et c’est heureux vu le prix des primeurs (salade å 3 F, pois å 7 F) A Clermont, examens du C.A.P. ; les candidates logent å l’Ecole, ont des épreuves relativement faciles.

Le 9 juin

Giboulées ; on bouche la fuite d’eau. On doit commencer å utiliser les tickets de viande, mais il y a encore des arrangements, et nous avons å notre suffisance.

Le 10 juin

 Retour de Mme Aron et des candidates, assez satisfaites. Mme Aron a rencontré å Vichy Madame Leven, avec qui elle a étudié les questions angoissantes, notamment les finances (on voudrait vendre des titres, mais comment ? ) On limite l’argent dont peuvent disposer les enfants, å qui certains parents envoient exagérément. Elle voit également M. Klein, qui aidera å rechercher du personnel scout.

Le 11 juin

Temps humide, on est dans le nuage. M. Aron va avec M. Simon dans un hameau å quelques kilomètres, où on a signalé des pommes de terre ; nous en trouvons 150 kg. De Lyon, nous recevons quelque mercerie, ainsi que des aiguilles, dont on manque énormément å l’atelier, par suite de la négligence des enfants.

Le 13 juin

 Une candidate au Brevet d’Aptitude Professionnelle de Sténodactylo, dont l’examen est un peu décalé par rapport aux autres, part coucher å Létrade, d’où elle prendra le car pour Clermont. Le dentiste bat tous ses records, deux de nos petites et trois grandes restent chez lui jusqu’å 11 h 40 du soir ! Par concurrence entre les bouchers, nous aurons encore de la viande sans tickets pendant quelques jours !

Le 14 juin

 M. Simon nous quitte, rentrant å son camp ; son séjour parmi nous lia bien remonter, quoique non favorisé par le temps ; il a eu une impression de famille. Travaux de jardin. Nous apprenons l’aggravation du Statut des Juifs : fonctionnaires, médecins, etc., limités ; å faire prochainement… déclaration Toutes cartes postales sont admises pour la zone occupée, sans limitation des lignes ; nous en recevons, et pouvons écrire assez librement ; quand ce qu’elles arrivent, c’est une autre affaire !

Le 15 juin

En raison du peu de zélé des travailleuses, il y a atelier matin et après-midi ; quelques travaux de jardin ; on trace des sentiers dans le bois assez impraticable, en prévision de l’été. Une nouvelle course aux environs nous rapporte 200 kg de pommes de terre, et des œufs. Les colis aux parents deviennent de plus en plus difficiles.

Le 17 juin

Mort de M. Leven, qui était malade depuis quelque temps ; outre le chagrin de notre chère Présidente, c’est un grand ami et un grand protecteur du Refuge qui disparait. Pour la première fois, le Prêt d ‘Honneur créé grâce å la libéralité de Mme Halphen est utilisé en faveur de notre candidate au B.A.P ; elle est restée å Clermont, cherchant une place qu’elle obtient rapidement. C ‘est une jeune fille méritante et travailleuse, abandonnée par sa famille ; il faut l’aider å démarrer, donc bon début pour ce Prêt d’Honneur.

Le 18 juin

Avec bien du retard sur les autres villes, il faut nous résoudre å n’avoir la viande qu’avec tickets ; et, pour juin, nous n’en aurons que tous les deux jours (combien de gens en France voudraient en dire autant !) ; du reste, les bouchers « arrondiront » les tickets. Heureusement, il y a beaucoup de beurre et d’œufs ce qui, les jours sans viande, permettra de n’être pas gênés : on prévoit des œufs trois fois par semaine, sous toutes les formes. Par contre, les pommes de terre diminuent.

 Le 19 juin

 Jeudi très chaud ; avec 25 enfants, M. Aron renouvelle le pique-nique du château de Leyris, entre 17 h 30 et minuit ; y participent les bonnes et la classe du Certificat d’Etudes, laquelle il faut donner un délassement avant l’examen. Excursion très réussie. Nous obtenons un fromage de Cantal entier (30 kg) sans tickets. Ce n’est pas encore maintenant que nos filles crieront famine mais il faut se remuer pour arriver a ce résultat, et il faut tout surveiller, le père Ménaché, dans sa paresse, laissant tout moisir.

Le 20 juin

Premier Jour sans viande ; en compensation, le jardin nous offre ses premiers radis. Préparatifs du Certificat d’Etudes ; il n” a pas école, en raison du passage du Maréchal Pétain å Aubusson (nous ne dérangeons pas pour lui). Le dentiste ne garde nos 7 clientes que jusqu’å 11 heures du soir ; c’est presque tôt !

Le 21 juin

Il fait très chaud ; 14 de nos écolières et 2 de la Maison y sont présentées ; 13 sont reçues, dont la seconde du canton ; beau résultat, auquel Mme Crémieu a une bonne part. Avoir le C-E.P. n’est plus, comme autrefois au Refuge, une exception. Pendant l’examen, commencé 7 h 30, nous rafraichissons les candidates avec des tomates, seul « fruit » trouvé en Ville. Travaux de jardin, repiquage de 1000 poireaux, grands arrosages effectués volontiers par la chaleur ; coucher 10 h, car les enfants souffrent de la chaleur dans les dortoirs.

Le 22 juin

 Réjouissances pour le Certificat d’Etudes : des cadeaux pour les reques ; et un goûter sensationnel (tout est relatif !) en des jours oil on ne trouve pas grand-chose chez les commerçants : biscuits, pâtes de fruits, bonbons ; comme boisson. De la liqueur de menthe très allongée. 2 litres pour 100. Toutes sont enchantées d’un pareil régal. Chants… Par temps très chaud, on continue les travaux de jardinage. Les œufs commencent manquer.

Le 23 juin

Pluie, n’etnpéchant pas les travaux de jardin. La classe du Certificat d’Etudes a congé.

 Le 24 juin

Nous récoltons nos premiers épinards, peu appréciés, par idée, par les enfants. M. Aron termine un sentier permettant de circuler å l’ombre dans notre bois. Aurons-nous assez de viande en juillet ? Nous écrivons au Préfet pour qu’il nous assure un minimum que nous aurons sans son intervention.

Le 26 juin

Foire théorique : un bazar, minable et de plus en plus cher ; pas d’animaux, puisque la vente n’en est plus libre ; donc, ni acheteurs ni vendeurs. Nous envoyons au Rabbin Klein une belle lettre avec dessin, pour son mariage. Ayant demandé partout des œufs, il nous en arrive 70 douzaines ; nous sommes, et serons bien heureux de les avoir, car cet afflux n’est pas près de se reproduire. Notre candidate au B.AP échoue, mais se trouve une place Clermont.

 Le 27 juin

Apprenant ce jour seulement la mort de M. Leven, la maison prend le deuil pendant deux jours ; une prière est dite l’office ; on supprime T.S.F., chants, danses, préparation de fêtes. Toutes sont vraiment atterrées, ayant beaucoup d’affection pour le disparu. On prépare les papiers pour de nouvelles cartes d’alimentation qui doivent être mises en circulation dans quelques mois. Et on accorde un supplément de sucre pour la confiture : 70 kg pour nous.

Le 29 juin

Vérification et reprise des lainages et du linge individuel d’hiver, trop précieux pour qu’on les laisse se détériorer dans les affaires des enfants.

 Le 30 juin

 Lavage des lainages et du linge repris la veille : c’est une occupation importante pour beaucoup. Puis, dans les vieilles nippes du grenier, on recherche tous vieux linges et vieux vétements en vue de leur échange éventuel contre des neufs, selon prescriptions de la carte de vétements. Un jardinier Vient entretenir et nettoyer le jardin : M. Aron, qui le faisait jusqu’alors, n’a plus assez de temps ; et M. Ménaché est trop paresseux pour s’en charger. Ce jardinier viendra du reste exceptionnellement. En juin, avec le début de légumes et fruits frais, le ravitaillement est plus aisé. Nous avons du beurre en quantité, sans tickets, ainsi que des oeufs.

QUELQUES PRIX DE JUIN

: Pain . Röti de veau……,…………….. Lait …………………………….. Beurre …………………………………….. Påtes ……………,………………………. 8 25 Fromage St Nectaire … 26 Fromage Cantal Huile d’arachide …………….. . Sucre …………………. … …. Cerises, péches …………… ….. Sac jute consigné …….. Boite de biscuits consignée . Grands ciseaux .

24,50 1,50 . 14 34 23 .15 7,30 18 12 22 le litre la douzaine lekg le kg

Le 1 er juillet.

Création d’une nouvelle catégorie dans les cartes d’alimentation, J 3, pour les enfants au-dessus de 13 ans, jusqu’å 20 ans. C’est intéressant pour nous, car la ration de pain est de 350 gr au lieu de 275. Elle n’a pas droit au lait non écrémé, mais, ici, cela ne nous géne guere : nous avons droit å 9 litres, et en avons entre 25 et 30 chaque jour.

 Le 2 juillet

Qu’allons-nous manger : nous avons droit, paraitil, 570 g de viande par mois. Heureusement, il y a de grosses réserves de conserves, qui attendent depuis un an la cave. Pour aujourd’hui, Mme Aron fait des quiches très appréciées, grâce å la crome du lait. L’atelier travaille å force pour les toilettes d’un mariage proche, ou nous habillons la majeure partie de la noce : excellent exercice pour nos couturières, sur les dents depuis deux mois. Nombreux ennuis avec les pneus de la remorque, très mauvais ; mais il est presque impossible de remplacer un pneu… A la cave, la paresse de M. Ménaché laisse envahir nos fromages par les vers : ce n’est pas le moment !

Le 4 juillet

 Un épicier liquide de nouveaux stocks : cela nous procure 430 kg de pâtes, appréciables car notre provision diminue, notre consommation étant journalière. Et nous achetons 250 savonnettes sans tickets ; mais ce n ‘est pas une bonne affaire, car c’est une sorte de savon Ininéral très mauvais.

Le 5 juillet

Célébration du mariage pour lequel nous avons travaillé ; les couturières y assistent, naturellement : c’est un grand succès pour elles. Il fait très chaud ; les écolières vont patauger dans la Tardes après l’école.

 Le 6 juillet

 Goûter offert par les mariés ; comme ce sont les couturières qui sont chargées de le préparer, c’est bâclé, bien qu’aussi « somptueux » qu’å l’ordinaire : pâtes de fruits, biscuits, bonbons, abricots, liqueur étendue. Il fait chaud, le lait tourne, et le condensé diminue. Les écolières retournent å la Tardes. Contre-ordre : la ration de viande est doublée comme les mois précédents : cela va mieux.

Le 7 juillet

Le départ d’une fille réduit leur nombre å 79 présentes, chiffre très bas pour nous. Le lait tourne encore… on ira le chercher å 6 h du matin : å cette époque, ce n’est pas terrible. Les éclaireuses travaillent å une installation dans le bois ; avec leur peu de persévérance, cela ne dure pas longtemps, et le rond est interrompu å peine ébauché.

 Le 8 juillet

Très chaud : 30 å 400, lourd. La Tardes est de nouveau appréciée. Aux endroits les plus profonds, les enfants ont de l’eau å mi-cuisse, donc aucun danger. Pour ménager les robes, on improvise des calegons de bain avec une serviette. Arrivée d’une nouvelle : ici, c’est un événement ! Jour sans viande, peu de pommes de terre : nous n’hésitons pas å en acheter 200 kg pour 700 F. Le grand rabbin Liber, Directeur de l’Ecole Rabbinique, annonce sa venue prochaine : première manifestation spontanée du rabbinat depuis notre arrivée. Nous l’accueillerons avec joie !

Le 10 juillet

 Un capitaine de gendarmerie vient prendre le plan détaillé de la maison : espérons que cela ne servira pas. Commande de bois de chauffage pour l’hiver : autant que l’an dernier. C’est toujours notre propriétaire qui nous le fournira.

Le 11 juillet

Une pluie, le soir, est bien accueillie : elle atténue la chaleur et évite des arrosages fatigants et longs. On trouve chez l’épicier un peu de flocons d’avoine ; mais, faute de pommes de terre, on fait des pâtes deux fois par jour. Nous recevons les feuilles de « Recensement des activités professionnelles » Il s’agit en réalité d’une mesure antisémite, véritable inquisition sur les familles et les adultes israélites.

Le 12 juillet

 Grosses pluies d’orage ; les écolières, prises en sortie après la classe par une de ces pluies, rentrent complétement trempées ; ce n’est pas grave. Le petit déjeuner est très retardé chaque jour par l’arrivée tardive des porteuses.

 Le 13 juillet

Nous sommes relativement au large å la suite des départs ; nous supprimons, tout au moins pour la période chaude, le dortoir des toutes petites au rez-de-chaussée, peu aéré et sombre ; les occupantes prennent le 70 dortoir ; en même temps, les dortoirs 6 et 8 sont affectés aux moyennes qui n‘ont rien gagner avec les grandes. On est 9 dans les grands dortoirs, 6 dans les petits. Une prime de 20 francs, envoyée par Mme Kohn aux lauréates du Certificat d’Etudes, est fort bien accueillie. Il n’y a plus de pommes de terre, et le jardin ne fournit guerre encore.

Le 14 juillet

Ce fut la fête Nationale de la République… cette année, on n’a pas osé la supprimer : fête de Jadis, presque honteuse en ville ! Chez nous, nombreux achats le matin : les lauréates sont riches ! Et les parents envoient pas mal d’argent å leur fille, en partie pour en recevoir des victuailles. L’après-midi, jeux de société pour marquer tout de même le jour de fête.

 Le 15 juillet

Un télégramme de Shanghai nous prescrit de conduire d’urgence å Marseille une de nos filles qui doit rejoindre sa famille : famille insupportable, qui harcèle le monde entier d’ordres et contre-ordres. On demande le laissez-passer. Plantation au jardin de 1200 nouveaux poireaux.

Le 16 juillet

Encore une visite de la gendarmerie pour l’état des lieux de l’immeuble. La Direction lance un cri d’alarme au Préfet, ne pouvant trouver logement ailleurs, ni assurer le moindre déménagement faute de transports. Le propriétaire ne nous a encore avisé de rien. Foire, qui doit être Ja plus importante de l’année : il y a deux éventaires… ni marchandise, ni transports. Nous arrivons å y trouver quelque mercerie dont nous sommes de plus en plus démunis, des lacets, des barrettes. Il n’y a pas un œuf, pas de beurre : on a trop peur des contrôleurs qui viennent toujours cette occasion et verbalisent tour de bras. On attendra å demain pour frauder !

 Le 17 juillet

Nous remettons les feuilles de Recensement des activités professionnelles » , accompagnées d’une protestation de la Direction qui déclare n’être pas en mesure de répondre au questionnaire La Direction veut surtout ne pas se mettre en contradiction avec les parents dont elle ignore les déclarations officielles. Madame Aron part ä Marseille avec l’enfant en partance pour Shanghai. Elle croise en gare de Létrade Mme de Beauverger, qui semble certaine de louer aux gendarmes : où et comment trouverions-nous un autre asile ?

 Le 18 juillet

 Cette fois, c’est le cadastre qui vient compter les pièces « habitables ». Pure formalité : on note le cube, sans s’inquiéter du nombre d’habitants ! Nous recevons les feuilles de Déclaration des Juifs autre mesure d’exception et d’inquisition. Achat de pois et carottes, notre jardin n’en produisant pas encore suffisamment. A Marseille, Mme Aron apprend qu’il n’est pas question de départ prochain pour l’enfant qu’il faut ramener å Crocq !!!

Le 19 juillet

 Mme Aron rencontre Mme Kohn Marseille. Sorties d’éclaireuses, surtout pour chercher des fraises. Préparation de la Grande fête qui va avoir lieu pour les Prisonniers de guerre de Crocq, et laquelle nos filles participent en presque totalité. Le tapis de M. Klein prend tournure.

Le 21 juillet

Il est si long de chercher le lait de bon matin qu’on ne peut prendre le petit déjeuner qu’å 9 h 15… et l’école commence, en théorie, å 9 h. Heureusement en l’occurrence, même en partant de la maison å 9 h 30, les écolières arrivent en avance, tant l’horaire est fantaisiste. L’après-midi, l’école ne fait que de préparer la fête. Rare aubaine, nous avons 14 douzaines d’œufs. Nous recevons de Paris un registre de comptabilité, portant sur l’emballage l’autorisation allemande d’envoi : cela fait triste effet. Mme Aron va chez Mme Kohn å Bandol ; achats de lingerie, chaussures.

 Le 22 juillet

 Les souris ne respectent rien : on en trouve jusque dans les caisses de pates. Chats et virus Pasteur ne font rien, tant il en vient de la ferme, et tant les murs sont abimés. Les dégâts atteignent surtout les couvertures et un peu les vivres. Mme Aron fait des achats å Marseille… chaussures, mercerie.

Le 23 juillet

 La maison est agitée : on attend le grand rabbin Liber, et on prépare la fête pour les prisonniers. Une carte de M. Goumain annonce qu’il a pu faire l’inventaire de la maison de Neuilly, mais ne donne aucun détail.

 Le 24 juillet

 Visite, malheureusement très rapide, du grand rabbin Liber. M. Aron le cherche å Létrade ; réunion des grandes, pour une causerie sur l’état actuel des Juifs. Déjeuner en commun, au réfectoire ; le Tout-Crocq israélite est ä la table d’Honneur, Mme Dalsace, Mlle Haguenau, Mme Gompertz, M. Crémieu. Puis réunion des plus jeunes, puis, une occasion se présentant sous la forme d’un taxi qui rentre å Montluçon, M. Liber nous quitte vers 2 h. Il semble assez satisfait de sa visite, qu’il renouvellera, étant chargé du département. Il propose, å notre grande satisfaction, de nous envoyer pendant les vacances l’un de ses élèves, Samy Stourdzé, pour l’instruction religieuse. Il parle de l’entrée éventuelle chez nous d ‘enfants provenant de camps des Pyrénées Orientales, et qui y sont dans des conditions lamentables. Et il emporte quelques provisions de notre trou si privilégié par rapport aux grandes villes : des pâtes, du fromages, introuvables å Clermont.

 Le 26 juillet

Mme Aron quitte Marseille pour Lyon ; I’enfant qui l’accompagnait rentre å Montluçon, ou une de nos grandes l’attend pour la ramener. A Crocq, dernières répétitions fiévreuses, d’autant plus qu’il fait très lourd. Les enfants sont très énervées, et se tiennent assez mal. Bains le soir, pour être propres demain ! Première représentation, en soirée, pour les prisonniers de guerre de Crocq ; une bonne moitié du programme est faite par nous, tant parmi les écolières que parmi les grandes, qui se sont infiltrées partout, malgré le désir de la direction. Celle-ci ne s’y laissera plus prendre ! Toute la journée se passe en répétitions et en installation. Puis habillage, et représentation qui traine jusqu’å 1 h du matin ; assez réussi. Les enfants se calme… en rêvant å la prochaine fête å JaquelJe now ne participerons certainement pas !

Le 29 juillet

Retour de Mme Aron. Le lait est apporté très tard : on déjeune å 9 h 40 ; cela ne gène guerre, car l’école est facultative, entre couchent å 2 h A peu pros toutes y ont assisté. A Lyon, Mme Aron fait des démarches, des courses, engage Mme Teitelbaum comme Surveillante.

Le 27 juillet

Seconde représentation, en matinée, dans les mêmes conditions que la veille. Les grandes se croient des artistes consommées. Enervement général ; lever å 9 h 30 ; sauf une dizaine, toutes retournent au Visite du Chef du ravitaillement de I’O.S.E., qui vient voir la maison en cas d’envoi d’enfants en colonie de vacances, comme il a été question. Il n’y aura aucune suite, raison frais de voyage.

 Le 28 juillet

 Dans tout Crocq, journée de lendemain de fête ; les écolières ne font que ranger, rapporter les objets empruntés. A la maison, on se repose et on se la fête et les vacances. Le ravitaillement en légumes est assez difficile : nous n’hésitons pas å acheter 400 kg de pommes de terre å 300 F les 100 kg ; et encore, nous les avons en fraude, car il est interdit de les arracher. Nous achetons aussi pois et carottes, en attendant que notre jardin en donne. Heureusement, notre provision de pâtes nous permet d’attendre que le jardin produise bien. (œufs et beurre sont å peu pros introuvables, les paysans n’osent pas vendre, et le ramasseur fait du marché noir, revendant tout å Paris å raison de 4 å 5 F l’œuf acheté 1 F.

Le 30 juillet

Le matin, on traine å l’école, et on n’y va pas après-midi. Verrons-nous arriver le dernier sac de chaussures de Clermont ? Faute de matières premières, le cordonnier a interrompu son travail ! Attendons… Nous envoyons les déclarations individuelles concernant le personnel et la direction ; M. Aron refuse d’envoyer celles des enfants. Il semble du reste que ce qui intéresse surtout le gouvernement, c’est la « déclaration de biens », point sur lequel il n’y a guerre å dire pour nos filles !

Le 31 juillet

Voici les grandes vacances commencées : quoi les occuperons-nous ? Pas de chaussures pour faire des promenades un peu longues ; pas de papier, de ficelle, de fil, d’épingles et d’aiguilles, pas de matériel pour des concours divers ; pas de ravitaillement pour des pique-niques ; peu de jeux et de jouets, introuvables : la vente des ballons est interdite. Et pas de cheftaine en vue pour les éclaireuses.

 Le 1er aout

 Heureusement, les travaux de jardin occupent un ‘P peu, å condition qu’ils soient déclarés obligatoires : car les grandes, de plus en plus inertes, n’y vont que sur ord1V savoir si cela nous permettra de manger notre fairn ne Ies intéresse pas. Les moyennes sont plus actives. Outte ces travaux. la moitié des enfants sort, par groupes. Nous faisons faire des échantillons de semelles de bois, pour remplacer le cuir : résultat précaire, car l’attache est peu solide, déchets de cuir, raphia. Et il y a peu de clous…

Le 2 aout

 Violent orage, qui inonde les petites en promenade : c’est anodin en cette saison. On recommence å chercher le lait plus tard : en vacances, C’est moins gênant. Lecture aux grandes (Le Monde où l’on s’ennuie) et jeux de société aux moyennes et petites, occupent l’après-midi. On travaille au tapis de M. Klein.

Le 3 août

Premier dimanche sans courrier D.

Le 5 aout

Temps pluvieux : nettoyages des casiers et de la maison. Le Directeur du service de la Démographie nous demande l’état civil des parents des filles : nous répondons comme lors de l’envoi de la déclaration : nous ignorons cet état civil ! Le grand rabbin Liber nous confirme que, d’accord avec Madame Leven, il va nous envoyer M. Stourdzé pour l’instruction religieuse pendant les vacances. Ce sera parfait ! Nous pavons les primes d’assurances accidents : pour la première année, ces primes ont été largement récupérées par les deux accidents Schwarzstein et Zaguedoun.

Le 6 aoüt

Arrivée de M. Stourd7k1 f 3), jeune rabbin qui termine ses études : tres calé, naturellement, en religion ; de plus, sportif, entraineur et bon chanteur. Ies filles l’accueillent avec enthousiasme. Des son arrivée, il s’occupe des deux groupes qui préparent J’initiation. Organisation de la venue de l’oto-rhino pour les végétations et amygdales. Achat de 300 kg de pommes de terre å 310 F. Il le faut bien !!!

Le 7 aout

 Il pleut sans arrêt, mais qu’importe, grâce å M. Stourdzé qui s’occupe des enfants sans arrêt aussi : cours, jeux. Réponse évasive du Préfet au sujet de l’immeuble… Il faut ménager le Directeur du Protocole !

 Le 8 aout

Joie ! Nous trouvons 100 œufs, 15,25 la douzaine. Par contre, pour augmenter notre quantité de fromage, nous achetons å peu pros chaque jour 1 kg, sans carte, sous prétexte d’envois å Paris ! Le temps des gruyères entiers est passé ! Nous apprenons, par le journal comme d ‘habitude, le succès de nos trois candidates au C.A.P. Par contre, celle au B.A.P est refusée, ce qui est pas étonnant, car elle n’a pas eu le temps de préparer son examen. Le soir, office « sérieux » avec M. Stourdzé : le premier depuis longtemps. Puis causerie du soir, qui aura lieu chaque sabbat durant les vacances. Les grandes restent jusqu’å 10 h å écouter M. Stourdzé, mais sans prendre part active å la causerie : toujours leur inactivité : elles consentent å écouter, sans plus.

Le 9 aout

Deux réunions d’Oneg shabbath, très goûtées de toutes. Grand goûter en l’honneur des C.A.P., puis présentation d’un concours de repas artificiel D. Il s’agissait de présenter un repas bien appétissant, en bois, papier ou autres matières. Deux groupes seulement participent, et réussissent fort bien : gâteaux en terre réellement cuite, bonbons en pierres, chocolat très ressemblant en carton, pâtes en copeaux, pain en bois, etc. Les deux groupes, comme récompense, recoivent leur repas en « vrai ». Pour le goûter, nous sommes arrivés å réunir biscuits, bonbons, liqueur étendue en guise de sirop, pain d’épices ! C’est somptueux.

Le 10 aout

 Goûter d’adieu de Mme Germain (crome au chocolat, biscuits, bonbons, liqueur-sirop), et petite représentation, chant d’adieu, larmes… Le soir, un cirque est å Crocq : la presque totalité du Refuge va å cette distraction sensationnelle ; les enfants rentrent enthousiasmées ; il n’y a _pas de quoi. Mais, avec restrictions et interdictions, acrobates et animaux ont du mérite.

Le 11 aout Mme Germain et Mlle Lachéze, qui depuis des mois attendaient leur départ régulier, se décident å partir par leurs propres moyens. Nous les regretterons, surtout Mme Germain, professeur de premier ordre, adorée de toutes tant par son savoir que par son égalité d’humeur et sa compréhension. Nous nous promettons de la retrouver å Paris. Mais quand ? Et l’atelier va perdre pour pas mal de temps sa renommée et sa clientèle extérieure. Aucune remplaçante n’est en vue : Mia fera l’intérim.

 Le 12 aout

 Catastrophe ! Nous apprenons la suppression de notre allocation de réfugiés ; c’est une amabilité préfectorale de plus. C’est pros du tiers de nos recettes qui part, et qu’il faut essayer de rattraper ! En raison des difficultés de ravitaillement grandissantes, nous demandons des rations supplémentaires, å titre d’école, å L’inspecteur d’Académie. Et nous confirmons au Préfet l’impossibilité de trouver éventuellement un autre gite. Le 13 aout Pauline Ménaché-Tiano annonce son départ, attendu ; elle rejoint son mari (et attend un enfant). Le personnel fond !

Le 14 aoüt

M. Stourdzé, å son tour, exprime son mécontentement de la conduite et de la tenue des grandes. Madame Leven fait part des difficultés financières : fonds bloqués, difficulté de vendre des titres : cela tombe mal, avec la suppression de l’allocation. Achat de chaussures en bois légères.

Le 15 aout

 Office, avec grande participation des enfants : c’est une bonne innovation de M, Stourdzé. L’inspecteur d’Académie nous envoie des bons d’alimentation (et nous les continuera chaque mois, sur demande réitérée de notre part) : 75 kg de viande, 20 kg de corps gras, 25 kg de sucre, 5() boites de sardines, 25 kg de légumes secs (sensationnel !), 20 kg de pâtes, 20 kg de fromage, 155 kg de pain. C’est vraiment un appoint tres sérieux, qui va bien nous aider. Arrivée de Mme Teitelbaum, surveillante.

Le 16 aoüt

DOS le début, difficultés avec Mme Teitelbaum, qui est d’une piété intransigeante trouvée exagérée par M. Stourdzé lui-même ! D’après elle, tout doit se faire selon les rites, sans tenir compte de la guerre. M. Stourdzé organise des sorties avec trois groupes successifs. Et on prépare un concours de parures. Nous écrivons å M. le Beauverger, qui est å peu pros le seul å ne pas nous parler de la location de son immeuble, pour l’inviter å préciser ses intentions.

 Le 17 aout

 Beau dimanche, sorties nombreuses. Les garçons sont très provocants. On continue å préparer le concours.

Le 18 aout

 Arrivée de Mlle Schwob, surveillante Infirmière. Nous avons maintenant, pour la première fois depuis bien longtemps, un personnel uniquement israélite. Toujours les bruits de location des Granges… Nous trouvons quelques œufs å 17 F la douzaine.

Le 19 aout

 Une fois de plus, le Préfet élude la réponse pour notre départ possible, Entre des juifs et le Directeur du Protocole, la partie n’est pas égale ! M. Stourdzé part pour deux jours. Les enfants travaillent sans arrêt au concours de parures. Avec les nouvelles surveillantes, on organise le service des lavabos, du petit déjeuner, En raison des difficultés financières, nous renonçons pour Je moment å continuer la recherche d’un professeur de dessin et d’une infirmière spécialisée.

Le 21 aout

 L’hôpital de Guéret nous demande de reprendre Marie Znajdek ; il nous est peu possible de le faire, car le climat ne lui convient pas. Nous faisons intervenir le Docteur Cournet, oculiste, qui arrivera faire prolonger son séjour. Pour augmenter nos rations, nous achetons du fromage sans tickets, mais par achats successifs de I kg environ : cela arrive å procurer quelques repas de plus. Une jeune éclaireuse, cousine de Mme Aron, vient pour les vacances : elle animera beaucoup la section, comme toujours en pareil cas.

Le 22 août

Retour de M. Stourdzé ; l’office du soir se fait avec de plus en plus de participantes. De la sortir après son départ, les enfants pourront faire l’office elles-mêmes, en chantant selon des airs organisés par le rabbin.

Le 25 aout

 Visite de M. et Mme Kohn : graves discussions sur les nombreuses questions l’ordre du jour. L’opportunité d’aller voir M. de Beauverger å Vichy, I ‘essai de rétablissement de l’allocation. Nous commençons å retenir 50 F sur les envois de parents leur fille : ces parents refusent d’aider en quoi que ce soit la Maison, mais certains envoient par centaine de francs å leur fille pour ses menus plaisirs !

 Le 26 aoüt

Départ de M. et Mme Kohn. Le Docteur Cournet Vient aux Granges, où il fait 17 opérations de végétations et amygdales, dans Ia salle d’études voisine de la Direction transformée en salle d’opération. Il est aidé par le Docteur

Beaufort et un assistant. Comme, depuis huit jours, les enfants opérer sont traités selon ses indications, tout se passe merveille, sans le moindre incident, ni au cours des opérations, ni après. Cela dure de 10 h 1 h; puis quelques examens oto-rhino, assez précaires en raison de l’installation de fortune.

Le 27 août

Deux fièvres légères sont la seule rang-on des opérations. L’institut Pasteur nous envoie du virus contre les souris ; dépense bien inutile, car les rongeurs reviennent des alentours, et des fondations de la maison.

 Le 28 aout

 Mia Schwarzstein commence ä s’occuper de la couture. Nous congédions M. Ménaché, que nous avons gardé par charité tant que ses filles étaient ici, mais qui est un modèle de paresse, de saleté, de négligence. Une fois de plus, M. Aron doit crier pour obtenir un peu de discipline des grandes.

Le 29 aoüt

Encore un office très bien suivi. Arrivée de M. et Mme Stryks.

 Le 30 aout

 Dès leur arrivée, les Stryks se mettent au travail. Mme Stryks prend contact avec la cuisine, ou elle donnera une allure propre et active. M. Stryks fait les courses, répare la T.S.F., organise des réunions de danse viennoise, est partout : cela change de son prédécesseur ! Les opérées se lèvent, toutes sont bien ; on leur donne une alimentation légère… mais une des plus petites se précipite dans le jardin ou elle se régale de carottes crues pleines de terre ! Elle le supporte ! Les parents de J. Kaufman viennent la chercher.

Le 31 aoüt

Réunion du personnel : certaines grandes circulent dans les fermes des environs, la surveillance étant on fera des appels inopinés. Installera-t-on la « 5e colonne » oil seront les mauvaises ? Excellents repas, soignés et assaisonnés ; enfants et personnel sont enchantées. Les bons facilitent le ravitaillement du mois mais peu d’œufs, de beurre, de fromage ; on en cherche aux environs.

Le 1er septembre

 Deux ans d’exil… Quelques souvenirs mélancoliques… et combien de temps encore ? Mme Crémieu commence un cours de vacances pour la 2e classe et les recalées du certificat d’études.

Le 2 septembre

Les petites se promènent ; les grandes vont ä l’atelier l’après-midi… cela ne leur plait pas ! Au diner, bilan des deux ans de Crocq ; M. Aron précise les « devoirs » et les « droits » de ces demoiselles, et en particulier la non-obligation de la Maison de faire poursuivre des études ä toutes après 14 ans, le devoir de toutes d’aider ä la marche de la Maison. Et il n’y aura pas 1’« égalité par le bas » désirée par certaines. Du coup, comme toujours en pareil cas, il y aura quelques jours de bonne volonté !

 Le 4 septembre

 Mme Teitelbaum, qui décidément ne peut se faire ä une maison si mécréante, est congédiée ä l’amiable. Concours de bijoux-parures, avec des résultats très intéressants : de beaux bijoux, des parures de papier très artistiques et très finies, sacs ä main, garnitures de toilette, bottes, cols et manteaux, coiffures, etc. Beaucoup de concurrentes de tout âge. Départ dramatique de J. Kaufman qu’il faut rechercher dans la campagne. Le soir, sortie-diner au château de Leyris, toujours appréciés.

Le 5 septembre

Mme Aron part å Bandolioil une réunion prévue avec Mmes Leven et Kohn mettra au point les différents graves problèmes de l’heure. Elle rencontre å Létrade. Mme de Beauverger, qui semble dire que nous ne partirons pas de sitôt des Granges. En passant Montluçon, elle s’entend avec un rétameur pour nos chaudrons de cuisine, qui sont bien décrépits, et irremplaçables, fuient ; on va pouvoir les remettre en état. Ce n’est pas un des graves problèmes, mais c’est quand même un souci de moins ! A Crocq, réunion de monitrices pleines de bonne volonté. Puis office avec grande participation, prières avant et après le repas, chantées.

Le 6 septembre

Orage très violent durant la matinée : 40 cm d’eau par endroits autour de la maison, caves inondées, d’autant plus qu’il y a une fuite dans la canalisation d ‘entrée. Les enfants ne sont même plus énervées par l’orage. On annonce des restrictions d’électricité ; il est donc demandé de s’abstenir de toute dépense inutile, notamment cuisine, pain grillé du personnel. La variété de la cuisine enchante tout le monde, et les leçons de danse de M. Stryks qui, avec les causeries de M. Stourdzé, occupent bien les vacances.

 Le 7 septembre

A Bandol, réunions prévues. Mme Leven tentera de joindre M. de Beauverger ; M. Kohn tentera d’avoir un titre permettant d’assurer nos ressources ; en attendant, le comité personnellement aidera autant qu’il le faudra. Quoi qu’il en soit, la Maison doit tenir toute la durée de la guerre. A Crocq, M. Stourdzé fait ses cours et des sorties de Ravitaillement… nous achetons 12 boites de biscuits ; c’est appréciable ; mais pas un œuf : les paysans, affolés par la surveillance, attendent qu’on vienne acheter chez eux.

Le 8 septembre

 Mme Aron fait des démarches et des achats ä Marseille. Notamment des torchons (7 dz.) destinées ä devenir serviettes de toilette, des chaussures ä semelle de bois, beaucoup de mercerie.

A Crocq, temps gris : on relit le début du Livre d’Or Et on envoie un premier lot de marmites å Montluçon ; elles seront très bien remises en état.

Le 9 septembre

Visite de M. de Beauverger, plus Chef du Protocole que jamais : il est fort aimable, ne dit rien de précis, sinon que nous aurons un préavis de 3 mois. Il espère que nous passerons l’hiver tranquille. Sur l’insistance de M. Aron, il promet d’agir la Préfecture. Il est d’axas que, devant les mesures antisémites qui sévissent Paris, il ne peut être question de renvoyer des enfants en zone occupée. Sorties des enfants, insupportables avec leur manie de se jeter sur tous les fruits verts, aussi bien que sur les carottes et haricots du jardin. Nous trouvons 30 œufs, 1/2 ko de beurre.

Le 11 septembre

Foire, toujours å peu près inexistante ; on y trouve, heureusement un peu de mercerie. Sortie d’éclaireuses, au cours de laquelle une des petites s’entre, en séton, å la suite d’une chute, une tige de fougère de dix centimètres dans la cuisse. Piqûre antitétanique, incision, agrafes, et quelques jours d’infirmerie. La batteuse est å la ferme voisine : grand sujet de Faction, bien mérité, comme toujours.

Le 12 septembre

 La batteuse continue, pour la grande joie de la Direction… Des soldats viennent cantonner, et ne pourront être hébergés å la ferme voisine ; et nous savons combien ces voisinages sont å éviter ! On se contente d’aller écouter Ja musique militaire. L’épicier en gros nous livre quelques trésors, dus aux bons de l’Inspecteur d’Académie : légumes secs, sardines notamment. Mme Aron est å Lyon, ou elle fait des démarches et des achats, notamment au Centre de répartition des cuirs, ou on lui promet des articles pour le ressemelage.

 Le 13 septembre

Retour de Mme Aron. Il fait beau : promenades, selon l’état des chaussures de chacune. Angoisses alimentaires… Les lettres des feuilles de viande sont-elles valables ? Sinon, chacune n’aura droit qu’å 500 grammes par mois. Oui, pour ce mois, les lettres valent, et la ration atteint 1 kg., comme dans les villes.

Le 14 septembre

Devant la difficulté grandissante des achats, les envois de colis aux parents sont interdits : le transport des pommes de terre (principale ressource) est défendu, il y a peu de fromage, pas de biscuits sans tickets, peu de pâté… Départ de M. Stourdzé, qui veut passer les fêtes Clermont. Il abandonne la préparation des offices, celle des initiations. Il part å pied, accompagné pendant plusieurs kilomètres, å vive allure, par une bande qui revient, les pieds en capilotade. Nous achetons encore des pommes de terre å 300 F chez les fermiers, qui nous exploitent de leur mieux !

Le 17 septembre

 Pesées des enfants, assez satisfaisantes, excepté pour les plus petites. En somme, les « restrictions » ne donnent pas de résultat fâcheux. Une occasion nous procure 14 kg de veau sans ticket dans une ferme, å l’occasion des batteuses ; coup double, puisque nous pouvons avoir quelques douzaines d’œufs. Nous avons même, en Ville, un peu de fromage : c’est la richesse !

 Le 18 septembre

 Départ de Mme Teitelbaum. Sur l’insistance de M. Liber, qui désire que les fêtes se passent aussi bien que possible M. Stourdzé va revenir jusqu’å Souccoth. Les enfants sont enchantées, la direction aussi ; petites et moyennes se réjouissent de la préparation å l’initiation, les grandes de pouvoir continuer å bavarder.

 Le 19 septembre

Retour de M. Stourdzé ; il abandonne les réunions de grandes, sans aucun intérêt. L’office du soir est réussi. Les tickets-lettres de viande ne sont plus valables, et nous avons épuisé les autres…

 Le 20 septembre

 Préparation du Temple. Comment aura lieu la rentrée des classes ? On craint la suppression du cours supérieur, très négligé l’année dernière par la Directrice, et dans lequel il devrait entrer une dizaine de nos filles. Nous écrivons å ce sujet å L’inspecteur Primaire. M. Simon pense revenir en permission å Crocq : il faut que le Directeur lui fasse un certificat d’hébergement assez particulier !

Le 21 septembre

 Préparation fiévreuse du Temple et de la féte ; dans un drap, on fait une robe blanche pour M. Stourdzé. La décoration est difficile å trouver de la « monnaie du Pape » en fera les frais. Bel office de veille de Rosh-Hashana, puis diner auquel assistent Mlles Haguenau ; il y a les pommes, et le sucre de raisin remplace le miel introuvable. Quelques danses terminent la soirée, car les enfants, malgré la demande faite depuis longtemps, n’ont rien préparé comme fête : elles sont de plus en plus inertes !

Le 22 septembre

 Rosh-Hashana 5702. Les offices se succèdent toute la journée du premier, facultatif, pour les futures initiées, å 9 h 30 ; un obligatoire å 10 h. Facultatif å 11 h 30 ; l’après-midi, M. Stourdzé å la rivière avec 25 enfants. Excellente atmosphère ; les moyennes ne quittent le pas Temple. Pas de cadeaux… 100 F sont partagés entre dizaine d’enfants qui ne reçoivent jamais rien. Et, comme amabilité de nouvel an, le « Directeur du service de l’Aryanisation Economique » nous relance pour les déclarations d’israélites ! Assez bonnes nouvelles de la maison de Neuilly.

Le 23 septembre

Office le matin comme la veille. Les enfants « comprennent » les offices. M. de Beauverger, en conversation, déclare qu’il ne cherche pas å nous faire partir, que rien ne presse les gendarmes å entrer aux Granges, si leur propriétaire actuel (le notaire) veut se remuer… Jeux dans le pré, par M. Stourdzé.

 Le 24 septembre

 Les cours d’initiation reprennent, avec des enfants très attentives. Nous terminons le cardage et le nettoyage des matelas, très bien fait par deux femmes du pays pour 20 F le matelas.

Le 25 septembre

Nous allons chercher, chez le petit cordonnier, 12 serviettes de classe réparées ; les filles en profitent, ä l’instar de Corneille, pour lui faire réparer les chaussures qu’elles ont aux pieds. Toutes se régalent de mûres sur tout le parcours.

Le 26 septembre

 Le Préfet téléphone å deux reprises pour avoir les déclarations d’israélites détaillées de l’ensemble des enfants… Nous répondons que nous écrirons aux parents pour les cas douteux, que nous ferons les déclarations pour les autres ; nous allons recevoir des formules. Achat de pommes de terre 250 F. Nous recevons enfin, après 16 mois, le règlement d’assurance de l’accident Zaguedoun (1500 F)

Le 30 septembre

Nous envoyons au Préfet, remplis de façon quelconque, quelques formulaires de déclarations ; nous avons choisi les enfants pour lesquelles nous avons le moins de renseignements… parents disparus, pore inconnu… Une trentaine en tout. Nous n’en entendrons plus parler, et on ne nous réclamera pas les autres ! C’est la veille de Kippour. Mlles Haguenau et leur frère Secrétaire Général des Eclaireurs Israélites, assistent l’office et au diner qui l’a précédé. Marc Haguenau met en train la venue d’enfants du camp de Rivesaltes ; depuis longtemps on en parlait, dépeignant la détresse de ces malheureuses parquées dans des conditions lamentables depuis des mcns. Mais on ne faisait rien pour en envoyer ici. Nous nous déclarons prêts å en prendre une quinzaine, ayant la place disponible. De préférence entre 8 et 13 ans. Pour la première fois, nous passons dans nos comptes les prélèvements de 50 sur les envois des parents aux enfants : cela a produit, pour le mois, 1 260 francs ! Et aucun de ces parents n’aurait donné la moindre somme spontanément pour la Maison !

Le 1er octobre

Kippour. M. Stourdzé officie toute la journée ; avec trois offices réguliers. Excellente tenue. Le jeûne s’effectue sans incidents, en principe pour celles au-dessus de 12 ans. Naturellement, le diner est sensationnel, au moins dans l’illusion des enfants. Et, n’ayant aucun avis pour l’immeuble, nous sommes tranquilles pour l’hiver, puisqu’il doit y avoir préavis de trois mois, et que nul travail ne sera possible en plein hiver.

Le 2 octobre

Après 14 ans et 8 mois de Refuge, une de nos grandes, qui a 20 ans a trouvé une place de couturière Clermont et nous quitte. On lui accorde un prêt d’honneur. Elle a assez de chance pour ses débuts dans la vie. On prépare la rentrée des classes : visite la nouvelle directrice, venue en disgrâce Crocq pour crime de Franc Maqonnerie. Elle fait espérer que les horaires seront respectés, mais ne peut dire grand-chose pour les nouveaux programmes. A la maison, distribution des tabliers, des sacs réparés (il ne faut pas songer acheter un sae neut) des affaires de classe. Nos écolières ont ce qui leur est nécessaire, et sont convenablement habillées ; en temps ordinaire, cela ne vaudrait pas la peine d Qtre noté ; en ce moment, c’est méritoire.

Le 3 octobre

Rentrée des classes : 41 enfants vont recole tvparties entre un cours supérieur„ pour celles qui ont passé le certificat d’études (l I et 4 autres classes Pas mal de mouillage, en raison de nouveaux programmes encore vaguest et des deux nouveaux certificats d’études, par lesquels les limites d’âge sont mal définies. Il ne reste å la maison que deux petites arriérées d’âge scolaire, prenant des leçons avec Mme Serriöre.

Le 4 octobre

 On est en plein arrachage des pommes de terre ; il parait que 9() tonnes sont réquisitionnées dans la commune ! Nous en avons 80() kg å 250 F. Nous aurons le nécessaire, car le pays est très producteur, et les paysans n’ont pas déclaré la moitié de leur récolte, qu’ils gardent par dévers eux. Le 5 octobre Sous la direction de M. Stourdzé, installe la souccah ; faute de draps blancs (qu’il faut ménager au maximum), on se sert de couvertures, excepté pour le fond. Le soir, premier office de Souccoth. On prépare la « rentrée » des C.A.P., on marque les affaires scolaires : comme il faut s’y attendre, ce sont les grandes qui ont perdu le plus de choses. Changement d’heure : nous étions å l’heure allemande d’été, nous passons å leur heure d’hiver, encore d’une heure en avance sur l’heure française.

Le 6 octobre

Souccoth ; les écolières restent å la maison. Le matin, office et réunions des candidates å l’initiation, toujours pleines de zöle. Premier déjeuner sous la souccah, avec M. Stourdzé, un invité ou membre du personnel et 8 élèves. Notre invitée est Mlle Haguenau. Aurons-nous nos bons supplémentaires d ‘alimentation : au 6, nous avons utilisé plus de la moitié de nos tickets de viande du mois ! Car nous n’avons droit qu’å 1 livre…

Le 7 octobre

Beau temps, on peut encore déjeuner sous la souccah. Quelques changements de division å l’école, ou on avait trop mis les enfants au début uniquement selon leur âge, malgré nos indications. En raison du manque de professeurs spécialisés, nous essayons les Cours par correspondance » officiels du Ministère de l’Education pour les sténos dactylos. Cela s’avérera très médiocre, et nous les interromprons en fin de trimestre, å peu pros inutilisés.

Le 8 octobre

Les déjeuners sous Ja souccah continuent ; puis M. Stourdzé essaye un Cercle d’Etudes pour le personnel, sur la base de la Religion. Il sera difficile å rendre régulier, et ne durera guerre, en raison des occupations et de la fatigue de la plupart des assistants. Germaine Ménaché rejoint sa famille å Guéret ; elle sera facilement remplaçable. La blanchisseuse utilise notre linge pour sa famille et pour ses cadeaux ! Il faut y mettre ordre, et surveiller les départs et rentrées de linge, malgré la difficulté.

Le 9 octobre

Visite de M. Liber, qui vient se rendre compte du travail de son élève. Déjeuner sous la souccah des rabbins et du personnel. Puis réunion générale, et interrogations en vue des initiations ; résultats lamentables : les enfants, intimidées, répondent en dépit du bon sens aux questions les plus simples, qu’elles connaissent ! M. Liber, tres complaisant, en admet douze sur quinze. On prendra date plus tard pour la cérémonie. M. Liber s’intéresse å l’arrivée d’enfants de Rivesaltes, insiste de son côté pour que cela aboutisse. M. Liber repart le soir, emmenant définitivement M. Stourdzé.

 Le 10 octobre

 Le froid empêche de déjeuner sous la souccah. Le soir, office dirigé par une des élèves, très bien réussi ; prières ä table dans les mêmes conditions ; une quarantaine d’enfants suit parfaitement. Visite de l’immeuble par un Commandant de gendarmerie, aucunement emballé, mais il y a le Directeur du Protocole…

 Le 12 octobre

Dernier office de Souccoth, par une élève. Recherche de petit bois : J’hiver approche déjà ; y a 20 la nuit. Les sorties sont de moins en moins nombreuses.

 Le 13 octobre

 Foire ; il n’y a que deux éventaires, mais pas mal de monde, car les paysans apportent leur Jaine brute å filer. Du reste, ravitaillement å peu pros nul : ni beurre ni œufs, ni pâtes ; peu de fromage ; et fort peu de viande, les tickets s’épuisant vite : on se rabat, quand c’est possible, sur les abats ou le pâté. Heureusement, les pommes de terre apparaissent de plus en plus. La Préfecture nous avise que nous n’aurons plus d’attribution de charbon : ce n’est pas drôle, car, malgré sa mauvaise qualité, il est bien utile pour la cuisine et la chaudière. Il y a encore un stock de quelques tonnes ; on va le faire durer le plus possible. En particulier, on s’efforcera de chauffer au bois les chambres du personnel ; et tout le reste avec un mélange de bois et de charbon ; espérons que nous aurons assez de bois !

 Le 14 octobre

Mme Aron va å Aubusson, voit le Procureur de la République pour obtenir la déchéance maternelle de la mère d’une des pensionnaires ; elle lui parle également de certaines gens du village qui acceptent de transmettre du courrier aux enfants. Le Procureur interviendra si nous le lui demandons. Nous relançons L’inspecteur d’Académie pour les bons supplémentaires d’approvisionnement. M. et Mme Kohn partent pour l’Amérique.

Le 15 octobre

 Nous recevons une partie des bons de L’inspecteur d’Académie ; il n’y a plus de bons de pain.

Le 16 octobre

Les éclaireuses partent å la recherche de fromage, en rapportent quatre ; on rapporte aussi des müres. Visite des robes de chambre, des pèlerines.

Le 17 octobre

 Tri des dernières chaussures, au grenier ; on trouve de quoi parer au plus pressé, surtout pour les écolières. Office assez bien suivi.

Le 18 octobre

 On nous promet 4 douzaines d’oeufs condition d’aller les chercher la ferme å la nuit !! M. Aron y va, rapporte même 1 kg de beurre… Somptueux !! Les paysans ont peur des dénonciations et des surveillances. A propos des cours par correspondance, causerie aux moyennes et aux grandes sur I ‘enseignement en France, afin de calmer les prétentions de celles qui, ayant leur certificat d’études, se croient l’élite de la France. Et nous allons commencer, au Refuge, des cours secondaires pour certaines petites spécialement douées : Mme Crémieu en prendra la direction, assistée d’autres membres du personnel ; on utilisera les cours par correspondance. Deux enfants suivront les cours de 5e ; elles sont retirées de l’école communale, ä leur grande joie.

Le 19 octobre

 Travail de préparation des initiations, pour les ajournées, en vue du retour des rabbins pour la cérémonie. Le jardin nous fournit encore pas mal de betteraves, navets, poireaux : ils sont les bienvenus. Envoi de chaussures ä réparer ä Clermont, seul

Le 20 octobre

 Début de l’enseignement par radio : il est des plus médiocres, vagues causeries pour gens du monde, sans liens entre elles, sans ombre de programme. Dernier envoi, appréciable, de Mme Kohn : 60 kilomètres de fil de coton, en bobines de 10 km

Le 21 octobre

Pour la dernière fois, nous recevons l’allocation de réfugiés, pour le mois de septembre ; c’est un trou sensible dans notre budget : 11 000 ä 12 000 F par mois. Et cela ne facilite pas la tache du Comité. Nous recevons la suite des bons supplémentaires, notamment 72 kg de viande, å utiliser avant la fin du mois ! C’est un peu tard, surtout avec la fermeture des boucheries trois jours par semaine. Et le boucher nous avait donné, pour aujourd’hui, de la viande sans tickets ! Mme Aron va å Aubusson chercher des cadeaux pour les initiées, et rapporte 10 kg de beurre, dont on manque la campagne, mais dont on a ce qu’on veut en Ville, ces jours-ci. Une grande est casée dans une ferme modèle : confirme elle-même n’est pas modèle, elle n’y restera pas.

Le 22 octobre

 Nous avons du lait ne savoir qu’en faire : 38 litres aujourd’hui (nous avons droit å 9 litres environ ! )

Le 23 octobre

Deux nouvelles arrivent de Clermont ä titre provisoire (leur mère est ä l’hôpital). Elles sont accompagnées par Mlle Stourdzé, soeur du rabbin, qu’on nous avait déjà demandé de prendre parmi notre personnel. M. Stryks commence des cours d’allemand, qui seront vite interrompus en raison du peu de travail.

Le 24 octobre

 Première journée de neige (40) et nous avons presque épuisé notre réserve de bois : il y en a bien de commandé, mais pas de bûcherons libres ! Et les enfants n’ont guere que leurs chaussures d’été, les autres n’étant pas revenues réparées ; Heureusement, la couche de neige est mince. Mais notre couloir recommence ä être pénible. Le marchand de gros de pommes de terre nous fait livrer, par un fermier qui voulait nous les vendre directement ä 250 F, 3 tonnes ä 135 francs ! Nous sommes tranquilles pour la nourriture d’hiver. On nous propose autant de pommes de terre que nous en voudrons, d’autant plus que les paysans sont loin d’avoir déclaré leur récolte, que leurs fermes regorgent. Nous demandons au Ravitaillement la quantité de viande allouée aux villes, au lieu de celle des campagnes qui suppose l’abattage familial, Cela donnerait le double, 1 kg par mois au lieu de 5 g. On nous répond qu’un projet est å l’étude. En attendant, nous manquons au début du mois, et avons trop å la fin.

 Le 25 octobre

Il neige encore, temps gris : dans la maison non chauffée, le lever est difficile ! On rafistole des pantoufles pour que les écolières puissent se déchausser au retour. Et on se régale de viande : du veau, toujours du veau ! Il y aura du bœuf, dit-on au ravitaillement, quand il n’y aura plus de veaux. Conception bizarre. Le Préfet, å qui audience a été demandée par M. Aron au sujet de l’allocation supprimée, se dérobe et renvoie au Sous-Préfet. Invitation å déjeuner de M. Marchal, qui rentre chez lui.

Le 26 octobre

 Dimanche maussade : il neige, il fait froid (0) ; faute de bois, on n’allume de feu que dans la salle de dessin. Toutes les écolières ont des pantoufles, plus ou moins élégantes, mais existantes.

Le 28 octobre

Mlle Stourdzé, qui a raté son départ hier, nous quitte aujourd’hui nous songeons ä la prendre parmi le personnel, puisqu’elle est recommandée par M. Liber et qu’elle pourra s’occuper de cours, et de l’enseignement religieux. M. Aron rend visite au Sous-Préfet, qui est charmant, mais qui, visiblement, n’est lå que pour dire qu’il « transmettra » au Préfet les demandes que celui-ci veut refuser. Conversation creuse de salon, qu’on sent inutile. Rien ne sera fait pour notre allocation de réfugiés, ni pour des améliorations de ravitaillement qui sont demandées. Par la même occasion, quelques achats ä Aubusson ; mais la ville est bien vide et bien mal fournie , il y a encore du beurre, et on en profite, ainsi que de légumes… verts, sous forme de potirons : c’est rare, on en profite aussi.

Le 31 octobre

 I.e froid a diminué, se tient dans les environs de Par acquit de conscience, nous écrivons au SousPréfet la suite de l’audience, pour lui détailler notre recrutement et nos ressources. Et encore un mois se termine, avec ravitaillement de plus en plus difficile : pas un œuf, peu de fruits : des pommes (des dattes Aubusson 44 F le kg). Et pas de bois de chauffage, bien que commandé depuis des mois : la main d’œuvre manque pour le couper. Nous avons reçu plus de 5 tonnes de pommes de terre, qui disparaissent vite car nous en faisons une consommation énorme.

QUELQUES PRIX D’OCTOBRE

Pain . . 3 F le kg Sucre . . 7,30 Sel 230 Pites …..-…„..-……. . . 8,15 Huile 14,25 le litre Beurre .„-.-v….-.. . . 36 le kg Lait ..-………„. . 1,80 le litre (Eufs 18 la dz. graisse végétale ………………….„…. 17 Chocolat . . 24,50 le kg Lentilles . 13,25 Gruvére Veau, roti .. 24 Potiron … . . 2,25 Pommes de terre …..-….. … „ . 137 les 100 kgs

Le ler novembre

Maintenant, les arbres sont abattus, mais le transport n’est pas possible : en raison du beau temps, tout le charroi est réservé aux champs. Et nous épuisons même nos souches. Heureusement, il ne fait pas froid. Mais nous usons trop de charbon, irremplaçable.

Quelque mauvaise volonté le soir : 8 h le réfectoire n’est pas balayé ; on se contentera de la soupe et on ira se coucher immédiatement après.

 Le 2 novembre

 La mauvaise volonté continue : la moitié n’est pas prête pour le petit déjeuner ; la direction décide de supprimer les études secondaires _projetées pour celles au-dessus de 16 ans.

Le 3 novembre

Mme Aron part, avec joie, Marseille, accompagner deux enfants qui partent en Tunisie : bon débarras, ce ne sont pas des sujets choisis ! Et, le soir même, M. Aron part pour Limoges ou il rencontrera des dirigeants de I’O.S.E. ; il part pied, par la nuit, Létrade.

Le 4 novembre

A Marseille, Mme Aron confie les enfants au Centre Guynemer, et fait des achats et des courses ; notamment de la mercerie, et des serviettes de classe d’occasion. A Limoges, ou il arrive midi, M. Aron rencontre M. Bloch, Inspecteur général de I’O.S.E., et M. Ledermann ; mise au point de la réception d ‘enfants du camp, de Rivesaltes Nous en accepterons une vingtaine, la place manquant pour davantage ; mais, M. Aron les met au courant de l’arrivée prochaine des petites du camp, afin de faire préparer toutes les réserves de couchage, de linge : grosse émotion des enfants au récit de la vie au camp ; et grande bonne volonté pour tout préparer. A Marseille, Mme Aron prépare le passage de celle qui part, et termine ses courses, repart pour Lyon.

Le 7 novembre

 L’O.S.E. de Marseille essaye de nous faire prendre encore 3 enfants ; comme nous avons accepté les filles de Rivesaltes, nous réduisons å une seulement (qui, finalement, ne viendra pas). Et, sans plus tarder, on commence avec zöle les travaux de literie : réparation des matelas et paillasses jugés irréparables, des draps, des couvertures usées. L’atelier est chauffé, tant pour les travailleuses que pour le séchage du linge lavé, qu’il n’est plus possible de mettre dehors, et qui ne sèche pas au grenier. Toujours impossible de se procurer un œuf.

Le 9 novembre

Retour de Mme Aron. Le temps se radoucit : on éteint les feux. Achat de 60 kg de carottes (å 3,50) ; cela agrémentera soupes et légumes. Nous tentons d’avoir des œufs par le ravitaillement du département.

Le 10 novembre

On nous livre encore 5 tonnes de pommes de terre, qu’on rentre en vitesse, par temps superbe heureusement, dans l’arrière-cuisine, le cabinet noir et Ia cave. Nous aurons ainsi de quoi passer la période la plus froide de l’hiver, mais guère davantage, puisque, plus que jamais, nous consommons les pommes de terre : en moyenne dix repas par semaine, plus les soupes ! Et environ 100 kg par jour. Les 4 autres repas de la semaine sont surtout en pâtes, restant de notre fortune et achats mensuels ; parfois un repas de légumes secs ou un gâteau de semoule : Mme Stryks tire parti de tout de façon remarquable, et les enfants sont très contentes du régime (sauf les très petits morceaux de pain).

Le 11 novembre

L’ex journée de fête nationale passe inaperçue : aucune cérémonie. Mme Leven ne pense pas venir pour les initiations en raison de son état de santé. Achat de cahiers, tant pour compléter notre provision qu’en raison de la disparition de toutes matières. Il est notamment impossible de trouver des plumes pour écrire ; nous en avons heureusement une bonne provision.

Le 12 novembre

Mlle Stourdzé entre parmi le personnel de la maison, comme professeur ; elle refuse d’être au réfectoire avec les élèves. Les deux « secondaires » sont retirées de l’école et commencent leurs cours å la maison.

Le 13 novembre

Le notaire, que nous voyons pour une affaire d ‘allocations familiales, interviewé comme actuel propriétaire de la gendarmerie, ne pense pas que nous partions avant juin. Il a prorogé son bail jusque fin 42, mais ne pense pas proroger plus longtemps… å

Le 16 novembre

 Tempête, froid : allumage de la chaudière. Nouvelle mode des enfants : on conserve desserts et goûters en vue de festins : on enraye.

Le 19 novembre

Tout arrive : nous envoyons au rabbin Klein le tapis que nous lui offrons comme cadeau de mariage ! Il a fallu longtemps pour le finir, d’autant plus que, comme toujours, les enfants, très zélées au début, n ‘en faisaient plus guerre ensuite. Et puis, le rabbin était en tournée en Algérie depuis plusieurs mois. (La dentelure de cette feuille est tout å fait couleur locale : c’est pour rappeler le souvenir des souris qui s’introduisent partout dans la maison !)

Le 20 novembre

 Encore des histoires avec des grandes qui sortent en cachette pour retrouver leur ami… ou qui écrivent en cachette. Il faut le signaler, pour surveillance, å la gendarmerie.

 Le 21 novembre

 Comme l’année précédente, nous sommes remboursés des dépenses de livres et cahiers des élèves de l’école, å raison de 150 F pour les grandes, 120 F On nous confirme J’arrivée de 20 enfants de Rivesaltes. Nous écrivons, sans succès, au Ravitaillement départemental pour essayer de recevoir du beurre. Ici on continue å n’en pas avoir, pas plus que d’œufs.

Le 27 novembre

 Quand aurons-nous notre bois de chauffage ?

Le 28 novembre

 Les séances interminables de dentiste continuent ; les deux patientes qu’il accepte de soigner attendent jusqu’å 11 h du soir, accompagnées, comme chaque semaine, par M. Aron qui passe régulièrement dans la salle d’attente ses soirées de sabbat !

Le 29 novembre

Nous tentons de faire suivre les cours secondaires å une troisième écolière, que nous gardons å la maison. Cela ne réussira pas, en raison de sa mollesse. Les deux autres donnent satisfaction, et leurs cours se font sans accrocs, entre Mme Crémieu, Mlle Stourdzé et M. Aron. Cette classe manque un peu d’émulation et d’Essai satisfaisant d’allumage de la chaudière ; il y a peu de charbon, espérons qu’il y aura assez de bois, un jour ! Quelques sorties, pour chercher du petit bois et des pommes de pin ; arrachage un peu prématuré des haricots qui gèlent : nous n’aurons pas la récolte par humanité, nous prenons le maximum, tant les détails sur la vie actuelle de ces enfants sont lamentables. Ces enfants seront sorties du camp et mises en observation avant de nous être envoyées. Quelques achats å Limoges en attendant l’heure du train de retour, notamment livres de classe pour les secondaires. Et M. Aron rentre dans la nuit, refaisant å pied le trajet Létrade-Crocq. A Crocq, quelque agitation, car un télégramme prescrit le départ immédiat d’une grande pour I’AIgérie : et Mme Crémieu, qui a la direction momentanée de la maison, ne sait où trouver les papiers et documents nécessaires. Elle téléphone å Marseille, d’où Mme Aron donne les indications utiles !

Le 6 novembre

La grande étant partie pour l’Algérie, il reste 73 moins qu’il ne puisse faire un long bail. Le secteur électrique nous rappelle qu’il faut réduire la consommation : on donne la consigne d’éviter tout gaspillage. A Clermont, M. Liber s’efforce de nous faire obtenir des vêtements pour les initiées ; mais le Préfet ne veut rien entendre, et le maire n’a pas les bons nécessaires : on s’en passera donc ! Et M. Liber nous annonce sa venue å peu pros certaine pour célébrer les initiations le 18 décembre, å l’occasion de Hanouccah. A Paris, un Administrateur va certainement étre mis å la téte de la Maison, selon les dispositions du Statut des Juifs : sera-t-il favorable ? Nous n’avons plus, comme bois, que les souches et billes pleines de nceuds et presque incoupables M. Stryks passe des heures å essayer d’en venir å bout. Merveille : pour la première fois depuis mai, nous avons un peu de bœuf ! pour Ies moyennes, 50 F pour les petites. Le chaudronnier de Montluçon remet å neuf notre batterie de cuisine : c’est utile !

 Le 24 novembre

Notre bon supplémentaire de « Corps Gras » nous donne 20 kg d’huile : c’est précieux, car ces corps gras se font de plus en plus rares. Nous recevons en mêmes temps 24 kg de pois chiches (les légumes secs ne sont plus en vente depuis plusieurs mois), et nous nous procurons quelques fromages de pays.

 Le 25 novembre

50 paires de chaussures arrivent réparées de Clermont, notre grande joie. Nous pouvons retirer les sandalettes qui étaient la seule chaussure de beaucoup, en dépit du froid. Le soir, improvisation d’un concours de bonnets de Ste Catherine, en papier journal : grand succès comme tout ce qui se rapproche de la couture. Et de fort jolies choses, bien que les concurrentes n’aient eu que 45 minutes pour improviser. point de comparaison, et l’esprit secondaire ne s’implante pas vite.

Le 30 novembre]

 Il pleut : on prépare la fête du 18 décembre, répétitions en vue des examens d’initiation, représentation. Et notre bois continue å ne pas arriver : le temps met de la bonne volonté, et reste peu froid. Mais notre stock est presque complétement épuisé. Les prélèvements de 50 sur Ies envois de parents aux enfants, ainsi que les confiscations d’argent celles qui se tiennent trés mal ont donné. en novembre, pros de mille francs ! Et, si nous demandions une aide aux parents, ceux-ci prétendraient ne rien pouvoir faire.

Le 2 décembre

 Enfin, on nous apporte environ la moitié de notre bois : une ttentaine de stores sur les 72 commandes ; ce n’est pas du luxe car il fait -20, et les feux attendent toujours leur nourriture.

 Le 3 décembre

A toute vitesse, on débite (ä la scie électrique) et on range le bois : des équipes, dirigées par M. Strvks, travaillent force pour rentrer ä la cave. Le temps, qui a montré autant de bonne volonté, n’a plus besoin de nous ménager : il fait -8 ! Il était xxaiment temps de recevoir notre provision. Nous allumons, enfin, la chaudière, ä la grande satisfaction de celles qui peuvent en profiter, ainsi que les poêles du personnel.

 Le 4 décembre

 On scie, on range ; le reste de la provision arrive. Et on prépare Hanouccah et ses grandes fêtes. Le premier groupe de dix enfants quitte le camp de Rivesaltes, pour le Solarium de Palavas ou elles doivent rester quelque temps en observation, avant de venir Crocq.

Le 5 décembre

 On finit le sciage, mais on ne peut tout ranger, faute de place. Séance de dentiste jusqu’å 11 h 20 ; et encore, le dentiste, exténué, renoncé å prendre la troisième des patientes de chez nous. C’est difficile, car, chaque semaine, plusieurs enfants qui souffrent ne peuvent passer, et doivent attendre deux ou trois semaines.

Le 7 décembre

 Vent, neige fondue ; temps désagréable ; mais nous avons le bois, et sommes au-dessus de ces contingences !

Le 8 décembre

 Toujours des ennuis avec les mêmes grandes, qu’on surprend å la fenêtre de leur dortoir, 9 h 30, en conversation avec des garçons.

Le 9 décembre

 Mme Aron part Clermont, accompagnant une grande qui rentre en Algérie. Le premier groupe de Rivesaltes est annoncé pour le 11 : il reste peu de temps å Palavas !

Le 10 décembre

Le 5 e dortoir est libéré pour recevoir les nouvelles arrivantes. Et toutes travaillent d’arrache-pied pour que rien d’indispensable ne manque. Il faut trouver une voiture pour aller chercher les enfants Létrade : c’est difficile, car l’essence est rare. Et notre cas n’est pas « force majeure ». Le car de Létrade ne peut faire, pour ce motif, un voyage supplémentaire. Nous trouvons une voiture å gazogène, appartenant å un boucher, et dans laquelle, en se serrant, on peut tenir ä six ou huit… A Clermont, Mme Aron fait des achats, notamment les cadeaux pour les initiées ; autrefois, il y avait une broche de Mme de Rothschild, une montre du rabbin Meyers, un livre de prière ; cette fois, il y aura une broche de Mme de Rothschild, un portemonnaie de Mme Leven. Achat d’un tonnelet de 30 litres de vin : c’est, ä part le vin des offices, peu pros le premier achat de cette denrée depuis notre arrivée ; il faut maintenant des tickets, naturellement, et nous voulons une petite provision en cas d’imprévu : avec notre tonnelet, nous en aurons pour des mois, et nous aurons un vin buvable.

Le 11 décembre

 Il fait doux, on éteint les feux. On installe la literie dans le 5e dortoir et dans la seconde infirmerie, ou on mettra les malades ou les plus fatiguées. Tout est prêt. Les dix nouvelles accompagnées par une Assistante de I’O. S .E. de Montpellier, Mlle Lévy, sont parties å 4 h du matin de Palavas, ont déjeuné å Clermont, et ont pris le car pour Létrade ; Mme Aron a pris le même car ä Clermont. M. Aron et deux grandes vont Létrade, et les 15 personnes, le chauffeur et les bagages prennent place dans la voiture : on n’y aura pas froid ! A 22 heures, arrivée aux Granges : un repas chaud est bien accueilli ; l’accueil des grandes qui sont restées debout, pour aider å l’arrivée et au repas, est parfait. Les nouvelles, tout exténuées qu’elles sont, sont éblouies de notre magnificence… « Si nous pouvions donner å nos parents nos restes de repas… Nous avons une mandarine ENTIERE… ». La moindre parcelle du repas fait figure de festin. Puis coucher général, bien accueilli aussi.

Le 12 décembre

 Les nouvelles dorment tout leur saoul ; pendant ce temps, Mme Aron range ses acquisitions de Clermont. La plus sensationnelle est celle de 12 peignoirs de bain ! Ce n’est pas pour nos salles de bains absentes ; mais cela deviendra une série de bandes hygiéniques, et une série de serviettes éponges pour le personnel ; quant aux cordelières, elles se révèlent une source merveilleuse de coton å repriser, après avoir été dépiautées par les enfants de l’infirmerie. Et cette providence (200 bandes, 24 serviettes, de quoi repriser nombre de bas) est une bonne affaire aux prix d’avant-guerre ; comme il faut 40 « points » de la carte de vêtements par peignoir, c’est-ä-dire la totalité des points disponibles, personne ne voulait les acheter. On étudie les papiers des nouvelles… papiers bien insuffisants en général. Les petites, une fois levées, sont fétées, cajolées. Elles écrivent å leurs parents en leur décrivant les merveilles du voyage et du Refuge, n’omettant pas la moindre bouchée, s’émerveillant d’avoir eu chaud dans leur lit. Le soir, office bien suivi : le dernier avant le 18.

Le 13 décembre

Mlle Lévy part, nous laissant très bon souvenir. Les nouvelles se présentent å la Direction. Elles parlent, en général, assez médiocrement français ; la plupart semble de milieu assez élevé ; elles sont polies, bien élevées. On leur fait, å leur grande joie, une toilette complète : avoir de l’eau chaude est, pour elles, le suprême délice. Puis on sort un peu.

Le 14 décembre

 On libére l’infirmerie, et les nouvelles sont installées définitivement dans leur dortoir. Et, fiévreusement, on prépare la journée du 18. Il fait superbe : 120. Mme Schuhl, du Comité, sur laquelle nous comptions un peu pour le 18, car elle n’est pas très loin de nous, et elle nous a toujours montré une sympathie active, nous fait savoir, å notre regret, qu’elle ne pourra venir en raison de son état de santé et des difficultés de voyages. Nous envoyons quelques colis å des parents, frères et sœurs restés å Rivesaltes, dont les conditions d’existence sont effrayantes.

Le 17 décembre

 Tous les instants libres des derniers jours se sont passés å répéter et préparer la journée du 18… M. Stourdzé arrive en avant-garde, procédé aux ultimes répétitions de la cérémonie d’initiation selon les directives de M. Liber ; il fait passer un vague supplément d’examen. Et on commence l’installation du Temple : il n’y a guère de décoration florale en cette époque : on cherche du houx. Les grandes écolières restent ä la maison, pour les derniers préparatifs (d’autant plus que la plupart sont les initiées).

Le 18 décembre

Une autre grande journée du Refuge, ou les Granges sont le siégé d’une Communauté émue. Il neige. Madame Leven arrive par le car, avec M. et Mme Liber. Tout de suite, on met au point le programme, et l’heure du déjeuner approche. Le réfectoire, malgré les ressources de toute sorte de plus en plus réduites, a allure de fête. La table d’Honneur groupe les rabbins, Mme Leven et tout le personnel ; une table spéciale, au centre de la salle, groupe les initiées (style élèves : « On a mangé les initiées, au milieu de la salle »). Chaque initiée trouve sa place une enveloppe contenant les cadeaux qui lui sont destinés : surprise agréable, car elles n’attendaient pas grand-chose, vu les circonstances. A chaque table, un peu de vin ; aux initiées, du champagne ». Festin Pantagruélique… des sardines, une timbale plus ou moins milanaise, avec pâtes, champignons, fromage råpé crème au chocolat, biscuits variés… En fin de repas, proclamation du classement général pour 1941 (la première étant la même qu’en 1940 pour les moyennes). Des cadeaux sont donnés aux premières, dans les trois catégories, grandes, moyennes et petites. M. Liber fait ensuite une dernière réunion des initiées, sorte de Veillée. Et, å 3 h 30, dans notre Temple bondé et recueilli, elles font une entrée solennelle et émue, saluées par les chants de leurs compagnes. La cérémonie se déroule. M. Liber fait une allocution qui émeut beaucoup les enfants. Il a apporté une Torah de la synagogue de Lyon. En fin de cérémonie, sortie solennelle des initiées. Celles-ci n’ont pu être habillées en blanc. Elles ont leur robe d’uniforme bleue, garnie d’organdi rose. Les réjouissances continuent par un grand goûter, au cours duquel, nouvelle surprise, toutes reçoivent un petit cadeau de Hanouccah-Étrennes. Conversations entre M. Liber, Mme Leven, les directeurs, sur les sujets d’actualité : notamment l’Union générale des Israélites de France, å laquelle nous serons rattachés, sur l’administration de (6) l’œuvre En cours de conversation, la direction ne cache pas ä M. Liber son peu d’enthousiasme pour Mlle Stourdzé… Nous nous efforçons de la garder, par égard pour M. Liber. Un nouvel office rapide, et M. et Mme Liber, hélas toujours pressés, repartent de Crocq, laissant M. Stourdzé avec sa sœur. Un diner soigné termine la journée.

Le 19 décembre

Avec Mme Leven, la direction discute des affaires en cours. Au cours du déjeuner, Mme Leven proposant aux Directeurs de prendre quelque repos, ceux-ci n’acceptent pas, en raison de l’incertitude des temps, qui oblige å ne pas quitter son poste pour parer tout imprévu., Une heure plus tard, le Maire se présente, fort ennuyé : il apporte l’ordre d’envoi en résidence forcée de M. et Mme Crémieu, ainsi que de Mme Gompertz, more de Mme Serriére ! Aucun motif ! En tout autre cas, il serait du plus haut comique de voir Mme Crémieu assimilée aux Individus dangereux pour la sécurité publique et la défense nationale Mieux vaut ne pas épiloguer sur ces procédés.-Office bien suivi, sauf par les grandes. Mlle Stourdzé a de rangine, qu’elle soigne en recevant dans sa chambre toutes les enfants qui veulent s’y présenter… Elle a horreur d’être seule-.. Nous apprenons Ia naissance d’une jeune Tiano, d’autant mieux accueillie que la Maman offrira un goûter.

 Le 20 décembre

Mme Leven déjeune au Refuge. Malgré son angine, Mlle Stourdzé et son frère partent pour Lyon, pour affaire de famille

Le 21 décembre

Mme Leven invite les initiées une promenade, puis un goûter l’hôtel. Elle cause aux grandes, dont l’esprit revendicatif et l’ingratitude totale sont loin de la satisfaire. Et, de ce moment, lesdites grandes marquent une froideur totale envers -Mme Leven, « qui ne les comprend pas !!! La représentation, retardée par manque de temps depuis le 18, est donnée ; elle est lamentable, car les grandes s’en désintéressent et s’y tiennent très mal. Nous recevons de Hutchinson, de Marseille, 17 paires de bottes que nous a fait envoyer Mme Kohn : envoi inestimable en cette époque, qui rend possible les courses, notamment au lait, en période de neige. Ce ravitaillement en lait est dur, car nous en ramenons encore de grandes quantités : près de 2S litre par jour Adieux de Mme Leven, qui part demain matin

Le 22 décembre rune des enfants de Rivesaltes a les oreillons ! Elle ne peut que les avoir du camp, ce qui montre que la surveillance Palavas a été nulle Nous demandons qu’on sursoie å l’arrivée du second groupe, qui est å Paiavas depuis le départ du premier, et qu’on le surveille davantage. (On n’en fera rien). Espérons que l’épidémie ne s’étendra pas trop : c’est å craindre, avec la promiscuité forcée de la Maison, et le temps d’incubation.

Le 24 décembre Début des vacances du Nouvel An. Les écolières ont terminé leur année par la lettre-dessin habituelle au Maréchal (sur la loyauté scolaire). Elles recevront la circulaire-réponse habituelle, å laquelle elles ne feront même plus attention ! A la maison, on fait des rangements dans les affaires scolaires. Et on fait passer quelques épreuves å celles de Rivesaltes, pour voir lesquelles pourront entrer å l’école å la rentrée. Finalement, on en admet six, sur les dix, dans des classes peu élevées.

Le 26 décembre

Temps superbe, sorties obligatoires… car de nombreuses, notamment parmi les grandes, ne peuvent se résoudre å ne pas rester emmitouflées, inertes, autour d’un feu. Retour de Mlle Stourdzé, qui a allongé le congé demandé.

 Le 27 décembre Retour de J. Kaufman, qui n’a pu se résoudre å vivre en famille, et revient au Refuge, mi-élève, mipersonnel pour le moment ; elle s’occupera de l’infirmerie, en préparant des examens dans la mesure du possible. Mme Crémieu, qui malgré nombre de démarches, notamment auprès de M. de Beauverger, n’a obtenu aucune réponse, part å Bonnat, via Guéret oü elle a demandé audience au Préfet. Le ravitaillement nous envoie régulièrement des œufs (1000 par mois). Une « erreur »de la gare intercepte le premier envoi, mais cela ira ensuite.

Le 28 décembre

Arbre de Noël å l’école ; le désir de ne favoriser personne donne å chacune des cadeaux ridicules (alphabet au cours supérieur, etc.) Pendant ce temps, les non-écolières sortent, par beau temps. Gros incident en pleine nuit : la bande de garçons, plus ou moins pochards après réveillon, vient sous les fenêtres des dortoirs ; les fenêtres s’ouvrent ; certaines grandes, en chemise de nuit, entament la conversation. M. Aron doit intervenir énergiquement… hurlements des pochards, des filles. Cela dure de minuit et demi å 1 heure. Et tout cela se passe par -100 !

Le 29 décembre Suite des incidents de la nuit, on forme la « 5 e colonne » groupant les plus mauvaises : dortoir sans porte, surveillance spéciale. Cela durera jusqu’å arrivée du 2e groupe de Rivesaltes, où il faudra toute la place. On distribue les nouvelles cartes d’alimentation. A Vichy, le Grand rabbinat agit pour notre allocation.

Le 30 décembre

 Retour de M et Mme Crémieu, qui n’ont pas dépassé Guéret ; le Préfet a bien dû s’apercevoir que le zéle des mouchards fait parfois commettre des gaffes. Il y a sursis ; il y aura presque excuses. Il continue å faire très beau, mais très froid (-10) ; on allume, le soir, dans le couloir des dortoirs : cela oblige ä une surveillance serrée, car c’est une raison de flâner au lieu de se coucher ; et puis certaines, chauffant au poêle briques ou fers ä repasser procurés irrégulièrement, brûlent leur literie sous prétexte de la réchauffer.

Le 31 décembre

Préparation des étrennes pour la Ville, le personnel. Et l’année se termine å écouter la T.S.F.

1941

Les personnes qui liront un jour, peut-être, ce journal, trouveront qu’on y parle vraiment beaucoup de nourriture et autres contingences peu élevées. Hélas ! Ce fut le gros souci de l’année : å Crocq, nous étions très favorisés par rapport ä bien des familles françaises. Mais, tout de même… une centaine de bouches nourrir, avec des moyens financiers précaires, aucune possibilité d’achats au dehors ou de transports. Et on parle aussi beaucoup de chaussures, de mercerie. Ce fut, en 1941, plus dur encore que la nourriture, et on peut affirmer que ce fut un véritable tour de force du personnel d’arriver å ce que les enfants puissent sortir décemment mises. Le moral s’abaisse… Trop d’éloignement des familles (impossibles å rejoindre), peu de distractions, personnel très fatigué et moins disposé å distraire les enfants et des grandes qui se demandent quand elles commenceront leur vie…